Périodiquement, les élections, avec leur cortège de déceptions, ravivent entre Français un esprit de querelle, de rancoeur, voire de haine, tandis que les candidats, préoccupés de leur propre réussite, poursuivent en parallèle la même politique de destruction de l’édifice capétien. Occasion de se souvenir que le salut de la France réside dans le retour de la monarchie.
Personnalité édifiante
Non que l’élection fût un concept inconnu de nos aïeux ; elle amena Hugues Capet au pouvoir, en remplacement d’une lignée carolingienne à bout de souffle qui avait perdu le sens de la nation. Cependant, les critères conduisant à ce choix étaient éminemment patriotiques et aristocratiques puisque, en vue du bien commun, le chef élu était regardé comme le meilleur et issu d’une dynastie, celle des Robertiens, illustre par les héros, les défenseurs et les souverains qu’elle avait donnés à la France depuis un siècle, en alternance avec la descendance de Charlemagne.
Cette alternance, voulue par les Robertiens, loyalistes, avait compromis leurs bons résultats, remis en cause par les princes qui leur succédaient. Ce fut le trait de génie de Hugues d’avoir stabilisé le pouvoir en s’assurant que son fils lui succéderait.
Ivan Gobry continue cette histoire des rois de France initiée par le regretté Georges Bordonove et publie une biographie de Robert II pleine d’intérêt. Ni le règne ni la vie de ce prince ne furent faciles. Son père l’avait, à seize ans, marié à une princesse italienne, Rozala, qui, veuve deux fois, avait passé la quarantaine. Robert, excusable, lui préféra une autre veuve, de son âge, Berthe de Bourgogne. L’Église ne voulut pas admettre cette union, non à cause du renvoi de la première épouse, mais parce que Berthe et Robert cousinaient à un degré prohibé et que le roi était parrain d’un des enfants de la comtesse. Drame affreux pour ce souverain d’une extrême piété mais très épris de sa compagne. Afin d’épargner l’interdit au royaume, il accepta la séparation, puis épousa Constance d’Arles.
Au-delà de ces péripéties conjugales, Gobry, spécialiste de l’histoire et des mentalités religieuses, insiste sur les vertus, chrétiennes et régaliennes, du prince, et sur l’exploitation politique que les clercs tentèrent en lui accolant ce qualificatif de Pieux, équivalent d’une canonisation par la vox populi. Il s’agissait de donner une légitimité à la dynastie, qu’eût glorifiée la sainteté du souverain, et de concurrencer le Saint-Empereur germanique Henri, son contemporain.
L’Église n’approuva pas, ce qui ne retire rien à la personnalité édifiante de Robert. Sa bonté, sa générosité, sa dévotion ne l’empêchèrent pas d’être un habile politique, guerroyant quand il le fallait. Malgré les catastrophes naturelles qui marquèrent son règne, il laissa une France pacifiée, plus riche, mieux protégée, assurée, à travers ses descendants, d’un avenir où l’espoir trouvait sa place. Peu de gouvernants peuvent se vanter d’un pareil bilan.
Angoisse et pragmatisme
Lorsqu’il succède à son père, Louis VII, en 1180, Philippe II a quinze ans. Un siècle et demi plus tôt, cette trop grande jeunesse de l’héritier avait plusieurs fois incliné les barons à lui préférer un homme mûr. Preuve que la lignée capétienne s’est enracinée, personne ne conteste l’accession au trône de cet adolescent.
Philippe Auguste, le vainqueur de Bouvines, l’homme qui permit à la France de gagner sur la scène européenne une place prépondérante, jouit dans l’histoire d’une popularité exceptionnelle ; l’a-t-il méritée ? Telle est la question iconoclaste que pose Gérard Sivéry, spécialiste incontesté de l’époque et de ses princes, dans une biographie de 1993 récemment rééditée.
Philippe Auguste apparaît ici plus complexe et moins sûr de lui qu’on le croirait. Ce n’est pas sans raison que son biographe débute son récit par un étonnant épisode, celui de la fugue du jeune prince saisi de panique, disparaissant en pleins bois pendant quarante-huit heures à la veille de son sacre, avant de ressurgir si malade qu’il faillit en mourir. Philippe, durant cette épreuve initiatique, a pris la mesure de son rôle, et c’est ce qui explique son affolement à la pensée des responsabilités à venir. Mais jusqu’à quel point cet angoissé a-t-il été capable de les assumer ?
Sa vie conjugale révèle ces alternances d’angoisse et de pragmatisme : la première union avec la douce Isabelle de Hainaut, une Carolingienne qui renforça le prestige dynastique, mais à laquelle le jeune roi ne porta pas l’affection idéalisée qu’on lui prête ; la malheureuse Ingeburge de Danemark, répudiée au bout de quelques jours pour avoir manifestement frigorifié son époux ; Agnès de Méranie, épousée en dépit du mariage précédent, que Philippe, pragmatique, sacrifia quand il devint impossible de l’éviter, et qui en mourut.
En politique, le roi fut sujet aux mêmes problèmes, mais sut les utiliser. Ainsi son abandon de la croisade, sévèrement jugé, mais que Sivéry montre nécessaire, l’intérêt de la France passant, pour Philippe, avant celui de la Terre sainte, et qui se révèle diplomatiquement payant, grâce aux ennuis suscités au retour au dangereux Richard d’Angleterre.
Il y a du cynisme dans ce caractère, voire un manque d’esprit chevaleresque, des défauts aussi, nombreux. Tout cela s’efface devant une réussite exemplaire, en partie fondée sur la qualité des conseillers royaux, dont Frère Guérin, chevalier de l’Hôpital, grand stratège qui détermina la victoire de Bouvines. C’est une vérité plus fascinante encore que la légende qui surgit dans ces pages.
Figure exemplaire
Saint Louis avait neuf ans à la mort de son aïeul, dont l’exemple, édulcoré, le marqua définitivement. Il est remarquable de voir comment il sut s’inspirer de la leçon politique, tout en évitant les défauts, pour se tenir dans la même ligne et renforcer l’oeuvre. C’est tout le paradoxe de Louis IX, qui concilia d’une façon unique sa vie spirituelle et mystique, exceptionnelle, et les devoirs de sa charge.
Quoiqu’il soit impossible de dissocier, chez les hommes de ce temps, temporel et religieux, intimement imbriqués, le cas Louis IX demeure à part. Son entourage ne manque pas de figures remarquables, animés d’une foi à toute épreuve, et le sire de Joinville en est un bel exemple, mais lui est d’une autre essence. Véritable gageure pour l’historien, tour à tour tenté de privilégier le roi ou le saint, au risque de ne rien comprendre car les deux ne font qu’un.
Le Saint Louis de Georges Bordonove, paru en 1986 et juste réédité, évita ce double écueil pour livrer du souverain un portrait digne d’une enluminure médiévale, tout en grâce exquise mais historiquement incontestable. Ne sombrant jamais dans l’hagiographie, Bordonove savait que Louis, doté d’une nature ardente et emportée, ne conquit pas l’auréole en un jour et qu’il atteignit à la perfection après un chemin fort rude, semé d’épines et d’embûches. Il l’expliquait magnifiquement. Figure exemplaire, qu’aucune autre dynastie, aucun autre pays chrétien ne mérita, Saint Louis demeure une lumière insurpassée pour éclairer les chemins de la France et lui répéter un message d’espérance et de confiance dont nous avons plus besoin que jamais.
Réussite du travail capétien
Sans doute n’est-il plus politiquement correct de le dire, à l’heure où la croisade appelle les repentances publiques, où la volonté de convertir juifs et musulmans indigne, et où la vertu ennuie ; quel pape oserait aujourd’hui canoniser ce roi trop chrétien ? Jean Markale livrait ces remarques dérangeantes dans une autre biographie, romancée, de Saint Louis, Le chêne de la Sagesse, mais c’était, contre toute attente, pour prendre la défense du roi, en rappelant que l’on ne fait pas « de petits saints avec de grands saints ». Remarque très juste que plus d’un historien actuel devrait méditer, au lieu de prétendre juger le passé à l’aune de ses propres lumières et ses propres idées.
Aveuglés par de tels partis pris, certains condamnent la huitième croisade, achevée il est vrai en désastre devant Tunis, et fustigent ce qu’ils prennent pour l’aveuglement idéaliste du roi. Gérard Sivéry démontre que le plan royal était, au contraire, remarquablement lucide et intelligent, même s’il n’avait pas pris en compte, et pour cause, l’épidémie qui décima le camp français, tuant le roi, son fils Nevers, et contraignant au retour. Le long voyage vers la France fut épouvantable, car la maladie ne lâchait pas prise et la fatalité s’en mêla. Ce fut escorté des cercueils de son père, son frère, sa femme, son fils, son oncle Poitiers, sa soeur Isabelle, et de l’époux de celle-ci que l’infortuné Philippe III regagna Paris. On a longtemps cru que cette série de malheurs, et la dysenterie contractée en Tunisie qui avait failli le tuer, lui aussi, expliquait les mauvais commencements du règne, tout comme la personnalité du roi semblait avoir souffert de la comparaison avec son père et son fils.
Gérard Sivéry pose, quant à lui, un autre diagnostic : et si le roi Philippe III avait été, en réalité, atteint d’une légère arriération mentale, due à une naissance difficile, qui lui interdit de se comporter en adulte responsable ?
Les arguments avancés ne manquent pas de pertinence. Surtout, si l’historien est dans le vrai, par-delà la personnalité troublée et émouvante du souverain, il met en évidence l’immense réussite du travail capétien : la monarchie française fonctionnait si bien en 1270 à la mort de Saint Louis, qu’elle put s’accommoder, quinze ans, d’un roi retardé, non seulement sans souffrir de ce drame, mais en augmentant l’étendue et la puissance du royaume. Quel autre régime en ferait autant ?
Anne Bernet L’Action Française 2000 du 3 au 16 mai 2007
* Ivan Gobry : Robert II. Pygmalion, 230 p., 20 euros. Voir l’article de Michel Fromentoux dans L’AF 2000 du 15 décembre 2005.
* Gérard Sivéry : Philippe Auguste. Perrin, 430 p., 22euros.
* Georges Bordonove : Saint Louis. Pygmalion, 315 p., 21,50 euros.
* Jean Markale : Le chêne de la Sagesse ; un roi nommé Saint Louis. Le Rocher, 305 p., 19,70 euros.
* Gérard Sivéry : Philippe III le Hardi. Fayard, 360 p., 22 euros.