Certains ne pleureront pas la fin de Libération. Il y a des sans-cœurs partout. Ce journal est, depuis sa naissance, un organe de combat politique autant que d’information et même beaucoup plus. Mais il est vrai qu’on ne peut se réjouir totalement de la disparition d’un journal même si les journalistes de Libération n’ont jamais pleuré sur les difficultés d’une presse d’opinion hostile aux leurs.
Libération était-il encore un vrai journal ?
Certes, du coté du Café de Flore où, comme tout le monde le sait et comme on le chante « il y avait déjà des folles », pour le reste le quotidien national avait disparu de nombreux kiosques de province. En revanche, il continue à faire la pluie et le beau temps, et comme le note dans son « horreur médiatique », Jean-François Kahn, la presse audiovisuelle est serve vis à vis de Libé. Les journalistes des radios et télés y traitent les sujets de Libé du matin au soir dans la ligne Libé et gauchisent ainsi les journaux télévisés. Une influence disproportionnée et par rapport à ceux qui pensent le contraire, un pouvoir de nuisance exagérée. Car on n’est pas obligé d’acheter Libération et d’ailleurs personne ne l’achète, mais on n’y échappe pas malgré tout par les relais audiovisuels.
Les nouveaux actionnaires l’ont compris. Ils veulent garder l’influence politique en sabordant le journal de papier qui coûte et ne rapporte pas grand chose. Pour des journalistes, même branchés, c’est inacceptable. Réunis dimanche 9 février en assemblée générale, ils ont repoussé à l’unanimité l’idée d’arrêter le travail et décidé d’utiliser l’édition de lundi de Libération (image en Une) comme une « arme » pour combattre le projet de leurs actionnaires.
« Nous voulons nous exprimer, nous faire connaître, répondre à ceux qui nous font un procès en archaïsme. C’est aussi une bataille de communication », a déclaré un salarié sous le couvert de l’anonymat, pour réclamer le départ des dirigeants Philippe Nicolas et Nicolas Demorand. Vendredi soir, les salariés de Libération avaient découvert dans un mail le projet surprise des actionnaires de transformer le journal en réseau social et son siège en espace culturel. En réaction, la rédaction s’est emparée de la « une » de samedi en titrant en grands caractères « Nous sommes un journal », et pas un restaurant ni un incubateur de start-up.
“Notre projet est la seule solution viable pour Libération” répliquent les actionnaires. Si les salariés refusent, Libération n’a pas d’avenir”, avertit Bruno Ledoux, gros actionnaire du journal, sur son projet de le transformer en réseau social et son siège en espace culturel. Un conflit majeur s’annonce, rue Béranger à Paris, entre actionnaires et salariés. Et le mail envoyé par Bruno Ledoux, qui détient 26% de Libé, aux autres actionnaires et au président du directoire Nicolas Demorand vient jeter de l’huile sur le feu. “Je veux rendre ringards tous ces esprits étriqués et tirer un coup d’avance, un coup cash, où tout est dit, y compris le projet sur l’immeuble [...], a écrit le principal actionnaire du quotidien. Je pense qu’il faut prendre [...] à témoin tous les Français, qui raquent pour ces mecs, pour que tout le monde comprenne bien l’enjeu qui se joue actuellement… D’un côté, la faillite, de l’autre côté, une autre vision…..”
Dans un texte mis en ligne sur le site vendredi soir, les actionnaires actuels – les hommes d’affaires Bruno Ledoux, Edouard de Rothschild et le groupe italien Ersel – ont pour la première fois précisé leurs intentions vis-à-vis du journal aux ventes en chute libre et financièrement en péril. Ce projet, écrivent-ils, pourrait fournir à Libération « de très forts relais de croissance ». « C’est la seule solution viable, avertit Bruno Ledoux, actionnaire à 26 % et propriétaire de l’immeuble loué par le journal. Si les salariés refusent, Libération n’a pas d’avenir ».
Les actionnaires estiment que le déménagement du journal est « inéluctable » mais réfléchissent, avec le designer Philippe Starck, à transformer les 4 500 m2 du siège du journal, situé rue Béranger, à Paris, en « un espace culturel et de conférence comportant un plateau télé, un studio radio, une newsroom digitale, un restaurant, un bar, un incubateur de start-up ».
Ce « lieu d’échange ouvert et accessible à tous, journalistes, artistes, écrivains, philosophes, politiques, designers » serait « entièrement dédié à Libération et à son univers » dans l’esprit d’un « Flore du XXIe siècle, carrefour de toutes les tendances politiques, économiques, ou culturelles » en misant sur « la puissance de la marque Libération ». Ainsi Libération reconnait ce qu’il est, un organe d’influence politique plus qu’un journal. Crève le journal si l’influence demeure.
Ce qui se passe à Libération doit donc interpeller tous les journalistes de presse écrite, pas seulement nationale et pas seulement quotidienne, sans pour autant verser des larmes de crocodiles.
Jean Ansar
Source : Metamag.