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L’empire du bien ou le degré zéro de la vie sociale

Tocqueville observait que, « dans les siècles démocratiques, les hommes se dévouent rarement les uns pour les autres », mais qu’ils « montrent une compassion générale pour tous les membres de l’espèce humaine » (De la démocratie en Amérique). L’observation est fort juste, mais il n’est pas sûr que cette tendance soit à porter au compte de la démocratie, ni même au processus « d’égalisation des conditions » que Tocqueville faisait aller de pair avec elle. Mieux vaudrait invoquer ici le rôle de la bourgeoisie, dont l’avènement a simultanément marginalisé les valeurs aristocratiques et les valeurs populaires, en les remplaçant par ce que Tocqueville, toujours lui, appelait les passions « débilitantes » : montée du calcul égoïste, souci du bien-être, désir de sécurité
     Le fait est qu’au cours des dernières décennies, les passions « débilitantes » n’ont pas cessé d’enfler, et que la vogue grandissante de l’idéologie des droits de l’homme y a puissamment contribué. L’égoïsme n’est pas moins présent, mais il se drape désormais dans des atours « humanitaires », s’enrobant dans un discours dont la niaiserie est le trait dominant. Une théorie de la niaiserie, une théorie du gnan-gnan, est encore à écrire. Michel Maffesoli, dans l’un de ses derniers livres, évoque avec bonheur cette « dictature des Bons Sentiments » qui, « tel un niagara d’eau tiède, se déversent quotidiennement sur les masses ». Constatant que l’idéologie des droits de l’homme se décline désormais dans tous les registres de la dévotion, qu’avec une ferveur toujours renouvelée ou regonfle des ectoplasmes sous les mêmes mots ronflants, qu’une nouvelle bien-pensance s’épanouit sur ce terreau, il pose la question : « Aurons-nous le courage de dire que c’est ce moralisme qui est à l’origine de la bêtification contemporaine ? » 
     Cette « bêtification contemporaine » a de multiples sources, l’une d’entre elles étant une inculture elle aussi grandissante, qui se déploie à tous les niveaux et dans tous les milieux. La pulsion de mort est toujours à l’œuvre dans la raison marchande capitaliste, mais ici c’est de mort de l’esprit qu’il faudrait parler. Si les enfants de Mai 68 étaient en moyenne plus cultivés que leurs parents, c’est aujourd’hui l’inverse. La crise de l’institution scolaire est suffisamment connue pour qu’il soit inutile d’y revenir : l’école a depuis longtemps cessé d’éduquer, elle a de plus en plus de mal à instruire. Dès lors que l’idée se répand qu’il est au fond inutile d’apprendre autre chose que ce dont on peut faire un usage pratique immédiat, la soif de connaître s’éteint aussitôt. Plus de curiosité, plus d’intérêt pour ce qui se passait « quand je n’étais pas encore né ». A quoi bon savoir, d’ailleurs, puisque tout est maintenant sur Internet ? Pareille attitude n’est pas l’apanage des « jeunes ». De Gaulle utilisait environ 4 000 mots dans ses discours. Le vocabulaire de Nicolas Sarkozy ne dépassait pas les 400 mots.

Alain de Benoist, Les démons du bien

http://www.oragesdacier.info/2014/02/lempire-du-bien-ou-le-degre-zero-de-la.html

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