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L’archipel Humain (2/3) : la Grandeur des petits

"Mon engagement en faveur des peuples autochtones, les peuples premiers, ou peuples-racines, est philosophique, politique et personnel. Je suis convaincu que la mondialisation, l'internationalisation des peuples, est un malheur, une punition des dieux, et que le pluralisme culturel - à l'égal de la biodiversité - est la condition sine qua non du progrès de l'humanité."

Jean Malaurie, Hummocks

La mondialisation a accéléré et amplifié les perturbations de l’homme sur son milieu de vie, en épuisant les ressources naturelles à un rythme soutenu. Elle a également favorisé l’accroissement des inégalités entre et à l’intérieur des nations. En homogénéisant les civilisations, elle appauvrit la richesse de l’humanité, donc diminue le spectre des adaptions dont notre espèce pourrait disposer, c’est à dire la résilience de notre espèce face aux crises. A ce phénomène, nous pouvons appliquer une contrainte opposée, une éthique de la séparation, alliant richesse culturelle à l’échelle de l’Humanité et puissance de  cohésion à l’échelle de la Nation : un archipel humain.

4.   Biodiversité et multiculturalisme: éloge de la pluralité.

L’éventail du vivant.  Il semble que la « Vie »  ne tend pas vers une complexification de chaque organisme, mais vers une complexification de l’ensemble formé par tous les organismes. Le point oméga n’est pas spécifique, mais holiste. Ce potentiel de diversité, c’est une aptitude au progrès et c’est cela qui est maintenu,  comme l’a fait remarquer Stephen Jay Gould 1. Car la Vie s’incarne dans un éventail de formes assez grand, en conservant par ailleurs ses formes les plus élémentaires, pour conserver au maximum ce potentiel. Le but ce n’est pas l’homme, c’est Gaïa. En ce sens l’évolution tend vers un maintien du plus grand nombre de possibilités, et en cela rend  la biosphère plus résiliente face aux crises.  L’homme peut donc être la créature la plus aboutie de la Création, sans en être sa finalité.

L’évolution et le mythe du progrès. Rendre l’Humanité plus résiliente, c’est, de la même manière, maintenir un jeu de solutions adaptatives. La biodiversité a été la plus importante lorsque les continents étaient les plus fragmentés et vice versa, lors des supercontinents, on constate un appauvrissement en diversité 2. La mondialisation a certes permis de grands progrès dans l’échange d’informations, en regroupant et spécialisant les talents, et en permettant une amélioration des conditions matérielles ainsi qu’une augmentation généralisée de l’espérance de vie. Néanmoins ce regroupement des civilisations s’accompagne d’une perte de richesse culturelle.

Compétition et adaptation. Car il y a une échelle au delà de laquelle la cohésion, le sens de la responsabilité, la démocratie enfin, ne sont plus favorisées. Et quand nous partageons tous la même assiette, cracher dedans devient un moyen de se l’approprier 3 : ainsi commence la course aux dernières ressources et les guerres pour elles 4 afin ne rien perdre de notre compétitivité, ainsi que les pieds qui trainent lorsqu’il s’agit de traiter une pollution. De Jean Malaurie à Lévi Strauss, ceux qui se sont fait les spécialistes des sociétés les plus primitives ont bien remarqué que celles-ci avaient toujours trouvé un moyen, par des voies différentes, de s’adapter à leur milieu avant l’arrivée de l’étranger 5,6. Certains organismes choisissent les milieux les plus confortables, avec la compétition la plus forte, et d’autres l’inverse. Au final, chaque voie est explorée, testée.

5.   « Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve. » Hölderlin.

Une éthique de la conservation. Les éthiques reconsidérant la place de l’homme au sein de la nature sont légion 7. L’approche gradualiste, attribuée à Aristote, met en avant une hiérarchie des valeurs ontologiques intrinsèques, allant des minéraux aux humains. Néanmoins, plus récemment, l’approche écocentriste, ou l’écologie profonde d’Arne Naess, proposent quelque chose de nouveau en matière d’éthique : la valeur est donnée par l’interrelation entre les individus 8 et non par les individus eux-mêmes 9. En revanche, dans l’idée de préservation d’aires protégées 10, l’humain est « mis en dehors », ce qui implique une séparation entre l’Homme et la Nature. Que doit-on donc préserver : le caractère sauvage (ce que l’homme n’a pas touché) ou la biodiversité ? La réponse est simple : il faut préserver le caractère structurant de la Nature.

Politique cristallisante et révolution permanente. Quelle que soit l’approche adoptée, celle-ci devra tenir compte de la profondeur des relations entre besoins humains et des ressources à disposition. C’est à dire déterminer et hiérarchiser la valeur esthétique, économique, culturelle de la ressource. L’approche centralisée, favorisant une bureaucratie lourde, est malvenue en matière de rapidité de prise de décision. Il est avéré que la communication est bien plus efficace dans une communauté restreinte, où la responsabilité de chacun est de plus grandie par appropriation des problèmes environnementaux 11.  L’approche communautaire ne peut cependant pas se passer des bienfaits de la centralisation, en particulier pour les ressources financières et intellectuelles, ainsi que pour l’adoption d’une législation uniforme 12.

Tombeau tabou, totem toutou. Les citoyens, même sensibilisés à l’écologie, réagissent surtout dans l’affect et n’en ont que rarement une vision globale et cohérente. Par exemple la chasse, par la régulation de la population animale, montre son utilité si elle reste alliée à une responsabilité. Elle est pourtant reprise comme « argument écologique » à la fois par les chasseurs et leurs opposants. La proximité de la violence, dans la chasse ou la pêche, humanise le consommateur : s’impliquer dans un processus naturel donne une conscience écologique aussi ancrée que celle de l’intellectuel. Avant d’être des sapiens, nous étions des faber, et ce que la recherche théorique apporte en information, certains l’obtiennent par l’expérience.  Le monde est donc à ré-inventer : il faut redéfinir nos valeurs, donc spiritualiser la Nature d’une nouvelle manière. Le sacré n’est plus là on l’on croit. Si une fertilisation des océans par la matière organique de nos cadavres s’avérait utile, la plupart des religions s’y opposeraient quand même. Aussi ce qui est bénéfique pour la Nature, donc pour nous, doit devenir sacré 13.

 6.  Endémisme contre entropie.

L’endémisme, c’est l’isolement, plus le temps. C’est ce qui permet le développement des formes les plus originales, en s’écartant des zones les plus compétitives. On peut penser aux indiens d’Amazonie, ou aux indigènes de Tahiti, décimés par les maladies inconnues jusqu’à l’arrivée des Européens. L’endémisme, dans une formule d’ensemble, c’est donc ce qui permet de travailler son style. Ce que fait une civilisation en s’isolant. Ce qui génère de la biodiversité c’est l’isolement plus le temps. C’est ainsi dans les archipels que la biodiversité est la plus importante. Les styles individuels peuvent alors s’épanouir, et l’imagination de la Nature prend forme dans les essais les plus improbables. Et plus les matériels génétiques sont éloignés, plus leur rencontre dégage de l’énergie, donc soit des opportunités, soit des dégâts.

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