Depuis Clemenceau jusqu'à Farida Belghoul, l'histoire de France n'est pas un long fleuve tranquille. Est-il encore possible de résister au matérialisme politique ?
« Rendez à César ce qui est à César, mais tout est à César » disait Clemenceau, que l'on n'a pas nommé pour rien « le Tigre ». À son époque, ce n'était pas tout à fait vrai. Les Français n'étaient pas tout entiers à César. Il y avait 25 % de pratiquants. L’Église gardait partout une sorte de respectabilité, qui lui permettait de demeurer le signe de ralliement moral qu'elle devait être. Cette situation a perduré jusqu'au début des années 1960.
Au total donc, César n'avait pas de morale, mais Dieu restait suffisamment présent, les coutumes suffisamment prégnantes pour que demeure un pacte national, fondé sur une véritable ressemblance entre tous les Français. Ainsi le respect de la vie et la promotion de la famille demeuraient des impératifs fondamentaux pour les chrétiens comme pour ceux qui ne l'étaient plus.
Lorsque François Hollande arrive au pouvoir en mai 2012, la situation spirituelle de la France est totalement différente. Et là, on aurait pu penser que la formule de Clemenceau se vérifiait totalement. La République est une démocratie très particulière et le jeu du contrat social allait pouvoir jouer à plein, par lequel un président de gauche représentait la France, toute la France. Les Partis en présence (UMP en décomposition interne ou FN en dédiabolisation permanente) ne pouvaient pas vraiment exercer un contre-pouvoir. Le fantasme d'un législateur absolument détaché de toute morale et agissant dans une perspective de pur individualisme selon la loi d'airain des Marchés et les diktats de ceux que Jacques Attali appelle les hypernomades - la Upper class mondiale - semblait pouvoir triompher dans la réalité. Certes l'Elysée n'est plus, tant s'en faut aujourd'hui l'unique centre de pouvoir. Le Président donne plutôt l'impression d'être en campagne électorale permanente. Mais l'Elysée pouvait rentrer à plein dans la dynamique de la mondialisation et rien ni personne ne s'y opposerait. La vie humaine allait enfin être gérée, sans tabou : expériences sur les embryons, cocktail létal à volonté pour ceux qui coûtent cher à la collectivité sans rien lui rapporter, droit de vie et de mort donné à la femme sur sa progéniture. En avant pour le Meilleur des mondes ! Il s'agit bien d'un changement programmé de civilisation.
Trouver la France
Dans ce contexte, les quatre manifestations monstres de 2012-2013 contre le mariage homosexuel et la cinquième, cette année, contre la théorie du genre ont été le grain de sable capable d'enrayer la machine. Une fois de plus, les faiseurs de plan en seraient pour leurs frais : la France n'était pas là où l'on escomptait qu'elle soit. On la trouvait là où l'on avait oublié qu'elle était : la France française, blanche et chrétienne existait encore.
En revanche, l'islam, tout aussi opposé au mariage homosexuel, a très peu manifesté cette opposition. Les grands imams, loyaux à la République et souvent maçonnisés, tenus par les subventions qui font sortir de terre leurs mosquées, ont gardé le silence. Quant aux populations immigrées, elles n'ont sans doute pas eu suffisamment de conscience nationale, pour se joindre à une manifestation nationale. La riposte n'a donc pas eu toute la force qu'elle aurait pu avoir. Les démarches de Frigide Barjot vers l'UOIF, trop immédiatement médiatisées, ont manqué d'efficacité : elle n'a pas cherché à atteindre l'islam réel, en allant immédiatement aux imams représentatifs des populations.
La démocratie perdue
Si les choses en restent là, on peut penser que pour faire passer leurs lois anti-vie, nos législateurs, peu soucieux de susciter de nouvelles manifestations, n'ont plus qu'à éviter le débat démocratique, en procédant par les décrets de circulaires administratives plutôt que par un vote. Le processus semble bien enclenché à propos de l'euthanasie. Le Conseil d’État est l'organe dont les circulaires ont la plus grande autorité. Il pourrait être la clé de voûte d'un dispositif purement juridique, permettant d'avaliser ou de faire avaliser une loi sur l'euthanasie, en prenant d'abord des voies qui ne seraient pas celles du suffrage (trop risqué), mais encore et toujours celles de l'administration. Au moment où nous écrivons, rien n'a filtré des décisions prises dans l'affaire Vincent Lambert. Il faudra sans doute l'autorité de la chose jugée, s'additionnant à l'autorité législative, pour faire passer sans trop de casse des dispositions sur la gestion rationnelle de la fin de vie et sur le permis de tuer. On aura ainsi contourné la démocratie au nom des institutions de la République.
C'est dans ce contexte que s'inscrit l'action de Farida Belghoul autour des Journées de Retrait de l'Ecole (JRE). Ayant accès aux populations issues de la Diversité, elle a mené à bien deux éditions de cette grève mensuelle de l’École, organisée pour protester contre la manière dont on impose, là aussi par voie administrative, l'enseignement du genre en Primaire, à travers les modules « expérimentaux » de l'ABCD de l'égalité. Outre son talent (son « abattage » comme dit un de mes amis), il y a la pureté de son entreprise. Et il y a l'intérêt qu'elle suscite chez les musulmans de France... Et si Farida représentait la première réaction des musulmans contre la culture de mort que l'on est en train de nous imposer à tous ? Est-ce qu'il n'y a pas là une clé de l'avenir ? Une hirondelle certes ne fait pas le printemps. Mais, au point où nous en sommes, face à la morgue des élites, plutôt que de s'enfermer trop vite dans une contre-culture en fermant les écoutilles, pour, de nouveau vivre dans ce Pays comme des « émigrés de l'intérieur », ne faut-il pas essayer de voir si un réveil spirituel des musulmans de France (agissant en dehors de leurs structures maçonnisées) n'est pas un dernier moyen à notre disposition, face au triomphe du pire et des pires - face à ce que l’Épître aux Hébreux appelle « l'empire de la mort »?
Alain Hasso monde & vie 25 février 2014