Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Eric Rohmer, un cinéaste catholique d’avant-garde

par Arnaud Guyot-Jeannin

Disparu le 11 janvier 2010, Eric Rohmer a créé une œuvre cinématographique d’une rare qualité. Un coffret DVD, ainsi qu’un volume de ses nouvelles inédites et une biographie très complète viennent de sortir. Edifiants !

 

Cinéaste épris de classicisme français et de romantisme allemand, Maurice Schérer alias Eric Rohmer déconcerte ses contemporains – à fortiori des maurrassiens - par son approche littéraire du cinématographe. Il a mis en scène des films intimistes élevant l’esprit et l’âme par le truchement du verbe salvateur. « Au commencement était le Verbe » peut servir de formule évangélique – johannique – caractérisant le cinéma de « grand Momo » comme l’appelait son ami et scénariste Paul Gégauff. En effet, le catholicisme rohmérien est aussi ardent que ses personnages s’avèrent loquaces. D’ailleurs, en 1948, le jeune Schérer avait rédigé un texte axiomatique - anticipant son cinéma à la fois contemplatif et vitaliste – qui s’intitulait : « Pour un cinéma parlant ». Il s’en inspirera en publiant une « Lettre à Jacques Davila » (Les Cahiers du cinéma, mars 1990), auteur d’une comédie dramatique, La Campagne de Cicéron.

Une écriture pré-cinématographique

C’est justement entre 1940 et 1950 que Maurice Schérer écrit huit nouvelles, Friponnes de porcelaine, publiées aujourd’hui sous la forme d’un recueil. Or, le nouvelliste néophyte n’imaginait pas, non seulement, leur publication cinquante ans après, mais qu’elles serviraient comme prémices de certains de ses films. Rue Monge (1945) deviendra Ma nuit chez Maud (1968), Chantal, ou l’Epreuve (1949) constituera l’ébauche de La Collectionneuse (1965) etc. A les lire, nous constatons une juvénilité pure, immature même parfois, où certains grands thèmes filmiques ultérieurs ne figurent pas. S’il n’est pas question du pari de Pascal dans la première nouvelle, l’élitisme nietzschéo-libertaire du héros, dans la seconde, n’emporte guère la conviction. En revanche, l’écriture schérienne se caractérise par une fluidité remarquable alliée à une précision étonnante du découpage de l’ensemble. Indéniablement, il s’agit d’une écriture pré-cinématographique.

Les cahiers du cinéma

L’ouvrage très complet d’Antoine de Baecque et Noël Herpe, Eric Rohmer, est un modèle de biographie. Elle nous informe sur l’essentiel, mais aussi sur quelques détails intéressants concernant la vie très privée du Maître. Plus de cinq cents pages évoquent sa rigueur, son originalité et son indépendance au sein de La Nouvelle Vague. A cet égard, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, à partir de 1957, il en est évincé par François Truffaut et Jacques Rivette en 1963. Le premier se rattrapera en permettant financièrement à Rohmer de réaliser un peu plus tard, Ma nuit chez Maud.

Catholique d’abord !

La vision du monde d’Eric Rohmer est en symbiose avec son cinéma. Revendiquant son catholicisme, il réalise son premier long-métrage sous influence chrétienne, Le Signe du lion (1959-1962). Puis, il commet un chef d’œuvre qui pose excellemment les enjeux du pari de Pascal, Ma Nuit chez Maud (1968) avec Jean-Louis Trintignant, Françoise Fabian, Marie-Christine Barrault et Antoine Vitez.

Dans une veine toujours catholique, Eric Rohmer met en scène Perceval le Gallois (1978), d’après le roman inachevé de Chrétien de Troyes. Très théâtral et hiératique sur le plan purement formel, le film restitue un XII e siècle médiéval dans un grand dénuement. Quant au texte original, il est récité, notamment par Fabrice Luchini, en octosyllabes. L’acteur incarne originalement ce chevalier ascétique et christique avec une sorte d’illumination intérieure qui s’extériorise. Impression presque irréelle… Une lumière d’amour que seul un héros saint peut diffuser. Film difficile d’accès, il connut un échec à sa sortie…

Entre-temps, Eric Rohmer réalise des courts, moyens et long-métrages tels que La Boulangère de Monceau (1962), La Carrière de Suzanne (1963), L’Amour l’après-midi, (1972), puis La Femme de l’aviateur (1980) et Le Beau mariage (1981), où il plaide toujours subtilement en faveur du mariage et de la fidélité conjugale. Dans Les Nuits de la pleine lune (1984), il rappelle même le vieux dicton champenois résumant bien son point de vue de chrétien sédentaire : « Qui a deux femmes perd son âme/Qui a deux maisons perd la raison ».

Royaliste, traditionaliste et écologiste

Si Rohmer se proclame catholique, il s’affirme également « royaliste » (L’Anglaise et le Duc, 2001), « traditionaliste » (Triple agent, 2004) et « écologiste » (Les métamorphoses du paysage, 1964 ; L’ami de mon amie, 1987, avec la description des villes nouvelles ; le très écolo-ruraliste L’Arbre, le maire et la médiathèque, 1993 ; Comte d’Automne, 1998 ; le très pagano-chrétien, Les amours d’Astrée et de Céladon, 2006). A propos de l’écologie justement, il vote en faveur du candidat écologiste René Dumont en 1974 et se prononce pour son successeur à certains égards, Pierre Rabbi, qui échoue à proposer sa candidature aux élections présidentielles de 2002. Opposé à la frénésie productiviste et à la poubellisation de nos sociétés occidentales, Rohmer fait sien le slogan du candidat écologiste malheureux : « La croissance n’est pas une solution, elle est un problème ». Il ratifie aussi les formules qui proposent « l’insurrection des consciences » en se « libérant de la société de surconsommation », en « respectant la vie sous toutes ses formes » et en « remettant les pieds sur Terre », pour mieux regarder la lumière du Ciel…

Hostile envers le cosmopolitisme moderne, Eric Rohmer ne rend pas perceptible le phénomène de l’immigration dans ses films. Il a été accusé alors par certains critiques bien-pensants de négationnisme sociologique, voir de racisme. Des accusations auxquelles il faut répondre. Le cinéaste souhaitait faire un cinéma plaisant et arraché à toute forme d’indifférenciation identitaire. Rien ne lui était plus étranger que le nivellement moral et esthétique de la modernité tardive.

Un éloge cinématographique de la Création

Metteur en scène perfectionniste, Eric Rohmer nous présente sa vision du monde transcendantale de façon immanente. Le cosmos est instruit par la Providence. Ce qui paraît naturel peut revêtir une dimension surnaturelle. Ses personnages ont une attitude souvent légère, même lorsqu’ils se posent des questions complexes. Ils ne sont presque jamais pesants. Et leurs paroles sincères s’avèrent d’une fraîcheur vivifiante. Ils magnifient cette voie d’enfance si chère à Bernanos.

Rohmer a transposé à l’écran sa soif d’absolu dans l’amour de la Création et des créatures blessées, mais qui peuvent s’élever vers la surnature grâce à leur quête de vérité obtenant alors la vraie liberté.

L’AF 2884

Coffret intégral, 25 films en DVD + 2 DVD de courts-métrages, des dizaines d’heures de bonus inédits etc, 199, 90 euros.

Friponnes de porcelaine, Eric Rohmer, Stock, 296 p., 20 euros.

Eric Rohmer, Antoine de Baecque et Noël Herpe, Stock, 604 p., 29 euros.

http://www.actionfrancaise.net/craf/?Eric-Rohmer-un-cineaste-catholique

Les commentaires sont fermés.