La partie senestre du paysage politique français se délite lentement. La présidence de François Hollande scellera-t-elle le décès de la gauche française telle qu'elle avait été façonnée par François Mitterrand en son temps, c'est-à-dire dans les années qui suivirent Mai 68 ?
Dans un entretien à l'hebdomadaire toulousain L'Opinion indépendante du 19 septembre dernier, le sociologue Jean-Pierre Le Goff fait le constat du décès de la gauche : « Le socialisme, tel qu'il a pu exister, est en morceaux. Il n'a plus de vision historique vers plus de progrès avec un sujet central qui était la classe ouvrière et un instrument-clé qui était l'appropriation collective des moyens de production. Ce qui a constitué une dynamique historique est mort. L'avantage de la situation est qu'elle peut clarifier les différents courants de la gauche : une gauche critique et sociale, une gauche sociale-libérale assumée... Mais cette dernière avance à reculons et la gauche critique radicale s'appuie sur des schémas qui ne sont plus opérants: le mouvement ouvrier, l'avènement d'une société radicalement autre... »
L'électorat de gauche, composé des ouvriers et plus généralement des classes dites « populaires » a basculé ces dernières années dans l'abstention ou dans un vote d'adhésion au Front national. À observer l'évolution de la cote de popularité du Parti socialiste, on peut dire que son avenir s'efface au fur et à mesure...
Scissions
Le PS lui-même n'est plus à l'abri des scissions et des départs. Il y a vingt ans, en 1993, Jean-Pierre Chevènement et ses amis du CERES, hostiles au traité de Maastricht scissionnaient pour créer le Mouvement des Citoyens (MDC) devenu Mouvement Républicain et Citoyen (MRC). Ce dernier conserve trois députés et un sénateur, Chevènement lui-même qui ne se représente pas lors du scrutin du 28 septembre. En 2009, Jean-Luc Mélenchon (qui connaît actuellement une tentation de l'exil intérieur) fondait le Parti de Gauche, désormais allié au Parti communiste au sein du Front de gauche. Il ne compte plus qu'un député européen. Fin 2013, l'économiste Pierre Larrouturou et conseiller régional d'Ile-de-France fonde le parti « Nouvelle donne », avec Isabelle Attard, député socialiste du Calvados. Cette formation qui a obtenu 2,9 % aux dernières élections européennes incarne une sensibilité « réformiste » de centre gauche.
En même temps, ces scissions de forces vives du socialisme sont vouées à l'échec dans un système politique majoritaire comme celui de la Ve République. Point de salut à l'horizon pour le PS, disait-on, mais point d'issue électorale socialiste hors du PS peut-on également conclure...
Pour décrire la gauche non communiste aujourd'hui (nous laissons volontairement de côté le PCF, qui se contente de gérer sa fin de vie, ayant encore perdu en mars dernier le quart des mairies qui lui restait) il ne faut pas oublier les radicaux de gauche de Jean-Michel Baylet, seul parti classé à gauche comptant encore des membres au gouvernement (Thierry Braillard, Sylvia Pinel et Annick Girardin) en dehors du PS, qui dispose de groupes autonomes à l'Assemblée nationale, au Sénat et même au Conseil de Paris. Il est souvent à la pointe des revendications sociétales « progressistes ». Depuis cet été il faut aussi compter sur la dissidence de gauche du MoDem de François Bayrou, puisque Jean-Luc Benhamias et Christophe Mardrolle ont fondé un « Front démocrate, écologiste et social » qui ne semble pas promis à un grand avenir...
Tendances
Au sein du Parti socialiste, les clans s'organisent, entre les fameux frondeurs et les godillots. On trouvait déjà la Gauche populaire, de Laurent Baumel, décidée à reconquérir de l'espace électoral au FN, qui se nourrit des analyses sociologiques de Christophe Guilluy (le nouvel Emmanuel Todd?) et des accents péguystes de Laurent Bouvet. On observe désormais avec attention les revanchards de la bande de Martine Aubry, animés par le mari d'Anne Hidalgo, Jean-Marc Germain, député des Hauts-de-Seine. Ils sont en embuscades en partant d'un constat assez simple: si François Hollande n'est pas en mesure de se représenter et si Manuel Valls s'est brûlé les ailes, l'avenir leur appartient. Il est significatif que même l'UNEF, mouvement étudiant qui fait office de «pouponnière » pour le PS depuis quarante ans, critique ouvertement et régulièrement le gouvernement. Encore faudra-t-il probablement d'ici là compter sur un retour d'Arnaud Montebourg, affaibli mais pas détruit, retiré sur son Aventin de Saône-et-Loire dont il pourrait recouvrer la présidence du conseil général une fois terminée sa lune de miel avec Aurélie Fillipetti.
La gauche sans peuple
La gauche est en crise, la gauche se cherche.Est-ce seulement parce qu'elle a du mal à croireen elle ? Est-ce parce qu'elle a abandonné le peuple qui faisait battre son cœur ? Où est-ce commel'analyse le politologue Gaël Brustier, parce quela société française, sous l'effet d'une crise identitaire et sociale sans précédent, est en train de basculer à droite. Après avoir été sénestrogyre à partir de Mai 68, le balancier des tendances politiques serait-il vraiment dextrogyre ? Ou alors entrons-nous dans une zone de turbulence d'où desfaçons nouvelles d'aborder la politique verrons lejour ? Dans tous les cas, la gauche française,tiraillée entre réflexes marxistes et tentations néolibérales est touchée au cœur.
Jacques Cognerais monde & vie 1 octobre 2014