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Comment les villes pratiquent la chasse aux SDF

Les bancs grillagés d'Angoulême ne sont pas une exception. Beaucoup de villes, de droite comme de gauche, tentent de décourager les sans-abri de s'allonger sur les bancs publics ou de s'installer à certains endroits.

Si l’action de la municipalité d’Angoulême choque, la cité poitevine n’est pas la première à avoir pris des mesures controversées contre les SDF. Il y a deux semaines, c’était la ville de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, qui s’était retrouvée sous le feu des critiques. Le bailleur social Saint-Ouen Habitat Public avait en effet distribué des tracts à ses locataires les menaçant de les expulser s’ils laissaient dormir des SDF dans le hall de leurs immeubles ou s’ils les nourrissaient.

Cette mesure rappelait celle prise par la municipalité d’Argenteuil en 2007. A l’époque la mairie UMP de Georges Mothron s’était procuré un répulsif à l’odeur nauséabonde appelé «Malodore» pour chasser les SDF du centre-ville. La mairie avait demandé à ses agents de voirie d’utiliser ce répulsif dans les lieux habituellement occupés par des SDF. Mais conscients de la toxicité de ce produit irritant, les employés municipaux avaient refusé de le faire. C’est donc les agents d’entretien de la galerie marchande à côté de laquelle squattaient les sans-abri qui s’étaient chargés de répandre le répulsif là où ces derniers avaient l’habitude de se rendre.

«Toutes ces mesures ne sont pourtant que la partie émergée de l’iceberg», nuance Philippe Gargov. Pour ce géographe, fondateur d’un cabinet de conseil en prospective urbaine, cela fait longtemps que les municipalités mènent la vie dure aux personnes sans domicile fixe. «En général on se contente de les empêcher de dormir, ou de s’asseoir sur les bancs, dit-il. Toutes les méthodes sont bonnes. Souvent les municipalités font semblant de réaménager les bancs et engagent des travaux autour pour en éloigner les SDF. Mais ce sont des politiques insidieuses, qui ne disent pas leurs noms.»

Des politiques dont les 28 800 sans-abri dénombrés dans l’agglomération parisienne en 2012, par l’Insee, font parfois les frais. Parmi eux, Xavier, 51 ans, SDF depuis six ans. Assis sur un banc de la place de la République, entre deux cabats plastifiés et un réchaud, le cinquantenaire passe ses après-midi en compagnie de Marcel, 60 ans et Philippe, 51 ans, sans-abri eux aussi. « On ne peut pas s’installer n’importe où. Il y a de plus en plus de plots métalliques comme ceux de la rue du Faubourg du Temple, constate-t-il, pointant du doigt les rangées de plots verts dressés devant les vitrines de l’autre côté de la rue. La ville met des accoudoirs au milieu des bancs pour ne pas qu’on se couche. C’est dur de trouver un endroit où dormir. » Et Marcel d’ajouter : « On nous enlève aussi les bancs du RER. »

Florent Guéguen, directeur de la FNARS, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, déplore que l’air du temps soit au repli sur soi. «Face à la crise, une forme de fatalisme malsain est en train de se développer, regrette-t-il. Les gens sont résignés, ils acceptent ces situations qui sont pourtant dramatiques.» Un phénomène qui s’explique aussi politiquement selon lui. «Par rapport à l’année dernière, le nombre de places ouvertes par les municipalités dans les centres d’accueil a été divisé par deux», détaille-t-il. Pour lui, la vague bleue UMP qui a submergé la France lors des municipales de mars 2014 n’est pas étrangère à cette situation. «Certains maires se sont clairement fait élire sur le refus de la mixité sociale», dénonce-t-il. «A Clamart, Jean-Didier Berger a fait campagne contre les logements sociaux» s’indigne l’ancien conseiller de Bertrand Delanoë (PS).

Une position quelque peu partisane que Philippe Gargov tient à tempérer: «Ce n’est pas lié à un clivage gauche-droite. Les mesures les plus explicites, les plus choquants viennent de droite. Mais les mairies de gauche font la même chose, de manière plus discrète et moins assumée. La mairie de Paris sa targue par exemple d’aider les sans-abri mais dans la rue on peut voir des dizaines de mesures prises par des particuliers contre les plus démunis: piques, galets contondants collés à même le ciment etc. La RATP elle-même a mis en place des dispositifs pour empêcher les gens de s’allonger. Elle a ajouté des accoudoirs, ou a construit des bancs assis-debout» Un blog recense d’ailleurs toutes les mesures architecturales anti-SDF recensées dans les villes.

Un constat partagé par Ian Brossat, l’adjoint à la maire de Paris en charge du logement et de l’hébergement d’urgence. Si l’élu communiste regrette le manque de marge de manœuvre dont pourrait disposer la mairie sur les copropriétés, il ne veut pas accabler la RATP. «La mairie de Paris n’est pas du tout solidaire de ce genre de dispositifs, mais il ne faut pas oublier que la RATP fait beaucoup pour les SDF, le Recueil social par exemple.»

Chaque soir, des agents de la RATP vont en effet à la rencontre des laissés-pour-compte qui peuplent le métro parisien pour leur proposer de les accompagner vers des centres d’accueil. Pour Florent Guéguen, le patron de la FNARS, ces mesures sont pourtant insuffisantes.

«Ils envoient les SDF au centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, le CASH. Beaucoup refusent d’y aller. C’est une structure assez précaire, et ils ont souvent l’impression qu’on n’y respecte pas leur dignité.»

Que les villes soient de gauche ou de droite, un constat s’impose. Le nombre de SDF a augmenté de 50% depuis 2001. Il y en aurait environ 150 000 en France. Et deux tiers des appels au 115 restent sans réponse.

Léo Mouren et Maud Lescoffit

source : Libération

http://www.voxnr.com/cc/dep_interieur/EuEAykVAEptBgVXcSt.shtml

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