Six ans après une crise sans précédent, et malgré les appels de la presse et des citoyens, le monde politique n’a pas réussi à réduire le déséquilibre entre la sphère financière et l’économie réelle.
Pendant une trentaine d’années, le monde occidental a considéré que la déréglementation de la finance était le plus sûr moyen de doper la croissance. Cette conviction nous a conduits non pas au bord du gouffre mais dans le gouffre.
Ceux qui observent la progression fulgurante des marchés financiers depuis 2008 et concluent que nous avons échappé à la catastrophe, que nous sommes dans un nouveau cycle, se trompent lourdement. Six ans après cet automne 2008 qui a été marqué par l’effondrement du système financier, nous sommes toujours dans la crise et rien, ou presque, n’a été résolu. Nos concitoyens qui souffrent de cette crise, dans laquelle ils n’ont aucune responsabilité, attendaient pourtant de leurs dirigeants qu’ils fassent tout pour que la finance – toute la finance – soit remise à sa place, celle du financement de l’économie.
Une feuille de route très partiellement suivie
Ce « plus jamais ça », exprimé de manière unanime pendant la crise, aurait du nous conduire à faire très vite les réformes promises par les G20 de 2008-2009. Or, la feuille de route du G20 fondateur de Londres (2 avril 2009) n’a été que partiellement suivie, même si des chantiers de réforme très lourds ont été ouverts et si le renforcement des fonds propres des banques est un grand progrès. En cinq ans, on peut estimer que seulement le quart du chemin a été parcouru aux Etats-Unis.
En Europe, l’action courageuse de Michel Barnier a permis d’avancer davantage, mais les amendements du conseil des ministres européen et des parlementaires ont constamment amoindri la portée des textes. Dans le même temps, des liquidités ont été distribuées de manière massive et gratuite par les banques centrales et se sont investies dans les actifs financiers, dans la spéculation.
Il suffira d’une petite aiguille, d’un accident, pour faire éclater la bulle, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer pour l’économie réelle. Les dirigeants occidentaux ne peuvent pas ignorer cette situation dont les citoyens risquent un jour de les rendre responsables. Peut-être caressent-ils l’espoir de pouvoir dire à nouveau que les excès de la finance sont inacceptables et qu’il faut vite punir les coupables… Comme si les responsabilités étaient ailleurs, non partagées !
L’hypertrophie de la finance
L’hypertrophie de la finance, c’est-à-dire le déséquilibre gigantesque entre la sphère financière et l’économie réelle, est aujourd’hui plus évidente que jamais. Les fonds spéculatifs, les produits dérivés, la finance de l’ombre, les innovations financières les plus diverses – du trading à haute fréquence aux fonds indiciels - prospèrent comme jamais dans le passé.
On tente parfois de nous rassurer en disant que la progression très lente des chantiers de réforme s’explique par le fait qu’il faut laisser du temps pour le débat démocratique, mais en réalité ce temps est celui des lobbies. L’action des lobbies n’est pas critiquable en soi. Ils sont dans leur rôle. En revanche, que l’autorité politique accepte à ce point leur influence est un vrai déni de démocratie.
Le déni de démocratie va très loin lorsque les dirigeants politiques européens et les partis traditionnels cherchent à éviter tout débat sur la monnaie unique, ses critères, son mode de fonctionnement, de peur que cela ne perturbe les marchés. Ou lorsque ces dirigeants ferment les yeux sur la négociation transatlantique qui est conduite par la Commission seule, sans aucune présence des gouvernements, sans transparence, y compris sur les mandats des négociateurs. Entre l’écoute des marchés et l’écoute de leurs peuples, les dirigeants occidentaux se décideront-ils un jour à faire clairement le choix de la démocratie ?
Les Echos
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