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Le triomphe de La famille Bélier ou la revanche de la France périphérique

La Famille Bélier talonne Le Hobbit 3 en tête du box-office. Pour Alexandre Devecchio, cette ode à «la France profonde» s'inscrit dans la lignée des Enfants du marais ou de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?
La famille Bélier plus fort que Moïse? Ce n'est pas une surprise. Comme beaucoup de critiques l'avaient prévu, le film d'Eric Lartigau sera bien le succès de Noël et peut-être même celui de l'année. Cette «dramédie» française, au budget modeste, en salle depuis le 17 décembre, rivalise avec les superproductions américaines que sont Le Hobbit, la bataille des cinq arméesde Peter Jackson et Les Pingouins de Madagascar, le dessin animé des studios DreamWorks. Elle devrait également terrasser Exodus: Gods and Kings, version reliftée des 10 commandements par le réalisateur de Gladiator, sortie mercredi 25 décembre. Comment expliquer cet engouement ? On pourrait évoquer la redoutable efficacité du pitch: «Élevée au cœur d'une famille d'agriculteurs sourds, Paula, 16 ans, va se découvrir un don pour le chant…» Applaudir aux remarquables performances de la révélation Louane Emera et des toujours excellents François Damiens, Karine Viard et Eric Elmosnino (Gainsbourg). Ou encore louer le pouvoir d'émotion de l'ensemble. Mais, ce ne serait probablement pas suffisant. 
A l'image de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?, l'autre carton français de l'année, La Famille Bélier doit sans doute une grande part de son succès au fait qu'il s'inscrit dans son époque et répond aux inquiétudes des Français à la fois pessimistes pour leur avenir et nostalgiques d'une nation autrefois unie et enracinée. Après 1968, un vent de liberté et de subversion soufflait sur le cinéma français. Avec les années 80-90, marquées par «l'esprit Canal», celui-ci entrait dans l'ère de la dérision. A partir des années 2000, comme si les Français refusaient le passage dans un nouveau millénaire, il renoue avec une certaine tradition exaltant des valeurs que l'on croyait disparues... Au point que certains critiques crient à la réaction. En 1999, Les Enfants du marais est taxé de «pétainisme light». Cela n'empêchera pas son auteur, Jean Becker, de continuer à faire avec succès l'éloge du terroir à travers un Crime au Paradis(2001) et Dialogue avec mon jardinier (2007). En 2001, c'est le Fabuleux destin d'Amélie Poulain qui triomphe en plongeant les Français dans un Paris romantique et désuet. Le film de Jeunet se fait lui aussi critiquer pour son imagerie passéiste. En 2004, bien avant que Najat-Vallaud Belkacem ne décide de supprimer les notes à l'école, 8 millions de spectateurs renouaient à traversLes Choristes avec l'éducation à la papa. En 2008, Bienvenue chez les Ch'tisvantait la solidarité d'une France périphérique trop souvent méprisée. Enfin en 2011, Intouchables, qui tentait de réconcilier Paris et la banlieue,à travers l'histoire d'amitié entre un jeune des cités et un milliardaire tétraplégique, se voyait accusé de «racisme». En 2014, Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?, qui célébrait les vertus de l'assimilation républicaine, subissait le même sort.
Dans la lignée de tous ces succès populaires, La famille Bélier, au-delà du mélo attendu, raconte une France qui ne veut pas mourir. Comme dans les films de Jean Becker, l'action se situe loin des grandes métropoles dans les verts pâturages du pays profond. Les héros ne sont pas cadres dans une start-up informatique, mais agriculteurs. Au risque de paraître ringards et franchouillards ils préfèrent la chanson française à la techno, le fromage au lait cru aux graines de soja et leur petit village aux halls d'aéroports. Lorsque la grande distribution menace de transformer leurs champs en zone commerciale bétonnée, ils se battent pour préserver leurs paysages et leur art de vivre. Leur principale force : être une famille soudée. Comme dans Intouchables, il est question ici de handicap et d'intégration. Mais la surdité des parents et du petit frère apparait finalement presque secondaire. Comme dans toutes les familles, le repas du soir est le lieu des engueulades (même en langage de signes), l'instant social où les générations se rencontrent et échangent. Car contrairement à ce que certains critiques, un poil condescendants, ont compris, La famille Bélier estmoins une histoire d'émancipation sociale, que de transmission et de filiation. C'est parce que ses parents lui ont transmis des valeurs solides, que Paula va pouvoir quitter le nid familial pour aller à la quête de son propre destin. Sans renier son identité, ni oublier d'où elle vient. 
Une réplique prononcée par le professeur de musique de la jeune héroïne pourrait à elle seule résumer le propos du film. «Quand tout va mal et qu'il n'y a plus aucun espoir, il reste Michel Sardou … Il est à la variété française ce que Mozart est à la musique classique: intemporel!». Intemporelle, la France de La famille Bélier l'est assurément. Tout juste pourra-t-on reprocher au film d'Eric Lartigau d'être un peu trop lisse et sage. Mais nous ne sommes plus dans les années 70, il ne s'agit pas de casser les codes, encore moins de changer le monde. A l'heure de la ferme des mille vaches, l'urgence est désormais de préserver l'essentiel. 

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