« La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c'est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d'entrer dans le Paradis des Robots. » Georges Bernanos, La France contre les robots.
Notre premier ministre a déclaré que la France est en guerre. Mais l'ennemi est chez nous, au sein même de la population française. Il ne s'agit plus d'envoyer des professionnels, formés et aguerris combattre loin de nos terres, mais de se battre contre un ennemi sournois et impitoyable, qui use pour ses attaques de toutes nos libertés et des droits des citoyens français. Avant de faire une telle déclaration, encore eût-il fallu cultiver au sein du peuple français les valeurs qui font la force morale des nations. Cette nouvelle rubrique sur la guerre a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d'actualité, elle est un peu modifiée pour montrer :les Français dans la guerre, Un esprit chevaleresque par Desmond YOUNG (19)
Ce n'est pas sans raison que le maréchal Erwin von Rommel a intitulé ses mémoires : « La guerre sans haine » ; il mena la guerre du désert à la tête de son célèbre « Afrika Korps » avec un esprit chevaleresque.
« Chaque fois qu'il passait devant un de nos soldats, prisonnier ou blessé, Rommel le saluait comme un soldat en salue un autre ; il les traitait toujours très correctement. Le général-brigadier Hargest, qui fut fait prisonnier à Sidi Azeiz, fin novembre 1941, et qui fut amené devant Rommel à Bardia, avait eu la même impression. Je crois qu'il le dit dans son livre Farewell Campo 12. (Le général-brigadier Hargest fut réprimandé par Rommel pour n'avoir pas salué. « Cela ne l'empêcha pas, écrivit Hargest, de me féliciter pour la combativité de mes hommes. »)
[…]
Pour résumer l'état d'esprit qui présidait à la guerre du désert, je dois citer le général von Ravenstein. « Lorsque j'arrivai au Caire, dit-il, je fus très courtoisement reçu par l'aide de camp du général Auchinleck. Puis je fus introduit dans le propre bureau du général. Il me serra la main et me dit : « Je vous connais très bien de nom. Votre division et vous-même, avez combattu avec un esprit chevaleresque. Je désire vous traiter aussi bien que possible... » Avant de quitter Le Caire, j'avais appris que le général Campbell venait d'être décoré de la « Victoria Cross ». Je demandai et obtins la permission de lui écrire. J'ai toujours une copie de ma lettre : si elle vous intéresse. »
Cette lettre dit :
Abbasia, 10 février 1942.
Cher Major-Général Campbell,
J'ai lu dans le journal que vous aviez été mon courageux adversaire au cours de la bataille de chars de Sidi Rezegh, les 21-22 novembre 1941. C'était ma 21e division de panzers qui combattait ces jours-là la 7edivision blindée pour laquelle j'ai la plus vive admiration. Votre 7egroupe de soutien de l'artillerie royale nous a rendu le combat également très dur et j'ai encore dans les oreilles le sifflement de ses obus près de l'aérodrome.
Les camarades allemands vous félicitent de tout cœur pour votre « Victoria Cross ».
Pendant la guerre votre ennemi, mais avec le plus grand respect.
Von RAVENSTEIN
« Jock » Campbell fut tué peu après, sa voiture s'étant retournée près de Buq-Buq. Mais il eut le temps de recevoir cette lettre et d'en faire afficher des copies, sur les tableaux de service des mess, peu après la revue au cours de laquelle sa décoration lui fut remise.
On peut prendre deux positions sur la question de l'esprit chevaleresque à la guerre. Celle du général von Ravenstein ou celle du général Eisenhower, qui écrit dans Crusade in Europe : « Lorsque von Arnim traversa Alger, en route pour son camp de prisonniers, certains membres de mon état-major pensèrent que je devais respecter l'usage du passé et lui permettre de me voir. Cette coutume trouve son origine dans le fait que les mercenaires de jadis n'éprouvaient aucune animosité envers leurs adversaires. Les deux côtés se battaient pour le plaisir du combat, en dehors de tout sentiment du devoir, et, le plus souvent, pour de l'argent. Un chef fait prisonnier au XVIIIe siècle était, pendant des semaines ou des mois, l'hôte honoré de son vainqueur. La tradition selon laquelle les soldats de carrière sont des frères d'armes a, sous une forme dégénérée, persisté jusqu'à nos jours.
En ce qui me concerne, la Deuxième Guerre mondiale était une affaire beaucoup trop personnelle pour que j'entretinsse de tels sentiments. A mesure qu'elle se développait, une conviction se fortifiait en moi : jamais auparavant, au cours d'une guerre qui fait s'affronter tant de peuples, les forces qui défendent le bien de l'humanité et les droits de l'homme n'ont eu à le faire devant une conspiration d'une méchanceté aussi évidente et complète ; il ne pouvait y avoir avec elle aucun compromis. Comme il ne pouvait y avoir de monde possible qu'après une complète destruction des forces de l'Axe, cette guerre fut pour moi une croisade...
Dans ce cas particulier, je dis donc à mon officier de renseignements de tirer toutes les informations possibles des généraux faits prisonniers ; mais que, en ce qui me concernait, je m'intéressais seulement aux généraux encore en liberté. Je ne permettrais à aucun d'eux de m'être présenté. J'observai cette règle de conduite jusqu'à la fin de la guerre. Je n'ai jamais adressé la parole à un général allemand avant le jour où le maréchal Jodl signa l'acte de reddition à Reims, en 1945 ; les seuls mots que je lui adressai alors furent pour lui dire que je le tenais personnellement pour entièrement responsable de l'exécution des termes de l'acte de reddition. »
Le général Eisenhower est un homme sage et généreux avec qui on ne se trouve pas volontiers en désaccord. Son attitude est parfaitement logique et compréhensible. Néanmoins, certains pensent que, même usées jusqu'à la corde, certaines traditions méritent d'être sauvegardées pour le cas où, les guerres étant terminées, vainqueurs et vaincus se trouvent dans l'obligation de vivre et de travailler dans le même monde. »
Desmond Young
Extrait de : « Rommel »
Ed. "J'ai lu" – 1962.
Lois Spalwer http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html