« A 11 heures, tous les clairons,là où ils sont, exécuteront la sonnerie du Cessez-le-feu. Ensuite, tous sonneront Au drapeau ». Quand, en cette fin de matinée du 11 novembre 1918, les clairons, appliquant la consigne, se répondent les uns aux autres, de tranchée en tranchée, les hommes couverts de boue qui se dressent, d’abord ébahis, puis enthousiastes, sont persuadés de vivre, enfin, le point final d’un trop long cauchemar - un cauchemar, ininterrompu, de quatre ans. Ils sont vivants, ils sont vainqueurs.
Voici donc la fin de la Der des Der, un conflit si meurtrier (1 400 000 morts du côté français, près de 9 millions pour l’ensemble des combattants, sans parler des civils) que l’histoire du monde n’en avait jamais connu de comparable. Un tel tribut, un tel flot de sang répandu, ne doit plus jamais être versé, pour quelle raison que ce soit. C’est la conviction des survivants, qui sera illustrée par la vague de pacifisme qui marquera durablement les consciences de beaucoup d’entre eux, comme on le voit à travers l’oeuvre littéraire d’un Jean Giono ou l’action politique d’un Marcel Déat, traumatisés à jamais par l’enfer qu’ils ont traversé (voir Le grand troupeau de Giono et les Mémoires politiques de Déat).
La victoire des Alliés a provoqué une vague d’optimisme, surtout en France. Le pays est épuisé ? Certes, mais on va relever les ruines, repartir de l’avant, car « l’Allemagne paiera ». Comment ? On ne veut pas le savoir. De toute façon il faut marquer d’infamie, pour toujours, l’adversaire d’hier qui est seul coupable de la tragédie et qui ne doit plus jamais avoir les moyens de relever la tête et d’envisager une « revanche », comme celle dont l’espoir avait permis aux Français de surmonter l’humiliation de 1870. Il fallait donc anéantir une bonne fois le potentiel allemand en lui imposant, par les futurs traités de paix, des conditions si draconiennes qu’il ne pourrait pas s’en relever. Ce qui va nourrir, dans les années suivantes, un puissant sentiment d’injustice mobilisant très vite ceux des Allemands qui refuseront de se soumettre au nouvel ordre voulu par les Alliés. Un ordre qui devait concrétiser les utopies dont se targuait Woodrow Wilson et qui étaient partagées par nombre de politiciens européens, particulièrement en France. Wilson jouait les prophètes en annonçant pour le monde une nouvelle ère, marquée par l’avènement de la paix et de la prospérité générales, garanties par le règne de la démocratie et du libre marché - qu’il fallait au besoin imposer aux récalcitrants… Ce dangereux rêveur a cru trouver la solution miracle avec la création d’une Société des Nations qui allait vite faire preuve de son inutilité. Sans voir ou sans vouloir voir qu’en brisant les cadres de l’Europe d’avant 1914 il ouvrait la boîte de Pandore d’où sortiraient, dans les vingt années qui allaient suivre, des conflits inexpiables.
Le triomphalisme français était aveugle. Il n’avait pas conscience que la grande saignée subie par la France la privait d’un capital humain irremplaçable. Il ne percevait pas non pus qu’une révolution était en marche, la plus grave de toutes car c’était une révolution des moeurs et des mentalités importée par les seuls vrais vainqueurs de la guerre mondiale, les yankees. Le bouleversement de civilisation qu’apporteraient ces hommes naïvement salués comme des sauveurs a été bien analysé par Dominique Venner : « L’effondrement des références nationales, idéologiques et religieuses, l’explosion des égoïsmes individuels, l’implosion des couples et des familles, le démantèlement des anciens modèles éducatifs, la disparition des finalités collectives, la prolifération du cynisme et de la corruption ont brisé les ancrages anciens, sans créer de nouveaux points d’appui » (La Nouvelle Revue d’Histoire, n° 39, novembre 2008)
Dans le film sans doute le plus connu de ceux suscités par 14-18, La Grande Illusion, Jean Renoir, ancien combattant d’un grand courage, a voulu montrer, selon ses propres dires, « une guerre de messieurs, des gens bien élevés, j’ose dire une guerre de gentilshommes ». Mais les deux gentilshommes qu’incarnent Von Stroheim et le grand Pierre Fresnay savent, comme le dit un moment leur dialogue, que tous deux, l’Allemand et le Français, incarnent des vertus condamnées par la médiocrité démocratique.
Pierre Vial Rivarol du 27 11 2015