Alors que s’ouvre ces jours-ci à Milan l’exposition universelle, à l’organisation de laquelle la France est candidate pour l’édition de 2025, le Conseil municipal de Paris vient également de donner son feu vert pour tenter d’accueillir les Jeux olympiques de 2024.
Le contexte actuel « plaide en faveur d’une nouvelle ambition territoriale à rayonnement mondial. La France a besoin d’un grand projet qui confirme sa vocation dans la mondialisation, fixe ses axes de croissance et stimule son attractivité. L’organisation d’une exposition universelle en 2025 concrétiserait cette ambition. » Quoique très convenue et assez insipide, cette déclaration d’intention signée Jean-Christophe Fromantin (président d’ExpoFrance 2025) résume assez bien le double enjeu, économique et anthropologique, porté par ce type d’événement. L’aspect économique de ces projets est le principal argument avancé par leurs promoteurs – mais aussi par leurs détracteurs. Un peu d’empirisme s’impose. Le budget prévisionnel d’ExpoFrance 2025, qui s’élève à 3 milliards d’euros, est un présenté sans sollicitation de fonds publics. L’idée est d’en faire ce que nous oserons nommer un event funding, c’est-à-dire une participation au capital des entreprises impliquées plutôt qu’un contrat classique organisateurs-exposants. L’Exposition est en effet une vitrine pour les entreprises, une sorte de salon professionnel de plusieurs mois avec un rayonnement mondial. De quoi générer de l’activité pour plusieurs années, à l’image de Gustave Eiffel qui avait engrangé plusieurs commandes après l’Exposition de 1889.
Les chiffres sont têtus
Historiquement, il semble que bon nombre d’expositions se soient soldées par un bénéfice, même s’il faut préciser que celle de 1900 a été un déboire financier pour beaucoup de Parisiens qui y avaient souscrit financièrement, ou encore rappeler la faillite de l’organisateur à la Nouvelle-Orléans en 1984, faute de visiteurs en nombre suffisant. Du côté des Jeux olympiques, le budget prévisionnel affiche 4 milliards d’euros. C’est bien peu crédible, quand on sait que les derniers JO ont coûté aux Anglais 11 milliards et que ceux d’Albertville (JO d’hiver, beaucoup moins lourds à organiser) avaient déjà coûté 1,2 milliards en 1992 (hors inflation), soit deux fois plus que l’estimation initiale. À Athènes (2004), les 9 milliards d’euros de budget final (5 % de la richesse du pays) ne sont sans doute pas pour rien dans la situation des finances publiques grecques. Comment croire que la France, championne hors pair des déficits, soit capable d’organiser des Jeux d’une telle sobriété budgétaire ? Surtout dans une zone compliquée comme Paris en raison de sa densité urbaine… Il convient, enfin, d’ajouter qu’à Londres comme à Athènes, l’élan touristique annoncé n’a pas eu lieu. Sotchi est quasiment devenue une ville fantôme, et partout les JO ont entraîné une baisse de la fréquentation touristique (tourisme olympique contre tourisme classique). Tout ceci explique sans doute pourquoi la ville de Toronto a finalement renoncé à une candidature à l’organisation des JO pour des raisons budgétaires… mais pas à l’Exposition universelle.
Du coca et des jeux
Au-delà des aspects économiques, qui plaident sans appel en faveur de l’Exposition, il ne faut pas négliger la portée symbolique, voire philosophique, de ces événements. Risquons l’anachronisme en retournant à Maurras qui abordait les premiers JO modernes avec scepticisme : « Ce mélange de peuples risquait, à mon sens, d’aboutir non point à un intelligent et raisonnable classement des nations modernes, mais aux pires désordres du cosmopolitisme. » Mais sur place, il reconnaissait que « bien loin d’étouffer les passions patriotiques, tout ce faux cosmopolitisme du Stade ne fait que les exaspérer ». Les JO furent donc, pour Maurras, une agréable surprise. À l’inverse, le Martégal comptait parmi les opposants à l’érection de la tour Eiffel. La tradition étant critique, nous nous félicitons, au contraire, de l’invitation à l’excellence nationale que représente l’Exposition pour nos entreprises, alors que les JO sont devenus, à notre sens, tout ce que Maurras aurait pu détester dans les expositions : le symbole du capitalisme dans ce qu’il a de plus vil, le culte de la performance absolue et l’utopie d’un monde uniformisé, de l’homo festivus dans un monde sans joie. Fait hautement symbolique, on vit ainsi Mittal lui-même porter la flamme olympique des JO de Londres. Mais si Londres a convoqué Mittal, ExpoFrance 2025 aura pour délégué interministériel Pascal Lamy, ancien dirigeant de l’OMC, avec la bénédiction de Fromantin.
Dans l’esprit du maire de Neuilly, l’Exposition doit toutefois permettre de recréer un lien entre les Français et leur culture, bref, les ré-enraciner pour mieux leur faire redécouvrir leur vocation universelle : remettre l’économie et le progrès au service d’hommes enracinés dans leur territoire et leur culture, si l’on lit entre les lignes. Le fait que le projet ne soit pas limité au Grand Paris, mais soit étendu aux métropoles régionales, est encore un avantage face au parisianisme assumé des JO. Peut-être la capacité de subversion des événements par l’idéologie nihiliste aura-t-elle raison de cette ambition (l’évolution de la fête des Lumières à Lyon, par exemple, laisse songeur). Du reste, le pape François a prévenu : « D’une certaine façon, l’Expo elle-même fait partie de ce paradoxe de l’abondance, elle obéit à la culture du jetable et ne contribue pas au modèle du développement durable et équitable. » Gageons que l’implication d’un député empreint de christianisme et de bon sens (voir ses récentes déclarations sur la décentralisation, par exemple) nous en garde ; nous payons pour voir.
Organiser l’expo, gagner les JO
Alors, JO ou expo, pourquoi pas les deux ? Tout simplement parce que l’Exposition apparaît comme une véritable opportunité (ce qu’il faudra démontrer), avec les risques inhérents à tout projet d’une telle envergure, quand les JO se révèlent être une contrainte et un luxe qui ne nous est aujourd’hui pas permis. Cela ne nous empêchera pas de le regretter, et surtout de souhaiter que les Français brillent dans leur discipline, où que se déroulent les Jeux. Car contrairement à l’Exposition universelle, cette forme persistante de patriotisme qui accompagne malgré tout le sport, et qui frappait Maurras, demeure susceptible d’apporter au peuple français un peu d’enthousiasme, de fierté et de confiance en lui ; tout ce que la classe politique est aujourd’hui incapable de lui offrir, quand elle ne le lui retire pas.
Pierre Marchand
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Les-Jeux-olympiques-ou-l