Christopher Lasch, à travers plusieurs ouvrages, a analysé les évolutions et mutations de la société étasunienne de la seconde moitié du XXe siècle. A contre-courant de la pensée dominante, il identifie les changements comportementaux des différentes composantes de cette société, leur impact économique, politique et social et les risques que ceux-ci font courir à la société américaine et finalement à la démocratie que les Etats-Unis incarnent depuis deux siècles.
C’est dans son dernier ouvrage : « La révolte des élites et la trahison de la démocratie » qu’il expose et structure définitivement son observation critique. Il y aborde et y développe des thèmes et situations communs à l’ensemble des sociétés occidentales . Christopher Lasch pose la question de la survie de la démocratie et les options pour préserver les valeurs qui non seulement sont à la base de notre organisation politique mais plus largement à l’origine de notre civilisation occidentale.
Les titres des chapitres choisis par C.Lasch sont éloquents et énoncent clairement ses conceptions politiques et sociales. Nous respecterons donc son approche en retenant ces titres et l’articulation de sa pensée dans la conception de l’ouvrage.
Le chapitre introductif aborde d’emblée le malaise de la démocratie.
Le malaise dans la démocratie
Les nouvelles élites sociales, où figurent les dirigeants d’entreprises et toutes les professions qui produisent et manipulent de l’information sont beaucoup plus internationales et migrantes que leurs prédécesseurs. Pour progresser dans les affaires et les professions intellectuelles, elles sont prêtes à suivre les opportunités. Jamais la réussite n’a été plus étroitement associée à la mobilité. Pour C.Lasch, son avènement au XXème est une indication importante de l’érosion de la démocratie car elle ne s’inscrit plus dans la perspective d’égalité des conditions sociales mais plutôt dans la promotion sélective dans la classe professionnelle managériale.
Ces nouvelles élites sont en rébellion contre « l’Amérique du milieu ». Ceux qui aspirent à appartenir à la nouvelle aristocratie cultivent leurs attaches avec le marché international par l’argent hyper-mobile. On peut se demander s’ils se pensent encore américains tant ils tendent à se distinguer de la communauté.
Cette communauté s’est d’ailleurs morcelée depuis l’après seconde guerre mondiale et la perte de responsabilité des hommes et des femmes autrefois indépendant de l’Etat est la marque du déclin qui remet en cause l’avenir de la démocratie. Considérant cette perte de responsabilité, la nouvelle élite est sceptique quant à la capacité des citoyens ordinaires à saisir des problèmes complexes et à produire des jugements critiques. L’époque du « citoyen omnicompétent » est finie. Nous sommes dans une époque de spécialisation où les questions sont laissées aux experts. Désormais, selon Lasch, l’information tend non pas à promouvoir le débat mais à y couper court. Ainsi l’absence d’échanges démocratiques au travers du débat public écarte le stimulant qui pourrait pousser les individus à maîtriser le savoir qui ferait d’eux des citoyens capables. De même, cette élite cosmopolite combat contre « l’ordre dominant » c'est-à-dire celui de l’homme blanc euro-centrique et fait naître par réaction une politique identitaire pour les minorités et une promotion de la diversité où l’opinion devient relative en fonction de l’identité raciale et ethnique, du sexe ou de la préférence sexuelle.
Pour C.Lasch, ici réside un des points clé du malaise dans la démocratie. Quand l’argent parle, tout le monde est condamné à écouter. Pour cette raison une société démocratique ne peut autoriser une accumulation illimitée du capital. L’égalité sociale et civique présuppose que l’on s’approche de l’égalité économique.