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Rivarol : un aristocrate de l'esprit

« Ce qui n'est pas clair n'est pas français ». On reconnaît le célèbre Discours sur l'universalité de la langue française de Rivarol. Il se trouve repris, avec ses œuvres dont pour la première fois on peut dire que ce sont ses œuvres complètes dans un recueil que nous offre la collection Bouquins, intitulé L'art de l'insolence et qui, en plus de 1 000 pages, pour 34 euros, nous offre, en plus de Rivarol, Chamfort et Vauvenargues.

Ces trois auteurs ont illustré le XVIIIe siècle, mais il faut le dire, ils n'ont guère en commun que la langue (un français simple et raffiné), le goût de l'épigramme et aussi une destinée interrompue. Vauvenargues, ami de Voltaire qui fit son panégyrique, est un stoïcien qui cherche Dieu et meurt à 31 ans. Chamfort un académicien matérialiste, qui manque trois fois son suicide, avant de mourir quelques mois plus tard, à 54 ans, en 1794, d'une « humeur dartreuse ». Rivarol un bel esprit, qui meurt à 41 ans, sans avoir fourni le grand ouvrage sur le pouvoir politique qu'il méditait. Ces trois destins sont interrompus, ils n'ont pu donner leur pleine mesure...

S'il faut lire Rivarol. encore aujourd'hui, ce n'est pas pour son Discours sur l'universalité de la langue française, même s'il chatouille notre chauvinisme, c'est plutôt me semble-t-il pour sa contribution de journaliste à la connaissance de la Révolution française. Dans ce rôle, que ce soit au Journal Politique et National de l'abbé de Castrie ou bien dans ce brulôt. intitulé Les Actes des apôtres, il manifesta une lucidité et une ironie cinglante, dont nous pouvons encore percevoir la pertinence. Il nous prévient : « Nous croyons rendre à la patrie un service important en dénonçant le persiflage comme une aristocratie et de l'espèce la plus dangereuse : car on peut définir le persiflage, l'aristocratie de l'esprit ». Antoine de Rivarol, qui était fils d'un simple aubergiste d'origine italienne, un certain Rivaroli, se dénonçait ici lui-même avec ironie : il fut un formidable persifleur - un véritable aristocrate de l'esprit, un bretteur, jamais meilleur que dans la tourmente révolutionnaire.

Habile, vertueux ou... magicien ?

Plus l'occasion est minuscule, plus il excelle, en particulier dans Les Actes des apôtres, cette série de pamphlets, écrits pour saluer, en le tournant en dérision, le nouvel Évangile révolutionnaire. Voyez la manière dont il règle son compte à M. Suard, ancien fonctionnaire de la police de Louis XVI, membre de l'Académie, passionné de Révolution, mais aujourd'hui inconnu au bataillon des révolutionnaires : « M. Suard, l'homme de son temps qui fait le mieux ce qui est à faire, a passé de la police à la liberté, et il n'y a pas trouvé grande différence. Toute la révolution selon lui se réduit à ceci : qu 'on pouvait jadis penser sans parler et qu'on peut aujourd'hui parler sans penser ». Cette parlure sans pensée, c'est ce que l'on appelle l'idéologie. La parole n'est effectivement plus l'expression de jugements ou de raisonnements personnels, mais le gage d'une adhésion à la non-pensée collective. Rivarol, il faut le dire, est passionné par cette puissance de la parole qui peut aller jusqu'à se substituer à la pensée. Contre la Révolution il n'avait que son esprit. Face à la Révolution, il n'a su concevoir qu'un dictionnaire, dont il a d'ailleurs surtout écrit un abondant Discours préliminaire. « Celui qui créa l'alphabet (il parle de Dieu bien sûr) remit en nos mains le fil de nos pensées et la clé de la nature ». Le crime de la Révolution est d'abord un crime contre ce don de Dieu, un crime contre le langage, un abus de mots.

Dans le Journal Politique et national, il se fait analyste, je ne sais si les historiens d'aujourd'hui l'ont lu d'assez près. Voici son diagnostic sur la Révolution, il s'adresse à l'Assemblée nationale : « Je dis que vous ne pouviez éviter le bien que vous avez fait parce qu'il était une conséquence nécessaire de la subversion générale de l'Ancien régime. Les abus sont tombés d'eux-mêmes parce qu 'ils n 'avaient plus de support, le mal a cessé parce qu 'il ne pouvait durer : il n'est point de gloire pour vous. Louis XVI, après les pénibles tâtonnements de l'inexpérience, après avoir essayé quarante ministres en quinze ans, a demandé répit à son peuple ». La suite me fait irrésistiblement penser à notre temps et aux déficits abyssaux dans lesquels nous plongeons « La première place de l'Etat, celle de ministre des Finances, n'était plus tenable. On n 'y vivait depuis longtemps que de tours d'adresse et d'industrie ; le plus sage y était le plus embarrassé. Enfin on s'est vu réduit à chercher non un homme habile mais un homme vertueux, ce qui est en France le comble de la détresse. Mais des vertus ne suffisaient pas ; il fallait des miracles et M. Necker cède à la vanité d'en promettre »... Décidément, rien de nouveau sous le soleil morne de la politique française : à quand la Révolution ?

Guillaume de Tanoüarn monde&vie 27 avril 2016

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