Il faut redécouvrir « L’Histoire des Gaulois », le best-seller des années 1820, qui a lancé Vercingétorix, le chef arverne rassembleur de la Gaule. Extraits.
« Ainsi donc ma tâche est achevée. J’avais entrepris de tracer les destinées de la race gauloise, et j’ai atteint successivement les époques où sur tous les points du globe elle a fini comme nation, non comme race, car les races humaines ne meurent point ainsi. » C’est ainsi que l’historien Amédée Thierry conclut sa monumentale Histoire des Gaulois, publiée en 1825.
Livre fondateur, puisque c’est lui qui « invente » en quelque sorte le personnage de Vercingétorix (voir encadré), un chef arverne dont il fait le héros magnifique d’une saga tragique, celle du peuple gaulois résistant à l’opposant romain. Le livre en son temps sera un best-seller, qui vaudra un poste de professeur d’université à son auteur, avant que celui-ci n’entame une longue carrière de préfet puis de sénateur. Pendant des générations, il sera considéré comme un classique, l’un des premiers chapitres du roman fondateur de l’identité française. Depuis des années pourtant, il n’était plus réédité, et lu seulement par quelques chercheurs qui s’en régalaient entre initiés. Belle initiative, la Bibliothèque nationale de France le propose comme une centaine d’autres chefs-d’œuvre oubliés sous format e-book à lire sur tablette.
Vercingétorix version numérique : une manière moderne de découvrir une façon différente de faire de l’histoire, un peu oubliée aujourd’hui, très bien informée, certes, mais lyrique, passionnée, incarnée, l’historien se faisant le porte-parole d’une France en mal de grandeur, à la recherche d’énergie nouvelle.
Nous sommes sous Charles X; le pays ronge son frein sous le joug des Bourbons en essayant d’oublier les drames de la Révolution et l’Empire fracassé. Les historiens fouillent les archives, se passionnent pour l’archéologie. Revenir aux Gaulois, c’est se construire un avenir en se donnant des racines, et des modèles. « Est-ce là tout ? écrit Thierry en conclusion de son énorme somme. Descendants des soldats de Brenn et de Vercingétorix, des citoyens de Carnutum et de Gergovie, des sénats de Durocortorum et de Bibracte, n’avons-nous plus rien de nos pères ? Ce type si fortement empreint sur les premières générations, le temps l’a-t-il effacé des dernières ?
Peuple des sociétés modernes, la civilisation, ce costume des races humaines, a-t-elle transformé chez nous en même temps que recouvert le vieil homme? Et si nous nous examinions bien dans quelqu’une de ces crises où les peuples, brisant toutes les conventions sociales, se remontrent, pour ainsi dire, dans la nudité de leur nature, serait-il impossible de découvrir quelque signe de cette parenté de vertus et de vices ? Je ne sais ; mais en traçant les récits de ce long ouvrage, plus d’une fois je me suis arrêté d’émotion ; plus d’une fois, j’ai cru voir passer devant mes yeux l’image d’hommes sortis d’entre nous ; et j’en ai conclu que nos bonnes et nos mauvaises dispositions ne sont point nées d’hier sur cette terre où nous les laisserons. »(…)
– et Vercingétorix, aux acclamations unanimes du peuple de la ville et de celui des campagnes, fut investi du souverain commandement militaire. Revêtu de cette puissance, il envoie aussitôt des députés, à toutes les nations conjurées, leur rappelant « que l’heure est arrivée ; que le sang romain a coulé dans Génabum. » Les Sénons, les Parises, les Pictons, les Cadurkes, les Turons, les Aulerkes, les Lémovikes, les Andes et généralement toutes les cités armoricaines répondent à son appel. On organise d’abord un conseil suprême, chargé de délibérer sur le choix d’un chef.
Comme le crédit de Vercingétorix n’était pas moindre dans les états-généraux de la Gaule que dans les assemblées particulières du peuple arverne, et que d’ailleurs sa nation tenait le premier rang dans la coalition, le conseil lui remet, d’une commune voix, le commandement de la guerre. Alors, au nom de son autorité absolue, il exige de toutes les cités des otages, il fixe les contingens de troupes actives et de milices, la quantité de vivres et d’armes qui doit être réunie dans les places ; il porte une attention particulière à l’organisation de la cavalerie ; enfin, invoquant au besoin une rigueur justifiée par la nécessité et par les coutumes du pays, il emploie, contre quiconque résiste ou balance, la terreur des supplices ; il punit les délits graves par la torture et le feu ; les moindres, par la perte d’un œil ou des oreilles, et renvoie ainsi mutilé le coupable dans ses foyers pour servir de leçon aux lâches, aux indifférens et aux traîtres.
Amédée Thierry, « Histoire des Gaulois », Chapitre VIII, 1825