Par Olivier Pichon, journaliste, homme politique
Trop d’incertitudes pèsent sur les conditions d’un retour réel à la prospérité. L’économie réelle est malmenée par l’économie virtuelle. Des fusions-acquisition retentissantes ne sauraient dissimuler les zones d’ombre et les énormes risques qui affectent les économies nationales. La finance peut ruiner la croissance.
Une reprise économique conjoncturelle est annoncée, en France, à grand renfort de tambours médiatiques. Mais cette euphorie qui ne touche que certains milieux, permet de masquer de graves dangers structurels. Il est vrai que la France renoue avec un peu de croissance, que les chefs d’entreprise voient leurs carnets de commandes s’étoffer et que l’investissement reprend. Cependant, le marché du travail ne repart pas de façon significative. Le commerce extérieur reste très fortement déficitaire (63 milliards d’euros), le déficit public ne baisse pas et, donc, la dette publique non plus. Enfin, le contexte de cette reprise, pour la France comme pour le monde, ne laisse pas d’inquiéter, tant les conditions qui provoquèrent la crise des subprimes en 2008 sont reconduites et aujourd’hui, dans l’économie mondialisée, à la puissance 10.
La reprise française : incertaine
La croissance moyenne retrouvée de 3,6 % dans les pays de l’OCDE n’est pas celle de la France qui se trouve bien en dessous, à 1,7%. La dette privée des entreprises et des ménages s’ajoute au risque annoncé des dettes publiques : notamment, celles de la France et des États-Unis, soit 100 % du PIB, sans compter les dettes cachées : en France, toutes celles qui sont non incluses dans le montant officiel de la dette française de plus de 2 200 milliards d’euros. La principale raison de ces accumulations de dettes est due aux taux d’intérêt ridiculement bas, et donc la responsabilité essentielle en incombe aux banques centrales ; nos gouvernements ont profité avec une délectation irresponsable de cette manne de « la planche à billets ».
En France, la dette des entreprises représente 168,3 % du PIB, la dette des ménages, 109 %. L’endettement moyen des pays de l’OCDE a bondi : de 80 % du revenu disponible en 1995 à 140 % en 2015. D’aucuns veulent se rassurer, en arguant de la croissance du marché immobilier et de la bourse. C’est une grave erreur d’optique ; les cours sont dopés par les taux bas, et c’est aussi un genre de bulle qui précède généralement le retournement du marché, annonciateur d’une crise possible : en 1929, l’immobilier était au plus haut aux USA, la bourse aussi ! Quant aux entreprises, les mêmes taux bas leur permettent de racheter leurs propres actions pour faire monter les cours. Ainsi la politique dite de quantitative easing, facilités monétaires des banques centrales, a pour effet de gonfler ces mêmes bulles sans véritablement créer des actifs réels. C’est par là que l’économie virtuelle pénètre l’économie réelle et la tue aussi sûrement que le gui sur un pommier.
Macron comme les autres : une forte addiction à la dépense publique
Les déficits publics continuent de friser les 3 %. L’administration centrale, qui vivait 55 jours à crédit l’an passé, devrait être encore plus déficitaire l’an prochain. Si l’on s’en tient à la loi de Finances, la situation empirera : l’État financerait l’an prochain 1/5e de ses dépenses en émettant de la dette ; la France sera donc avant-dernière de l’UE en termes d’équilibre budgétaire. Or, la persistance des déficits ne s’explique pas par la faiblesse des recettes publiques. L’administration française, malgré le discours sur la fraude et l’optimisation fiscale, est réputée pour sa capacité à « chaluter » les fonds et figure parmi les champions de la collecte, en ramassant plus que la plupart des nos voisins européens qui, eux, au moins, équilibrent leurs comptes ! C’est chez nous autour de 57% – moyenne OCDE 46% – de la richesse nationale qui passe par les mains de l’État, et l’on nous parle d’ultra-libéralisme ! Pire encore : si au moins, cette dépense publique pouvait profiter à la croissance ; mais non, la dépense collective se perd dans l’inefficacité d’une administration pléthorique et nonchalante, sauf celle des impôts !
La France infirme doublement la thèse de Keynes : le multiplicateur budgétaire keynésien aurait dû provoquer une croissance plus forte du PIB ; or, il n’en est rien. Quant à la monnaie bon marché, cheap money, censée favoriser l’investissement et soutenir l’activité, là aussi, c’est l’inverse qui s’observe : la France achète cher et à crédit (déficit 3%) une croissance faible (1,7%). Il nous avait semblé que Macron avait compris qu’il fallait faire subir à la France une cure de désintoxication à la dépense publique ; il apparaît qu’il n’en aura pas les moyens, sinon le courage ; le problème étant, dans ces conditions, que la France ne dispose pas de filet de sécurité pour faire face aux chocs que l’avenir réserve.
Les investisseurs devraient se préparer à la normalisation prochaine des taux d’intérêt commencée aux USA. Ces dernières années, l’assouplissement quantitatif, quantitative easing, a favorisé le crédit à bon marché. Dès lors que la demande mondiale repart et que les taux d’intérêt vont augmenter, les entreprises vont payer au prix fort leurs investissements réellement productifs, ce qui ne manquera pas de les freiner. Les taux d’intérêt plus élevés risquent de compromettre gravement les budgets publics et de conduire les États à la faillite. Songeons seulement qu’avec des taux proches de zéro, le budget de la France est déjà grevé de 45 milliards au titre du service de la dette ; imaginons maintenant une hausse de quelques points de ces taux et c’est 50, 60, 70 milliards d’euros à prendre sur la richesse nationale ! De plus, la dette française n’est plus nationale : elle est majoritairement détenue par l’étranger, 65% selon l’Agence France Trésor. En 2018, les dépenses totales de l’État atteindront 424,7 milliards d’euros. Quant au déficit de l’État, il atteindra les 82,9 milliards d’euros à la fin de l’année prochaine, contre 76,5 milliards d’euros en 2017. Ce qui représente une hausse de 6,4 milliards d’euros. Avec un ratio dette/PIB aux environ de 100% et un déficit de 3% du PIB, il faudrait une croissance de 3% pour stabiliser la dette. Dès lors il n’est pas besoin d’être grand clerc pour imaginer les conséquences budgétaires d’un tel choc : le service annuel de la dette représenterait par exemple le total du budget de l’Éducation, voire le total du déficit !
On pressent déjà l’inévitable recours à une politique fiscale répressive qui s’en suivra. Cette dette a doublé en l’espace de 12 ans et, depuis 1978… elle a été multipliée par 27 ! En 1980, il fallait à peine un tiers des impôts sur le revenu pour s’acquitter des intérêts. Aujourd’hui, c’est plus de la moitié de nos impôts qui passe dans le simple remboursement des intérêts, sans compter le capital.
Un système financier mondial menacé et menaçant
Hubert Rodarie a justement dénoncé selon le titre de son livre (Ed. Salvator) La pente despotique de l’économie mondiale. Bientôt 10 ans après la crise des « subprimes », que constate le professionnel ? Le système ne s’est pas remis en cause. Les acteurs financiers sont désormais réduits à de pures machines dont chaque rouage est inspecté en permanence par la police du marché. « L’Occident est en train de devenir soviétique. Mais une machine qui croule sous les contraintes s’use et se dérègle au risque de devenir inefficace. Le système consiste en effet à maintenir des déséquilibres, voire à les créer. » Comment ? Par le maintien de taux de change officiellement libres, mais en réalité quasi fixes. De là, l’auteur détaille ce que les politiques cachent : le coût véritable du système, c’est-à-dire la désindustrialisation générale et le chômage des pays développés et, dans les pays émergents, le sacrifice de plusieurs générations qui auront sué sang et eau pour nourrir l’insatiable consommation de l’Occident sans jamais bénéficier elles-mêmes du fruit légitime de leur travail. Résultat : les classes moyennes disparaissent en Occident quand elles naissent à peine dans les pays émergents.
Bien évidemment, ces constats ne dissuaderont pas l’État d’augmenter sa pression… bien au contraire. La France s’est même dotée depuis quelques années d’une « exit tax » qui tient presque du racket : si vous voulez partir, il faut payer ! À dire vrai il en va de la survie de l’État et des hommes de l’État. Nos dirigeants doivent à tout prix éviter le basculement… et, pour cela, ils sont prêts à tout.
Les responsables politiques vont continuer à demander encore et toujours plus aux banques centrales. Pour une raison simple : les banques centrales n’ont pas à rembourser la dette qu’elles émettent ! En créant de la monnaie, la banque centrale émet une dette sur elle-même non exigible tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve. C’est le pharmacos des anciens Grecs, remède et poison à la fois : on reprend du remède à court terme pour mieux s’intoxiquer à long terme. Du côté américain des signes inquiétants se manifestent : avec la réforme fiscale de Trump qui veut diminuer les impôts, le déficit public des États-Unis pourrait bien exploser. Alors que le déficit annuel du budget américain est déjà de 1 000 milliards de dollars par an, soit la moitié du PIB français, le coût supplémentaire de la réforme fiscale en cours serait de 1 500 milliards de dollars. La dette publique américaine s’élève aujourd’hui à plus de 20 000 milliards de dollars et ne cesse d’augmenter.
En Europe, c’est l’Italie qui donne le plus de signes de faiblesse avec une dette à 132% du PIB ! Là, les plus vieilles banques du pays sont, en fait, en faillite dont la Monte dei Paschi di Sienna. Or, le système financier et la zone euro sont interconnectés. En 1929, la faillite du Kreditanstalt à Vienne donna le signal d’un écroulement bancaire en chaîne dans le monde ; la Danat Bank et la Dresdner Bank suivirent en Allemagne et l’on sait combien, aujourd’hui, la Deutsche Bank est en difficulté.
En 2018, après les dernières décisions de la BCE de cette fin 2017, les premiers effets du ralentissement de la fabrication de « fausse monnaie » – 30 milliards d’euros au lieu de 60 –, et la hausse des taux pourraient déclencher un krach bancaire et financier mondial, venant de la péninsule qui inventa… la banque, l’Italie. Sans être prophète de malheur, tout peut être et très vite fragilisé. La France alors serait largement exposée au défaut de la sorella latina et pourrait connaître à son tour le sort de la Grèce, un français étant plus endetté qu’un grec. Et alors…
Le pire n’est jamais sûr, mais il est permis de douter des marges de manœuvre du pouvoir. L’État pense de plus en plus à prendre l’argent directement et à la source. Il en est même qui réfléchissent à une solution radicale au problème du surendettement public : elle consisterait à « transférer » la dette publique d’État vers les particuliers par un emprunt forcé qui répartirait les 2 200 milliards d’euros de la dette collective sur l’ensemble des Français. Le coût de la première dépend de la solvabilité de l’État tandis que la seconde est garantie par le patrimoine et le revenu individuel des Français. Il y a eu déjà des tentatives, à petite échelle, par exemple de faire payer aux propriétaires un loyer, de réduire l’usage du liquide, de se servir éventuellement sur les comptes des clients en cas de défaut, méthode expérimentée à Chypre…
Oswald Spengler, philosophe du pessimisme allemand d’avant-guerre, signalait fort justement qu’après le règne de la planche à billets surgissait le règne des césars ; et il pensait déjà que l’histoire était faite pour se répéter.
Olivier Pichon 15/02/2018
Source : Politique magazine