Désormais, le Brexit est sorti, bel et bien, de la sphère des hypothèses pour devenir un champ de confrontation concrète. Et le négociateur britannique, David Frost, a prononcé un discours le 17 février à Bruxelles. Il a clairement mis les choses au point. Londres n'acceptera pas, selon lui, de respecter les règles édictées unilatéralement par l'Union européenne à 27. Il entend donc évoluer vers un accord de libre-échange classique.
Or, dans sa chronique du 7 janvier, le correspondant à Londres du Monde, toujours dans l'excellent esprit qui caractérise ce quotidien institutionnel si parisien, avait posé une question ingénue à propos du Brexit : "qui Boris Johnson va-t-il trahir ?"
En réalité le choix pour lequel, schématiquement, on se propose à Paris de se substituer à la souveraineté britannique, se résumerait, à peu près dans les termes suivants.
Ou bien, nous dit-on, l'Angleterre parvient à créer un véritable Singapour sur Tamise, au nez et à la barbe d'une Europe divisée et incertaine.
Ou bien, au contraire, le départ de nos voisins et amis hors de l'union européenne ne se traduit pour eux que par la perte de leur commissaire à Bruxelles, de leurs groupes au parlement de Strasbourg, des ressources d'éloquence de Mr Nigel Farage, lui-même privé de tribune également à la chambre des Communes. Ils demeureraient cependant contraints, pour faire du commerce, d'observer les décisions prises sur le Continent.
Dans ce cas, mais dans ce cas seulement, le Brexit, voté par les électeurs résidant au Royaume-Uni en 2016, acté en 2020 le 31 janvier, mais qui devra être concrétisé, en principe, d'ici le 1er janvier 2021, aurait été une simple duperie. Il n'aurait servi à rien, sinon à compliquer les relations de Londres avec l'Écosse et avec l'Irlande.
Un tel scénario fait certainement rêver ceux qui, dès 2016, grognaient dans la belle langue de Goethe, si musicale mais parfois rugueuse, "draußen ist draußen" : dehors c'est dehors.
Dans ce cas, mais dans ce cas seulement, la majorité très large obtenue le 12 décembre à la chambre des Communes par ce parti conservateur que l'on enterre régulièrement depuis la réforme électorale de 1832, aurait perdu sur tous les tableaux.
Si, et seulement si, la Grande Bretagne ne devait accéder demain qu'au statut de membre de l'Union douanière, ce serait une assez curieuse cohorte qu'elle rejoindrait. De qui cet ensemble se compose-t-il aujourd'hui ? Il comprend en fait quatre pays souverains : les principautés d'Andorre et de Monaco, la république de Saint-Marin et, depuis 1995, la Turquie.
Cherchez l'erreur. Elle a été commise en 1993, sous l'influence du brillantissime ministre des Affaires étrangères français, le même qui rédigea le traité de Nice de l'an 2000, le même qui réussit aussi à faire voter en 2011 le Conseil de sécurité de l'ONU, un excellent élève de notre indispensable École d'administration. Son mentor Chirac l'appelait le meilleur d'entre nous. Je laisse le lecteur deviner, en consultant au besoin ma précédente chronique en date du 19 février.
Un peu de réflexion ne messied pas aux observateurs et décideurs européens. Le dernier adhérent à l'union douanière, le plus important, a été écarté du statut de membre l'Union européenne. Ceci tient à des raisons, en fait, bien que personne n'ait jamais voulu le dire, identitaires, c'est-à-dire à la fois culturelles, historiques et géographiques. Elles auraient dû être déjà évidentes depuis le début, sinon en 1963, soit 27 ans avant la conclusion de l'accord de Maastricht. Dans les années 1980, après l'officialisation d'une candidature déposée par un brave homme qui s'appelait Turgut Özal, Le Monde définissait ainsi le problème posé par cette candidature : "comment éluder sans vexer ?". Cette équation, nos brillants technocrates n'ont jamais su la résoudre, quand cela semblait possible, et nécessaire puisque nous étions alliés. Nous ne le sommes plus.
Ce pays a-t-il souffert, depuis lors, de cette situation ambiguë et paradoxale ? À l'évidence non. Hier kémaliste, aujourd'hui islamiste, il avait su pendant des années en tirer parti par un essor sans précédent. En effet, jusqu'à la révélation de sa mégalomanie par le président Erdogan, cet État, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, a été dirigé par des gens d'une certaine compétence, d'une certains intelligence et d'un certain bagage traditionnel. Des professionnels, pas des amateurs.
Je me permets d'évoquer cette comparaison, en espérant ne pas choquer les quelques amis anglais qui me lisent. Je suis prêt à parier au moins une pinte de bière blonde que l'Angleterre, tant qu'elle sera dirigée par le parti conservateur, peut parfaitement s'en sortir. Ça ne sera peut-être pas facile, mais c'est un peuple pugnace, tenace et courageux. Il en a vu d'autres au cours de sa longue histoire. Et, lui aussi, il est dirigé par des gens d'une certaine compétence, d'une certains intelligence et d'un certain bagage traditionnel. Des professionnels, pas des amateurs.
En face ? Hum. Léon Daudet donnait aux jeunes journalistes un conseil que l'on ne devrait jamais oublier : ne faites jamais de pronostics.
JG Malliarakis
Une conférence de JG Malliarakis organisée par par G Adinolfi : "Le défi islamiste de la Turquie"
Le 24 février à 19 h 30. Pour s'inscrire au dîner débat [prix du dîner : 30 €] contactez l'organisateur par SMS au 06 19 51 45 78 ou par courriel assoc.artemis@gmail.com