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L'Europe qui marche ne doit rien a Bruxelles

L'Europe qui marche ne doit rien à Bruxelles.jpegC'est tout le paradoxe de la construction européenne : l'Europe des projets qui fonctionnent s'effectue la plupart du temps en dehors de la logique de Bruxelles. Dans une coopération interétatique qui ne doit strictement rien à la Commission européenne. Démonstration avec les cas d'Airbus, EADS, Erasmus, Ariane et Galileo.

« Les Français et les Néerlandais ont rejeté non pas "Europe" mais la façon forcée, intrusive, excessive dont on prétendait la leur imposer. Je ne crois absolument pas qu'ils soient devenus anti-européens, encore moins xénophobes - ces accusations moralisatrices nous détournent d'une analyse vraie. Ce vote laisse intactes, en réalité, les chances du projet européen, pour peu qu'on sache le reformuler, de façon raisonnable. » Reformuler la construction européenne : comme d'habitude Hubert Védrine, l'ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin, parle d'or.

Dans un brillant opuscule intitulé Continuer l'histoire(1) le président de l'Institut François Mitterrand veut réhabiliter l’État-nation pour en faire la clef de voûte de la construction européenne. « Une des erreurs des quinze ou vingt dernières années a été de croire qu'on allait faire une Europe plus forte, un système multilatéral plus efficace, un monde meilleur, avec des États affaiblis. Pour Védrine, il faut en revenir de l'utopie européiste, « une de plus dans un siècle qui en a vu bien d'autres ». Celui qui fut également secrétaire général de l’Élysée sous le deuxième septennat de François Mitterrand défend la vision « d’une fédération d’États nation », bien différente de celle du « noyau dur fédéraliste » de Jacques Delors qui présida durant une décennie la Commission européenne (1985-1994). Bref, il faut bâtir un fédéralisme de subsidiarité qui demeure très mal vu, nous prévient Védrine, par « les européistes de fusion » du style de Toni Negri (figure du terrorisme des années de plomb reconverti en européiste forcené pour liquider ces « merdes d’États-nation »), Joschka Fischer, l'ancien ministre allemand des Affaires étrangères, ou Daniel Cohn-Bendit, qu'on ne présente plus, tous « anciens gauchistes devenus européistes ».

Fédéralisme de subsidiarité contre fédéralisme de fusion ? Face à l'irrealpolitik des élites européistes et la démagogie anti-européenne, il existe, selon lui, une voie médiane pour l'Europe, curieusement peu explorée, celle des projets concrets. Projets globaux ou ponctuels, communautaires ou à géométrie variable, à vingt-sept ou à trois, avec la Commission et le Parlement ou sans, etc.

L'intuition de Ségolène Royal bute sur la BCE

S'est-on suffisamment moqué de la candidate socialiste Ségolène Royal lorsque, en pleine campagne présidentielle, elle avait lancé le concept de « l'Europe de la preuve ». C'était à tort. « La preuve », ce serait quand l'Europe ferait « la démonstration de son utilité pour tous ». La présidente de la région Poitou-Charentes avait évoqué le lancement de projets autour de « l’Europe des énergies renouvelables, de la recherche, des transports et de l'agriculture protectrice de l'environnement ». L'intuition était là, la candidate reprenait la construction européenne par le bon bout.

Son initiative n'a malheureusement recueilli qu'une salve de sarcasmes. Il faut dire que la candidate socialiste a buté devant le dernier obstacle construit par les européistes : la Banque centrale européenne. À la question « Faut-il supprimer l'indépendance de la Banque centrale ? », elle avait benoîtement répondu « Non, je n'irai pas jusque-là. » Patatras, une réponse en forme d'enterrement en grande pompe, de ses ambitions.

La grande victoire idéologique des « européistes » a été de faire croire que la construction européenne n'avait de sens que dans l’architecture institutionnelle de l'Union européenne. Dès lors, les propositions de coopération sont soumises au carcan du dogme intégrationniste bruxellois. En réalité, la construction européenne, bien réelle et qui marche, se bâtit, au mieux en dehors de la Commission, au pire contre elle.

Airbus et EADS doivent tout aux États, rien à l’UE

À tout seigneur, tout honneur, commençons par Airbus. Belle preuve, malgré les aléas des cycles économiques et des péripéties médiatiques, du bien-fondé de la coopération européenne. Créé le 18 décembre 1970, Airbus Industrie est, à l'origine, une alliance entre constructeurs aéronautiques européens, le Français Aérospatiale et l'Allemand Dasa, rejoints en 1971 par l'Espagnol Casa et à la fin des années 1970 par British Aerospace. Depuis sa création en 1970 et jusqu'au 31 mars 2008, Airbus a reçu 8 833 commandes d'appareils pour environ 250 clients dans le monde. Sa part de marché des livraisons annuelles à l'échelle mondiale est passée de 15 % en 1990 à 52 % en 2006. Né en dehors de la Commission de Bruxelles, le champion européen l'aéronautique a grandi malgré une politique monétaire hostile de la Banque centrale européenne (BCE), voulue par les idéologues de Bruxelles et appliquée par les banquiers de Francfort.

L'exemple est encore plus flagrant avec la création dEADS, fruit de la volonté des États français, allemand, anglais et espagnol de créer un champion européen de l'aéronautique, de l'espace et de la défense. Un objectif tenu là encore en dehors des clous bruxellois, comme le rappellent assez vertement les sénateurs Jean-François Le Grand (UMP) et Roland Ries (PS) dans leur rapport intitulé EADS : conforter le champion européen : « L'entreprise EADS est conçue sur une base intergouvernementale et en particulier sur un équilibre franco-allemand. »

En moins de dix ans les performances dEADS ont permis au groupe de devenir le premier groupe européen de l'industrie de l'aéronautique, de l'espace et de la défense et le second mondial derrière Boeing. Sa division Astrium se classe premier fournisseur européen de satellites et de lanceurs par le biais d'Arianespace, et son pôle Défense & Sécurité, numéro un mondial dans les systèmes de missiles. Aujourd'hui, EADS est une société de droit néerlandais, avec des capitaux majoritairement européens. Ses titres sont cotés en France, en Allemagne et en Espagne. Son chiffre d'affaires consolidé tourne autour de 39 milliards d'euros depuis deux ans.

Ariane et Galileo de l’indépendance européenne

Ariane... Magnifique nom, magnifique projet, dans lequel la Commission n'a pris aucune part. Et pour cause ! L'instigateur de indépendance spatiale de l'Europe a pour nom. Charles De Gaulle… Afin de s'affranchir de la tutelle américaine, ce dernier a défini la première politique spatiale nationale en lançant, dans les années 1960, le CNES, le Centre national d'études spatiales. Une dizaine d'années plus tard, l'établissement public fiançais apportera Ariane dans la corbeille de mariage avec l'Agence spatiale européenne (ESA), qui, depuis, gère le programme Ariane.

On le voit : l'Agence spatiale européenne n'a jamais été une institution de l'Union européenne, son fonctionnement et son financement reste intergouvernemental. Les décisions stratégiques requièrent d'ailleurs l'accord de chaque partie (un État, une voix). Il est à remarquer que son périmètre ne recoupe pas celui de l'Union, puisqu'elle ne compte que dix-sept membres contre vingt-sept États dans l'Union européenne.

Enfant de la Commission et de l’ESA, le projet Galileo constitue en revanche un test grandeur nature sur sa capacité à concevoir et faire aboutir un projet d'infrastructure européenne stratégique. C'est ce que Florence Autret, correspondante à Bruxelles pour les publications financières de l'Agefi, appelle « l’exception Galileo ». Dans une enquête remarquable sur les institutions européennes intitulée L'Amérique à Bruxelles(1) la journaliste souligne que si le projet de systèmes de navigation par satellites est un projet industriel européen porté par la Commission, c'est surtout le seul et unique depuis la présidence de Jacques Delors ! « Galileo se retrouve ainsi au centre de la première tentative de formuler une politique industrielle européenne ». D'où son importance.

Surtout que la naissance de Galileo relève du véritable miracle. Il n'aurait jamais dû voir le jour. En effet, la Commission, sous l'impulsion de la Grande Bretagne, avait demandé à son directeur général en charge de l'énergie et des transport, le Français François Lamoureux, « d’organiser un abandon progressif du programme » ! Un ordre auquel le fonctionnaire européen, pourtant fédéraliste et proche de Jacques Delors, n'a tout simplement pas obéi, grâce au soutien du gouvernement français de l'époque !

Les ministres européens de l’Éducation ont créé Erasmus

Qui ne connaît pas Erasmus ? Le programme européen d'échanges universitaires a fêté ses vingt ans en 2007. À cette date, Erasmus avait fait voyager près d'un million et demi de jeunes Européens et, parmi eux, 217 000 Français. Sonia Dubourg-Lavroff, directrice de l'agence Europe Education Formation France, en explique le fonctionnement : « Erasmus vise à améliorer la qualité et à renforcer la dimension européenne de l'enseignement supérieur en encourageant la coopération transnationale entre les universités, en stimulant la mobilité européenne et en améliorant la transparence et la reconnaissance académique des études et des qualifications dans l'ensemble de l'Union. »

Seul projet véritablement concret piloté par la Commission européenne - est-ce pour cela qu'il est ouvert aux ressortissants des vingt-sept pays de l'UE ainsi qu'à ceux d'Islande, du Liechtenstein et... de Turquie ? -, Erasmus est aussi le plus populaire. Une réussite dont la caractéristique principale, qui a sans aucun doute possible fait son succès auprès des étudiants, est que chaque État membre a eu la responsabilité de mettre en place des agences nationales pour la gestion du programme.

Reste que, contrairement à ce que la propagande européiste veut nous faire croire, ce n'est pas la Commission qui est à l'origine d’Erasmus. C'est le Conseil des ministres européens de l’Éducation qui a évoqué pour la première fois le principe d'une coopération dans le domaine de l'éducation en 1971 et c'est ce même conseil qui, seize ans plus tard, le 15 juin 1987 a adopté le programme Erasmus. Une initiative intergouvernementale dont se prévaut, aujourd'hui, une Commission à bout de souffle et de projet ; il fallait oser.

Estelle Campagnol Le Choc du Mois juin 2008

1) Avec la collaboration d'Adrien Abécassis et de Mohamed Bouabdallah, Fayard, 2007 (rééd. Flammarion, coll. Champs, 2008).

2) Seuil, 2007.

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