« J’avance des solutions à l’échelle individuelle-familiale d’autant que l’État ne nous protège plus. »
Les lecteurs de R&A connaissent bien Piero San Giorgio, le « pape » du survivalisme en Europe. Avec Cris Millennium, il a sorti dernièrement NRBC (Le Retour aux Sources), un manuel de survie en cas d'attentat (ou d'accident) nucléaire, chimique, radioactif ou bactériologique. C'est dans le bunker construit sur le balcon d'Eugène Krampon et au-dessus d'un camp illégal de sans-papiers clandestins que nous l'avons rencontré.
propos recueillis par Georges Feltin-Tracol
Pourquoi avez-vous co-écrit NRBC ? Est-ce l'accident de Fukushima en 2011 qui vous a incité à rédiger ce manuel ?
J'ai écrit NRBC parce que dans un précédent livre, Rues barbares. Survivre en ville (2012), je consacrais un paragraphe aux risques nucléaires. J'y donnais quelques conseils succincts. Un lecteur qui se trouve être l'ancien patron de la cellule NRBC (nucléaire-radiologique-bactériologique-chimique) du GIGN, l'unité d'élite de la gendarmerie nationale, m'écrivit et m'apporta quelques corrections. Puis, suite à nos conversations, on convint finalement qu'il serait utile et nécessaire de publier un ouvrage généraliste sur ces risques structurels et conjoncturels dans le contexte actuel. Notre ambition vise à faire comprendre des sujets complexes, qui font peur et difficiles à cerner du fait de l'immatérialité du danger. Par exemple, les radiations n'ont pas d'odeur, sont invisibles, mais elles tuent ! Idem pour les virus et les bactéries. On a du mal à les détecter alors que leurs effets meurtriers sont dévastateurs. La chimie est, quant à elle, omniprésente dans notre vie quotidienne. Ses conséquences dramatiques sont terrifiantes. Pensons à l'explosion de l'usine AZF à Toulouse en septembre 2001. Comment dès lors réagir en de pareilles circonstances ? Comment s'en protéger ? Il s'agit de vulgariser des sujets peu connus et guère familiers afin de donner au lecteur néophyte des solutions simples et pratiques de survie maximale.
Votre manuel est très pédagogique et facile à lire. Mais pourquoi ne pas se contenter de la question nucléaire ?
L'ambition, je l'ai dit, est de faire un ouvrage accessible à tous les lecteurs. Si le nucléaire est le danger le plus spectaculaire de tous avec les armes atomiques et les accidents technologiques genre Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2on (sans oublier les nombreux films qui imprègnent une forme de terreur exagérée dans l'imaginaire collectif). Les autres risques sont moins médiatisés, mais plus fréquents et plus dangereux. Souvenons-nous du virus Ebola en Afrique de l'Ouest. Soulevons le défi des maladies émergentes transmises par les migrations de masse (comme le retour en Europe de la tuberculose). Les moyens modernes de transport diffusent largement des maladies contagieuses. Toutefois, n'imaginons pas qu'un virus tuera 90 % de la population et ravagera toute la planète. Laissons ça au cinéma !
Nous sommes enfin entourés de sites chimiques avec le risque d'être un futur Seveso (en Italie en 1976) ou Bhopal (en Inde en 1984). En cas d'accident chimique, il faut savoir agir vite. Cris Millennium répond avec pertinence à ces enjeux bien ignorés (à tort).
Pendant la Guerre froide, la Suisse a construit de nombreux abris anti-atomiques afin de protéger sa population. Sont-ils toujours opérationnels ?
Habitant la Suisse depuis l'enfance, j'ai grandi dans la maison parentale qui possédait selon la loi un abri antiatomique et pourvu de filtres à air, de toilettes chimiques et d'un stock de nourriture. Depuis la fin de la Guerre froide, cet endroit sert surtout de cave à vin ! La plupart des Suisses les ont cependant conservés. En outre, l'État et l'armée fédérale en disposent encore plus de 500 000 répartis dans toute la Confédération dans le but de protéger l'ensemble de la population. La protection civile helvétique continue à les entretenir. En revanche, les abris ne sont plus opérationnels dans l'esprit du public. Le risque est sorti depuis 1989 des mentalités collectives occidentales alors qu'il perdure en Israël, au Pakistan, en Inde et en Corée du Sud. Or, les arsenaux nucléaires états-uniens et russes restent gigantesques. Il est inutile, toutefois, de construire un abri chez soi dans son jardin, sauf si on habite près d'une base militaire ou d'un siège de commandement majeur. Cela coûte bien trop cher ! L'important n'est pas l'endroit, mais plutôt savoir effectuer les bons gestes au bon moment et prendre la bonne décision.
En France, à part l’Élysée, Matignon, l'Assemblée nationale et le Sénat, les abris anti-atomiques sont rares. Comment expliquez-vous cette incroyable négligence ?
Si les autorités françaises n'avaient pas été négligentes, elles auraient été une extraordinaire exception ! Les budgets de protection civile n'ont pas augmenté depuis 1990. Mais, plutôt que de protéger les civils, le financement est désormais alloué en priorité à la protection des élites au nom de la continuité gouvernementale. Aux États-Unis, la Maison Blanche, le Congrès, les hauts dignitaires et leurs familles disposent de bunkers financés par les contribuables qui ne bénéficient pas de ces infrastructures. Les États ne publient plus aucune brochure et ne financent aucun film d'information : ils se goinfrent de notre argent et spolient leur population. Celle-ci en est réduite à payer les impôts et à se taire, voire à crever !
Selon vous, la sortie du nucléaire est-elle possible, que ce soit dans le cadre de la société actuelle ou bien dans celle d'une organisation fondée sur la décroissance ?
C'est l'une des quelques questions majeures de notre temps. Le nucléaire est une source d'énergie extrêmement sûre, plus sûre même que d'autres sources d'énergie. Il a moins tué que les ruptures de barrages ! Le nucléaire reste néanmoins à long terme un risque en raison de sa nature complexe liée à la gestion des déchets et aux modalités pratiques de destruction des centrales nucléaires. Ces coûts très élevés n'ont jamais été pris en compte dans le calcul de rentabilité au moment de leur construction.
Le nucléaire fonctionne dans une civilisation qui doit durer longtemps et qui suppose un personnel qualifié, formé et spécialisé pour faire tourner la centrale. Ce personnel a mis en place des systèmes de sécurité redondants capables de colmater une catastrophe naturelle, un accident technique ou un attentat. C'est le cas actuellement. Or, les civilisations sont mortelles et la nôtre est mourante. Qui éteindra donc la lumière des centrales nucléaires ? Je suis inquiet. Quant à la décroissance, il s'agit pour moi d'une forme d'effondrement lent. Dans cette perspective, une société décroissante pourra-t-elle démanteler sans risque ces édifices compliqués et perfectionnés ? Il faut trente à quarante ans pour les démanteler complètement, puis plusieurs milliers d'années de surveillance des stocks de déchets enfouis dans des zones isolées, sécurisées et stables géologiquement. Serons-nous capables de fournir un pareil effort sur une si longue période ? J'en doute.
Pour vous, les Européens sont-ils préparés à la catastrophe (naturelle, industrielle, terroriste) ?
À quelques différences culturelles près, absolument pas ! Depuis sept décennies, Européens et Américains du Nord vivent dans un confort certain. On leur a inculqué la notion d'État-nounou, ultime avatar de l'État-Providence, qui s'accapare des richesses du peuple. Cette prévarication permanente fait que la population n'est pas préparée aux crises, et ce volontairement, d'où les réactions catastrophistes dès que deux centimètres de neige perturbent en hiver les routes !
Certes, le ministère français de l'Intérieur propose sur son site un guide de préparation d'urgence qui donne des conseils de survie pendant 24, 48 ou 72 heures. Néanmoins, la majorité des Européens n'est pas préparée aux événements catastrophiques, d'où le succès de mes livres ! J'avance des solutions à l'échelle individuelle-familiale d'autant que l'État ne nous protège plus. Pis, il se trouve parfois à l'origine des violences et à des catastrophes. Il y a aujourd'hui un mouvement encore minoritaire de défiance envers l'État qui ne respecte plus le contrat social de défendre son peuple en échange du prélèvement de l'impôt et de quelques privilèges octroyés aux élus.
Vous connaissez bien les milieux survivalistes en Amérique du Nord. À rebours de l'esprit français, peut-on comparer l'esprit suisse à l'esprit états-unien ?
En partie oui, car nous partageons en plus des institutions politiques locales assez proches, une conception très conservatrice du citoyen, à savoir un homme libre qui est certes représenté, mais qui a aussi son mot à dire par la démocratie directe (plus en Suisse qu'aux États-Unis). Enfin, armé, il sait de se protéger et peut lever une milice qui défendra le bien commun la nation. Tant les Suisses que les États-Uniens partagent un sens aigu de la patrie. Le Suisse pratique aussi avec l'Américain du Nord une forme d'individualisme, parfois mercantile, ainsi qu'une farouche volonté d'indépendance et de liberté. Il y a, bien sûr, des différences notables l'Américain a un esprit pionnier alors que le Suisse maintient un rude esprit montagnard. Longtemps, la Suisse fut pauvre avec une économie rurale frugale sa prospérité ne remonte qu'à un siècle ! L'esprit suisse célèbre une prévoyance terrienne disparue dans les villes décadentes.
Comment jugez-vous la préparation (ou l'impréparation) des Français à une éventuelle situation de survie ?
Je crois qu'il y a une nette amélioration en matière de préparation. Les Français prennent de plus en plus conscience que plus rien ne fonctionne vraiment. Certes, une majorité attend toujours une hypothétique réforme de l'État. Cependant, de nombreux Français sont confrontés à la dureté de la crise sans bénéficier pleinement des aides sociales généreuses d'un État qui n'est plus franchement le leur du fait d'une occupation coloniale extérieure massive. Maints Français fuient les villes, s'installent à la campagne ou bien commencent à migrer en Europe centrale (la Hongrie), voire en Russie. Mon approche du survivalisme demeure plus équilibrée que sa variante d'outre-Atlantique qui consiste à se terrer dans une cabine, le fusil à la main. Je remarque que le survivalisme se répand dans toute l'Europe. Très bien ! Il importe de préparer les Européens à renouer avec leur caractère solide, affirmé et tranchant dans un contexte d'effondrement durable généralisé.
Ne pensez-vous que le Français a trop tendance à se reposer sur l'État central ?
La France devient un État tentaculaire qui légifère sur tout et sur n'importe quoi, souvent en doublon avec les règlements de la Commission de Bruxelles. La France ressemble à l'ex-URSS et se caractérise par un assistanat incroyable qui implique la taxation confiscatoire scandaleuse des PME, des PMI, des artisans, des commerçants et des travailleurs indépendants. Si le Français moyen pouvait être sous transfusion permanente, il le ferait volontiers. Tout le monde réclame des aides, des subventions, des allocations. Ces exigences conduisent votre Hexagone à la ruine financière et intellectuelle. En effet, l'assistanat, en attendant la prochaine obole étatique, tue l'esprit héroïque et paralyse toute projection vers l'avenir. Quant aux plus favorisés, ils se vautrent dans un hédonisme, symptôme flagrant du déclin terminal d'une civilisation. Ce mal ne ronge pas que la France, il atteint toute l'Europe, voire l'Occident entier.
Toutefois, vos premiers ouvrages se sont bien vendus dans l'Hexagone. Faut-il croire que les Français sont prêts à la « fin du monde » ?
La fin du monde est toujours source de plaisanterie pour moi (rires), car je prévois plutôt la fin de notre monde marchand et post-1945. Oui, mes livres se vendent bien. L'instinct incite les peuples à se réveiller, même si ce réveil sera brutal, dur et violent.
Un esprit caustique pourrait vous reprocher que l'effondrement que vous annoncez se fait attendre. Votre réponse ?
L'effondrement est déjà là. Celui qui ne le voit pas habite certainement dans un loft confortable d'une métropole en quête de subventions publiques pour ses oeuvres artistiques décadentes ou bien c'est un journaliste stipendié par les multinationales ou les banques. L'effondrement se manifeste par la précarité, le chômage, les humiliations socio-économiques, les rapines en bandes organisées dans les trains ou dans le métro, le passage à tabac d'Européens par des « chances pour la France », etc. Ce n'est qu'un début ! Certains chez nous semblent s'en réjouir. Ils ont tort. Lors de mes conférences, je préviens le public « Ne souhaitez pas ce que vous ne savez pas chevaucher (en référence implicite à Chevaucher le tigre de Julius Evola) ! N'attendez pas avec impatience un effondrement qui sera d une extrême violence pour nous tous ! »
Après l'effondrement, faut-il envisager la situation comme une combinaison sanglante de Mad Max, d'Orange mécanique et de Walking Dead ?
Le cinéma à grand spectacle diffuse des imaginaires collectifs difficiles à évacuer de l'esprit de nos contemporains. Le monde de l'effondrement ne ressemblera ni à Mad Max, ni aux films de zombies même si les allégories y sont intéressantes. Le réel a déjà apporté quelques cas d'effondrement précis la fin de l'URSS, la crise économique argentine, l'hyper-inflation au Zimbabwe, les guerres en ex-Yougoslavie, les massacres au Rwanda...
Moins qu'une crise planétaire, il faut surtout envisager des crises locales comme une guerre civile en France qui verrait l'apparition d'un califat islamiste à Marseille et d'une république congolaise à Aubervilliers. Pensons aussi à l'ultra-violence quotidienne au Mexique, conséquence de la césure sociale gigantesque entre des catégories très aisées et des masses toujours pauvres. Et on peut enfin concevoir comme crises localisées la rupture en approvisionnement des grandes villes, ce qui provoquera de graves troubles sociaux et un désordre urbain considérable. On entre dans un monde où la réalité dépassera peut-être toutes les fictions hollywoodiennes.
Certains sites antifas vous accusent de vous enrichir sur le dos de « naïfs » qui achètent vos ouvrages en prévision de la «fin du monde ». Comment réagissez-vous à ces attaques ?
Je ne réagis pas à ces individus. Ces gosses mal lavés de la bourgeoisie se détournent de la réalité et fantasment pour passer le temps. Protégés par la police, ils sont les bras armés des ONG de la finance internationale. Leur avis n'a aucune importance.
En revanche, l'un des maux français les plus graves est de détester les personnes qui gagnent de l'argent par leur travail. La gratuité serait un droit ou même une obligation. Je pense pour ma part que le travail et le savoir doivent être rémunérés. La vente de mes livres me fait vivre même si je gagne six à dix fois moins qu'au temps où j'agissais en cadre supérieur dans l'industrie de logiciels. Mieux que faire peur aux lecteurs, je les préviens qu'il faut se préparer à la fin de ce monde. Je leur rappelle aussi que l'histoire est riche en effondrements de civilisations, d’États et de sociétés. Je ne suis qu'un simple lanceur d'alerte.
Sauf si une météorite géante percute la Terre, qu'avez-vous en préparation pour les prochains mois ?
Tout d'abord passer beaucoup de temps avec ma famille. Travailler ensuite mon potager et enrichir mes compétences utilitaires dans un monde qui va toujours plus mal. Finir enfin à temps la rédaction de livres et aller à la rencontre à l'occasion de conférences d'un public de qualité qui me suit et qui apprécie aussi R&A.
Réfléchir&Agir n° 56 été 2017