Dès l'automne 1945, et a fortiori les années suivantes, Soljénitsyne finit par se sentir beaucoup plus proche des détenus allemands et même japonais, dont il ne parle pourtant absolument pas la langue, soldats captifs déportés massivement dans les camps, au motif collectif de « crimes de guerre » contre l'URSS. Ce prétexte s'avère particulièrement absurde pour les Nippons capturés lors de l'invasion russe de la Mandchourie en août 1945, qui n'avaient jamais envahi l'URSS lors du Second Conflit Mondial. Après 1945, le nombre de détenus atteint vraisemblablement un pic, car ils sont chargés de reconstruire l'URSS. Les camps sont alimentés par des rafles collectives, sans guère de tri, en Europe occupée par l'URSS, ce qui amène, outre des masses d'Allemands, civils ou militaires, des curiosités, tels des prisonniers de guerre français ou même américains vite nostalgiques de leur captivité allemande. Il loue l'honnêteté des Allemands incapables de comprendre que dans le régime soviétique, en théorie de propriété collective, en pratique tout le monde vole tout le monde; ils écrivaient très souvent en mauvais russe des lettres de dénonciation contre les chefs de chantiers qui détournaient massivement les biens de l’État à des fins privées, et ce sans aucun profit dans la délation, par pur sens du devoir, révoltés qu'ils étaient par de telles pratiques.
Outre celle des droits communs, détestable, l'auteur décrit particulièrement la mentalité des gardiens, monstrueuse, mais dans la lignée logique du régime. Il reconnaît avec honnêteté que vers 1940, jeune étudiant, malgré une absence d'attirance, il n'aurait pas résisté à une pression forte, selon un chantage courant sur la définition du « bon soviétique », honoré de servir le régime, tandis qu'un refus aurait les pires conséquences. Rejoindre une école d'officiers du NKVD lui avait été simplement suggéré, ce qui ne l'attirait pas. Il analyse le caractère de ces gardes, fondamentalement mauvais; un homme bon n'aurait jamais eu l'idée d’y entrer, ou recruté de force, chose rare, aurait rapidement été éliminé comme trop mou par le système lui-même.
Pendant la Guerre, peu soucieux d'accomplir leur devoir patriotique au front, les membres de la police politique ont multiplié les complots fascistes imaginaires dans les camps, afin de prétendre démontrer leur plus grande utilité à des milliers de kilomètres du front; ces farces grossières ont causé des dizaines de milliers de morts supplémentaires. Soljénitsyne lui-même a été victime d'une branche du NKVD, le contre-espionnage militaire, qui l'arrête sur le front en février 1945, et les descriptions ironiques de ces policiers qui craignent de mourir des derniers obus de la guerre abondent, ce qui donne des instants de relâchements comiques appréciables à une œuvre sombre.
L'officier du NKVD, plus éduqué que les gardiens souvent analphabètes voire non-russophones - Tatars en particulier -, n'en est que plus coupable avec un cynisme total, il monte un dossier d'accusation, fait signer des aveux, et ce sans aucun souci de la crédibilité, a fortiori de la vérité, notion qui leur échappe à cause d'un relativisme simpliste au fond, la vérité n'existerait pas -. Un cas attire particulièrement l'attention, celui d'un travailleur russe déporté en Allemagne, diacre de l’Église orthodoxe clandestine, arrêté par la Gestapo sur dénonciation de communistes pour « propagande communiste », relâché, puis envoyé en camp soviétique comme la grande majorité des travailleurs russes déportés par l'Allemagne, et alors interrogé par le NKVD : « Il avait bien connu les deux systèmes, et la comparaison n'était franchement pas en notre faveur Certes, il avait été torturé ici et là, mais la Gestapo, elle, recherchait la vérité, celle-à établie, il fut relâché, même avec des excuses. Quant à nos gars, ils se moquaient complètement de la vérité, ils lui ont fait signer une longue liste de délits impossibles ou absurdes, après d'interminables et douloureuses séances d'interrogatoires pour respecter leur procédure. »
Précisons que le point de vue de l'auteur sur la guerre relève d'un patriotisme russe classique. S'imposerait le devoir moral de la défense du pays contre l'invasion allemande, même si la victoire russe implique la survie de facto d'un régime absolument détestable. Il reconnaît ce dilemme, comprenant sans les approuver ses compatriotes engagés dans l'armée Vlassov, il ne va pas au-delà parce que c'eût été indicible dans l'URSS des années 1970, encore moins à l'étranger, telle est sa conviction profonde. Toutefois, il ose établir le parallèle entre les « Polizei », auxiliaires policiers russes des forces d'occupation et le NKVD; contrairement à toute la propagande du régime, il soutient que ceux, nombreux, qui, par un paradoxe superficiel, ont réussi à intégrer le NKVD en 1944, ont certes pour beaucoup été arrêtés par la suite, mais sans que cette tache biographique ait pu apparaître comme un manque de qualités professionnelles au service du stalinisme.. Il a été témoin de la réjouissante disparition, pour les détenus, de certains de ses tortionnaires.
Outre les policiers, en fait rares, et les délinquants professionnels, minorité sur laquelle reposent les camps, l'auteur essaie de classer la population carcérale en plusieurs catégories les enfants, les femmes, les politiques.
Le régime soviétique a produit des hordes d'enfants orphelins, souvent survivants des famines paysannes causées par les vagues de collectivisation forcée des campagnes au début des années 1930. Ils sont en masse devenus des délinquants multirécidivistes; dans les camps, ils se révèlent particulièrement agressifs et amoraux. Par exception, Soljénitsyne réussit à sympathiser avec un adolescent ukrainien, pas complètement mauvais. Il avait volé durant toute sa vie à Kiev n'en était pas à son premier séjour en camp soviétique. Avait-il été aussi en prison puisqu'il était voleur sous l'Occupation allemande ? « Non, il travaillait, honnêtement, car les Allemands fusillaient tous les voleurs ». L'auteur n'ose pas en tirer de morale immédiate. Relevons que pour le Français cet amour des délinquants anime la magistrature et les média français postmarxistes, ce qui doit constituer plus qu'une simple coïncidence.
À suivre