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Un maître de liberté appelé Gabriel Matzneff

« La voie que j'ai choisie est, je vous le répète, un choix périlleux » et, pour être couronné de succès, ce choix suppose une confiance absolue en son propre destin, un courage sans faille, une énergie vitale de chat-tigre, une santé d'airain, une indifférence royale à l'opinion publique et au qu'en dira-t-on, un très fort amour de la solitude. » Cette voie, qui est celle de la liberté, de l'indépendance, de l'autonomie et de l'honneur, Gabriel Matzneff en fournit un nouvel et magnifique exemple avec Les émiles de Gab la Rafale, son « roman électronique » paru l'automne dernier. Mais nous, qui le lisons depuis bientôt un demi-siècle, nous qui avons fait de ses livres le fanal quasi quotidien de notre existence, nous qui gardons grâce à eux tout notre amour à la langue française, nous ne nous accommodons pas de cette indifférence. Nous considérons ainsi comme un absolu scandale que le prix Goncourt ne lui ait jamais été donné. Et lorsque nous disons «donné», nous devrions plutôt dire «rendu», car c'est lui, Gabriel Matzneff, qui a beaucoup donné - cette pluie d'or et de lumière qu'est son œuvre.

Pourquoi « roman électronique » ? Parce que Les émiles de Gab la Rafale est un roman composé de courriels, avec ce que ce mode de communication contemporain implique de vitesse et de spontanéité - en quoi Gabriel Matzneff, le byronien, le stendhalien, le barrésien Matzneff, le dandy Matzneff, est de plain-pied dans son époque. Il est dans son époque un peu comme l'était Paul Morand dans son époque à lui, c'est-à-dire parfaitement sceptique quant aux promesses de la modernité, mais tout à fait à son aise pour en employer les outils : Matzneff en retire même une sorte de jubilation enfantine, et c'est l'un des secrets de son art Car son art consiste à écrire comme il respire, et sa respiration est son écriture même. Nous irons même jusqu'à nous demander s’il pourrait respirer sans écrire ! Et, là encore, nous penserons à Morand.

Bien entendu, ce roman qui éblouit comme un cierge magique scintille des mille éclats de l'âme et du cœur de son auteur, lesquels composent un arc-en-ciel de pensées et de sensations dont le catalogue serait absurde car il manquerait l'essentiel, à savoir l'espèce d'ivresse religieuse qui les produit et les provoque, d'une part, et la haine résolue, raison-née, persévérante, définitive de ce qui les entrave, à savoir toutes les formes de bien-pensance, d'où qu'elles viennent : ainsi de ce « fascisme hygiénique» qu'il vitupère avec une violence d'autant plus fondée que l'hédoniste Matzneff, nul n'est censé l'ignorer, est un adepte affirmé et conséquent de la diététique la plus sourcilleuse !

Gabriel Matzneff est plus qu'un grand écrivain français, et sans doute l'un des très rares dont l'œuvre ait franchi de leur vivant l'épreuve du temps (même Morand a failli n'y point réussir) - raison sans doute pour laquelle les Goncourt l'ont raté... C'est un maître qui nous rappelle à chaque page que la liberté et la langue française sont un combat consanguin de chaque instant et qu'il est infiniment plus confortable de les perdre que de les conserver.

Vous voulez en savoir plus ? Primo, lisez Les émiles de Gab la Rafale, secundo (mais l'ordre inverse est admis), plongez-vous dans le splendide dossier Gabriel Matzneff confectionné par Florent Georgesco et rassemblant un formidable appareil de travaux, de témoignages, de documents, d'inédits; en outre, l'objet est fort beau, et d'un format rare qui, dans une bibliothèque, le fera naturellement classer entre le catalogue d'une exposition de photographies de Lewis Carroll et un recueil de partitions d'Henry Mancini.

Michel Marmin Rédacteur en chef éléments N°138 janvier-mars 2011

- Gabriel Matzneff, Les émiles de Gab la Rafale, Léo Scheer, 368 p., 22 €.

- Florent Georgesco (éd.), Gabriel Matzneff Éditions du Sandre, 370 p., 39 €.

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