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Mai 68 : un raté qui n'avait rien de social !

Deux mois de commémoration, d'agitation, {d'amalgame, le culte de « mai 1968 » est lassant. Déclenchée par le président absolu qu'elle prétendait renverser, cette « révolution » - bidon n'a-t-elle pas abouti au triomphe de ce même président, dans la rue. Le 30 mai, dans les urnes le 30 juin ? Les vieux se glorifient pourtant d'en avoir été. La gauche tente de persuader les jeunes de les imiter Personne n'avoue avoir été manipulé. Quarante ans après une contre-performance aussi grotesque, il est temps de situer un raté qui n'avait d'ailleurs rien de social.

Mai 1968 commence en mars, le 20 mars 1968, par une action violente contre les locaux parisiens d'American Express. Est visé l'engagement militaire des États-Unis au Vietnam. Le président De Gaulle mène  campagne,  depuis  des années, contre cet engagement. Et c'est à Paris que s'ouvriront, le 10 mai, les négociations de paix qu'il souhaite. Plus généralement, il s'efforce d'ouvrir « une troisième voie » entre l'économie libérale, soumise à la loi d'un marché où l'on compte en dollars, et « l'économie centralisée », soumise à ce plan qui permet au pouvoir de piloter l'économie nationale, mais que discrédite un « totalitarisme lugubre », source d'un arbitraire sanglant et de pénuries anachroniques.

Charles De Gaulle rêve d'ouvrir au tiers monde une « troisième voie », avec le plan, mais sans arbitraire, sinon sans pénuries. C'est à ce rêve que le général a sacrifié les Français d'Algérie et les Algériens qui défendirent avec eux un développement, unique au sud de la Méditerranée. C'est à ce rêve qu'il a sacrifié les moyens mêmes de son autonomie en se privant de cet atout majeur qu'était le Sahara. D'une part, nos forages sahariens tiraient la France du statut de pays sans pétrole. Ils lui auraient épargné les déficits dans lesquels va s'engluer sa Ve République. D'autre part, le centre d'essais saharien de Reggane lui a donné une arme atomique qu'il a utilisée, sitôt son vecteur aérien en place, pour affirmer l'autonomie de sa dissuasion en chassant du territoire français l'Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), son siège et ses 24 bases. Le président De Gaulle va tout aussi loin à Paris même pour réaliser ce rêve. Il y joue littéralement avec le feu en donnant pignon sur rue à « la révolution permanente universelle » au seuil même du Quartier latin. Il offre un immeuble Bd Saint-Germain à 200 cadres trotskistes réunis par le député "gaulliste" David Rousset pour entretenir l'hostilité à l’engagement américain au Vietnam. Ils étendent cette agitation à tout le pays, en profondeur, en créant des « Comités Vietnam » et « Vietnam de base » dans tous les lycées et collèges ainsi qu'à l'université. Cette agitation le sert à l'extérieur en alignant la France sur les « non alignés ». D'où l'action du 20 mars 1968 contre American Express. À l'intérieur, elle ajoute au trouble d'un électorat mal remis de la double amputation, algérienne et atlantique. Mais le président n'en a cure seule une réaction à des troubles violents et prolongés peut lui rendre une majorité parlementaire. Il va donc utiliser, à cet effet, les Comités noyautés par ses trotskistes. Un autre ambitieux venu de la droite monarchiste et tenté par la gauche, ce François Mitterrand que le général méprise, s'inspirera plus tard de la leçon en faisant appel à l'entrisme trotskiste pour s'emparer de ce parti socialiste qui fut la Section française de l'internationale ouvrière. De mars à mai 1968, tel Mao, le président De Gaulle fait donner une jeunesse embrigadée pour secouer ceux de ses partisans qui se détachent de lui. L'action du 20 mars contre American Express, à Paris même, amorce l'opération.

Cette action laisse indifférents des étudiants avant tout préoccupés de leurs examens de fin d'armée. Leurs semblables ont manifesté en Amérique et un peu partout, notamment à Berlin, contre la guerre du Vietnam. Pas les nôtres ! Notamment parce que beaucoup d'entre eux se rappellent que la France a porté longtemps seule le fardeau de ce conflit, alimenté par les deux empires du communisme pour user les capacités de résistance de l'Occident. Et qu'ils ne tiennent pas à voir les États-Unis retourner à l'isolationnisme que le général De Gaulle reprocha si vivement au président Roosevelt en 1940 et 41.

Un mois et demi de passivité ouvrière

Pourquoi l’action du 20 mars enflamme-t-elle l'extension banlieusarde de la Sorbonne ? Parce qu'elle a entraîné l'arrestation d'un étudiant de Nanterre, Xavier Langlade, dont quelques dizaines d'étudiants en sociologie demandent la libération en fondant un Mouvement du 22 mars. Et parce que Nanterre comporte une cité universitaire, agitée par une revendication sans aucun rapport avec le conflit vietnamien : l'accès libre aux chambres des jeunes filles. Une revendication à cent lieues de l'action syndicale ouvrière, à laquelle la gauche rattache effrontément Mai 1968, pour tenter de provoquer un mai 2008. La cause des sociologues de Nanterre n'est en rien celle des masses laborieuses. Le relâchement des mœurs remplace chez eux une "lutte des classes" que l'expansion de l'emploi tertiaire prive de signification. Absorbée par "la bourgeoisie" une gauche hédoniste ne conserve des droits de l'homme que celui de « jouir sans entrave ». La jouissance étant individuelle, elle foule aux pieds le droit d'autrui pour instaurer la loi de la jungle en proclamant : « il est interdit d'interdire ». C'est la porte ouverte à l'expansion de la pédophilie, à l'ère des violeurs et tueurs en série, ouverte par l'abolition de la peine de mort.

Avec une mauvaise foi dissimulée par le sourire éclatant de la présentatrice, l'audiovisuel public fait aujourd'hui de Mai 1968 un mouvement social à l'actif de son interlocuteur syndical habituel : la CGT. Pour France3 les syndicats de salariés ont suivi les étudiants « au bout de quelques jours ». Or CGT et CFDT n'ont appelé à la grève qu'un mois et demi plus tard, le 11 mai. Du 20 mars au 11 mai, le monde ouvrier se tait ! Les syndicats ont pris pour le moins le temps de la réflexion. Inspiré notamment de jeunes gauchistes allemands des SDS, présents à Paris, le discours des "leaders" improvisés des étudiants est étranger aux préoccupations du monde du travail. Les orateurs qu'ils envoient aux portes des usines Renault sont hués. Cependant, la convocation du plus turbulent, Daniel Cohn-Bendit, devant le conseil de discipline transfère le problème à La Sorbonne même. La majorité des étudiants ne demande qu'à préparer ses examens, mais le ministre, Alain Peyrefitte, les jette dans la rue en fermant la Sorbonne. Les étudiants dépavent les rues du quartier latin. Des barricades surgissent. Suivant le président De Gaulle en visite officielle en Roumanie, je suis témoin de la façon dont il verse de l'huile sur le feu en faisant, au micro de Jean-Pierre el Kabbach, l'éloge de « la sélection », bête noire de la gauche, mais à l'honneur dans l'université roumaine. C'est provoquer les syndicats d'enseignants de gauche et, à travers eux, la CGT. Le PC donnera-t-il dans le panneau ? Certes, ses amis profitent de la situation pour réclamer, à tout hasard, des hausses de salaires, en déclenchant une grève générale. Amorcée dans le dos du président par une visite nocturne de Jacques Chirac, armé d'un revolver, à Henri Krasucki, une négociation s'engage rue de Grenelle. Elle aboutit le 27 mai à un accord octroyant aux salariés une hausse de salaires de 14 %, mais en francs dévalués par la crise. La CGT s'attribue le mérite de cette hausse en manifestant le 29 mai en direction de l'Elysée.

Elle n'y trouvera pas le président De Gaulle. Il a rejoint à Baden le général Massu. Si son départ tend un piège au PC, son refuge le menace d'une réaction de l'armée. Je rejoins le défilé cégétiste boulevard Montmartre. Rien n'y brûle, mais ce défilé à plus de sens que les incendies du Quartier latin. J'entends assister à la prise (ou à la défense) de l’Élysée. Effrayé du chaos résultant de sa manœuvre, le président abandonne-t-il la France au communisme, comme hier les fleurons de notre empire Algérie, Guinée, Indochine ? Je dois le savoir sans tarder. Si oui, nous serons quelques-uns à entrer en résistance. Je serai vite rassuré. Le PC a-t-il craint Massu ? Moscou lui préfère-t-il, pour le moment, De Gaulle ? Le service d'ordre cégétiste détourne les manifestants vers la gare Saint-Lazare.

Un président poursuivant un songe creux

Le lendemain 30 mai, acheminé par des milliers de cars (ce qui ne s'improvise pas), un million de manifestants couvrira les Champs-Elysées, salué, sur le petit écran, par un président De Gaulle revenu dans son bureau pour annoncer la dissolution de l'Assemblée nationale. Du 6 juin au 18 juin, chacun reprend le travail. Le 30 juin, le rassemblement gaulliste enlève 358 sièges de députés sur 485 unraz de marée, plus que la majorité massive espérée par le général. François Mitterrand et Pierre Mendès-France, qui ont tenté d'exploiter son faux départ, se retrouvent gros Jean comme devant. Expulsé, Daniel Cohn-Bendit retourne en Allemagne éduquer (!) de jeunes enfants. Ce n’est qu'après la mort du général De Gaulle et de son successeur, le président Pompidou, que des naufrageurs voteront un bouquet de lois hostiles à la famille, donneront au budget de l'Education le pas sur celui de la Défense et prêcheront les loisirs aux dépens du travail. Pour, finalement, ouvrir toutes grandes les vannes du déficit en finançant une vague d'immigration d'assistance de nature à dissoudre l'identité nationale. Le danger était moins sur les barricades que dans les allées du pouvoir parmi les ambitieux pendus aux basques d'un président poursuivant un songe creux, au point d'avoir lâché la proie pour l'ombre.

Bernard Cabanes

monde&vie 17 mai 2008 n°795

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