Dans l'ordre des idées politiques, la pensée maurrassienne demeure l'une des plus riches et des plus structurées. Elle fait aujourd'hui l'objet d'un regain d'intérêt.
Il y a quelques années, Jean Madiran soulignait la marginalité dans laquelle se trouvaient Charles Maurras et son œuvre. Son petit opuscule publié chez Consep et intitulé Maurras toujours là, rappelait, cinquante ans après la mort de ce dernier, la présence intellectuelle du « proscrit » en dépit de l'ostracisme dont il fut la victime dans le passé, mais aussi dans les temps présents. Tant il est vrai que citer un Bainville ou même un Barrès, comme certains hommes de pouvoir surent le faire dernièrement, peut provoquer les foudres de plusieurs béotiens, vrais faux gardiens d'un temple décadent. Qu'importe, cet ostracisme tout médiatique, teinté à la fois d'idéologie et d'inculture, semble largement se dissiper dans le monde clos mais tellement prolifique des universités françaises.
Pendant longtemps pourtant, l'étude de l’œuvre et des hommes d'Action française était le privilège de l'historiographie étrangère, souvent anglo-saxonne. Nous avons tous en tête le travail magistral d'Eugen Weber ou bien les textes contestés et contestables d'Ernst Nolte sur la prétendue filiation politique des idées d'Action française et du fascisme. De son côté, la recherche française, cantonnée à l'étude des faits économiques et sociaux, délaissa non seulement le mouvement royaliste mais aussi l'appréhension du monde politique et diplomatique appelé péjorativement « Histoire bataille »… Prisonnière de son idéologie marxiste, l’École des Annales abandonna à quelques héros un vaste champ d'intelligence.
Mais cette erreur est désormais largement rattrapée. À l'initiative de quelques historiens, la compréhension du royalisme français au début du XXe siècle retrouve ses lettres de noblesse. On se souvient tout d'abord de l'immense thèse de Jacques Prévotat dirigée par René Rémond et parue chez Fayard en 2001. On sait moins, qu'à côté de ce type de travaux personnels, fleurissent des colloques sur le sujet à la Sorbonne (Paris IV), à Sciences Po, à l'université de Metz, à Lille III. Initiatives multiples révélant à ceux qui ne l'avaient toujours pas compris la complexité culturelle, sociologique et politique du groupe royaliste, de ses membres et de ses influences. Car de l'influence, le mouvement en eut bien au-delà de nos frontières ! Dans un livre au titre évocateur, Charles Maurras et l'étranger - L’étranger et Charles Maurras, les historiens Olivier Dard et Michel Grunewald ont entrepris un véritable tournant intellectuel en révélant le charisme de la pensée du maître de Martigues dans le monde francophone et ailleurs. Mais comme si le sujet était inépuisable, le professeur George-Henri Soutou et Martin Motte ont souhaité approfondir la vision internationale de Maurras en se concentrant sur son maître livre en matière de politique étrangère, Kiel et Tanger. Salué par Pompidou, Kiel et Tanger « est le seul qui a échappé à la condamnation politique et morale portée contre l’Action française et Charles Maurras après 1945 ». Autre travaux à signaler, ceux de Michel Leymarie, grand spécialiste de Thibaudet, qui décida voici plusieurs années d'organiser des rendez-vous universitaires annuels sur le mouvement, ses réseaux, son influence géographique en France, mais aussi sociologique. On découvre ainsi les rapports de l’AF et du monde médical, du monde économique, etc. À côté de cette approche généraliste du mouvement, nous retiendrons aussi les travaux sur les figures de l’Action française l’ouvrage sur Jacques Bainville, à paraître prochainement, déclinera ainsi les multiples facettes du personnage, historien, journaliste, économiste dont l'influence, là encore, a été importante, notamment au Portugal ou en Italie…
Vous l'aurez compris, absolument rien n'échappe à ce groupe d'historiens de toutes origines, françaises et étrangères. Certes, les avis sont divers, les contributions inégales et l'unanimité n'est pas de mise - et tant mieux, mais la plupart des études sortent des sentiers du politiquement correct en accordant à la pensée maurrassienne toute sa place dans l'histoire intellectuelle de la France. L’œuvre entreprise est ainsi loin d'être achevée puisque Leymarie s engage avec Grunewald, Dard et d'autres figures de l'université à réunir leurs confrères pour approfondir la question. Maurras est effectivement toujours présent…
Sous la direction d'O. Dard et M. Grunewald, L'étranger et Charles Maurras-Charles Maurras et l'étranger, Peter Lang, 426 pages, 64€, Jacques Bainville, profils et réceptions, Peter Lang, 270 pages, 30€ par souscription jusqu'au 30 avril. Sous la direction de G-H Soutou et M. Motte, Entre la vieille Europe et la seule France, Economica, coll. Bibliothèque stratégique, 432 pages, 39€ Sous la direction de M. Leymarie et J Prévotat, L'Action française, culture et société, Editions du Septentrion, 434 pages, 24€
Christophe Mahieu monde&vie 13 mars 2010 n°824