La connaissance qu'ont nos contemporains de la société française du Grand Siècle, âge d'or du classicisme qui vit la France de Louis XIV rayonner sur l'Europe entière, se réduit trop souvent à des clichés sur l'absolutisme ou le colbertisme. L'ouvrage que lui consacre Lucien Bély la restitue dans sa riche diversité.
« Nul ne saurait décrire, avec exactitude et simplicité, les Français et la France d'aujourd'hui. La difficulté paraît plus grande encore pour un siècle déjà lointain, le XVIIe siècle ». En 2006, l'historien Michel Vergé-Franceschi faisait le même constat que Lucien Bély en décrivant la société française du XVIIe siècle comme « une société hétérogène, extrêmement enchevêtrée comme aujourd'hui, une société de type très contemporain où nombre de critères entrent en ligne de compte pour tenter de définir une pseudo-hiérarchie entre les êtres. » Et de décrire les rôles et les fonctions des uns et des autres que l'historien exhuma du « Tarif de la capitation » qui n'était autre qu'une description des vingt-deux classes assujetties au fameux impôt créé en 1694 sous le règne de Louis XIV Vergé-Franceschi, non sans ironie, avait prouvé par une étude fiscale combien la diversité française du XVIIe était réelle.
Dans un ouvrage plus vaste, Lucien Bély nous offre à la fois une étude de la société mais aussi une approche politique complète du Grand Siècle; un travail certes épais mais dont la lecture est facilitée par une qualité d'expression qui pourtant fait régulièrement défaut aux travaux universitaires. Bély nous avait habitués aux arcanes de la diplomatie et des ambassades. Dans L’art de la paix en Europe il avait couronné l'œuvre d'une vie en décrivant la naissance des États modernes européens qui rationalisent l’art de la négociation pour suivre l'idéal de paix. Cette fois, son approche est tout autre. Cantonnée à la France, elle vise non seulement à présenter la vie du roi et des ses ministres, les institutions du royaume de France; mais aussi la vie des plus humbles. La thèse du livre nous apparaît ainsi clairement. Il ne s’agit pas pour l'historien moderniste de séparer les deux visions ou les deux conceptions de l'histoire dire que la politique peut agir sans la société ou que la société n’est pas liée aux décisions venues d’en haut. Nullement. L'une et l’autre des conceptKïÉL sont intimement liées au sein de cette pyramide commence dans le travail des champs et se termine dans les plus hautes sphères de l’État. « L’exaltation du pouvoir royal ne fait pas disparaître le discours traditionnel sur les libertés, locales en particulier, sur le rôle de la noblesse comme conseillère du prince ou sur la place des parlements comme instrument de l'action monarchique. » Aussi serait-il abusif de parler d'absolutisme : « Dans ce livre, il n’est pas question d'absolutisme, alors que le XVIIe siècle apparaît souvent comme le temps de sa naissance et de son triomphe. En effet, cette notion que les historiens ont inventée, nous a paru délicate à utiliser, car elle risque de déformer notre vision du passé. » Il s’agit donc d'un monde en mouvement qui se reconstruit à l'intérieur après les guerres de Religion; d'une France dont l'influence arrive à son apogée après la guerre de Trente ans et les traités de Westphalie, mais qui doit défendre son rang par les armes d'un État qui mène une « action réformatrice, multiforme et ambitieuse, malgré des moyens incertains et des idées parfois floues (…) ». Que l’on ne s'y méprenne pas, Lucien Bély n’a pas souhaité peindre un monde idéal qui céderait au romantisme du « C'était mieux avant ». Comme à toutes les époques de notre histoire, la France est soumise à des crises et à des difficultés qu'il faut résoudre dans un monde en mutation, mais où le succès existe bel et bien. Surtout, se développe le sentiment d'un intérêt public placé au-dessus des intérêts particuliers. Il en résulte une « forme d'égalité » entre tous les sujets face au monarque. Un processus capital dans le développement et l'épanouissement des États modernes, parce qu'il préfigure les mouvements de la fin du XVIII siècle.
Bély Lucien, L'art de la Paix en Europe Presse Universitaire de France, 745 pages, 30€
La France au XVIIe siècle, Puissance de l'Etat, contrôle de la société même éditeur, 846 pages, 30€
C.Mahieu monde&vie 3 avril 2010 n°825