Ernest Renan n'est pas parvenu à concilier la foi et la science. Se n'est cependant pas sans tourments que l'auteur de La Vie de Jésus a renoncé à la première. La biographie que lui consacre Jean-Pierre Van Deth revient sur ce débat intérieur.
Pour un catholique, se lancer dans la lecture d'une biographie de Renan peut paraître étrange, tant l'écrivain s est retrouvé au cœur d'une bataille idéologique violente, opposant l'écrivain féru de science et l’Église dans la seconde moitié du XIXe siècle. Avec le temps, c'est-à-dire avec la Grande guerre de 1914, ces querelles se sont estompées la science, au même titre que l’égalité démocratique, a prouvé que les massacres comptés en millions de personnes étaient possibles l’Église, quant à elle, avec son discours sur la charité et la paix entre les peuples, faisait figure d'étrange épouvantail, mais n'effrayait guère le nationalisme guerrier.
D'ailleurs, on ne savait plus trop qui avait gagné la science ou la religion ? La catastrophe européenne de 1914-1918 enseignait la vertu chrétienne de l'humilité, elle ne produisit que le totalitarisme communiste puis la barbarie nazie. Belle victoire de la science l’extermination de masse décidée méthodiquement, rationnellement, systématiquement, scientifiquement... Tout cela, vous en conviendrez, relativise l'apport de la science, mais on imagine aisément que la pensée et les analyses de Monsieur Renan, tout comme celle de Monsieur Taine, n'ont pas souhaité le désastre et les horreurs de cette guerre civile européenne. Le premier devoir de l'historien est de replacer le personnage dans son contexte, c'est-à-dire dans son époque. La biographie de Jean-Pierre Van Deth réalise ce bel exercice elle suit le jeune Renan de sa Bretagne natale jusqu'à ses derniers moments à Paris, où il rend son âme à Dieu, le 2 octobre 1892, un dimanche matin.
Faut-il blâmer Renan ? Les cents premières pages du livre nous montrent un personnage brillant, volontaire et chercheur. Cherche-t-il Dieu ? Oui, sans nul doute. Il est en quête, mais l'institution ecclésiastique ne lui donne pas cette satisfaction intellectuelle. On peut même dire que Renan, âme en peine, est littéralement bouleversé par le choix qui s'offre à lui : Dieu et son Église d'une part, ou la science d'autre part ? Toute sa jeunesse est marquée par ce choix cornélien, presque touchant, qu'il n'ose faire alors qu'avec le temps il ne cesse de croire que la foi et la raison sont incompatibles. Un jour, il confesse : « On se tait à soi-même par stoïcisme, et à Dieu aussi bien des choses. On les sait, mais on ne se les dit pas. »
L'absence du mystère
Finalement Renan bascule, car, c'est une évidence, il n’a pas la foi. Néanmoins l’Église - c'est-à-dire ses maîtres de Saint-Sulpice - est toujours présente. Ils voient cette âme souffrante, pensent qu'elle leur reviendra un jour et décident d'aider matériellement ce jeune séminariste qui, pourtant, rejoint le monde.
L’arbre tombe du côté où il penche : Renan, plus brillant que jamais, réalise un véritable plan de carrière son ascension est fulgurante, ses reniements aussi. Néanmoins, il n'est pas Sainte-Beuve. Ce dernier faisait gras chaque vendredi saint, par provocation. Renan, lui, continue à cultiver son champ scientifique, dont on ne sait pas très bien si, oui ou non, Dieu est au bout : « Nos idées de l'espace et du temps sont toutes relatives », soutient-il à la fin de sa vie. Il continue : « Tout est possible, même Dieu » Plus tard, il affirme au cours d'un banquet organisé sur sa terre natale : « Les moments que l'homme donne à la joie doivent compter parmi ceux où il répond le mieux à l’Éternel. »
Chez Renan, on trouve sans nul doute la vertu d'amour : amour de sa femme, de ses enfants, amour de la patrie, amour de la Bretagne, amour de la mère et de la sœur chérie aussi. Mais il manque désespérément la transcendance, la religion du mystère et, surtout, une forme d'humilité. Pascal disait : « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il existe une infinité de choses au-dessus d'elle ». Renan en avait conscience, mais il n'avait pas envie de faire le pari de Dieu.
Jean-Pierre Van Deth, Ernest Renan, Fayard, 604 pages, 32 €.
Christophe Mahieu. monde&vie 16 juin 2012 n°861