Un passionnant documentaire réalisé par Éric Deroo, « Au premier rende-vous de la Résistance », a été diffusé sur la chaîne Histoire au mois de juin 2016. L’occasion de redécouvrir l’engagement, dès juin 1940, d’authentiques réactionnaires au service de la libération nationale.
19 décembre 1964. Est-ce le vent de l'Histoire qui souffle sur la montagne Sainte-Geneviève, sanctuaire de notre première résistante ? André Malraux prononce un discours d'anthologie « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège ! ». D'une voix tremblante, l'orateur loue l'action unificatrice du chef du CNR : « Qui donc sait encore ce qu'il fallut d'acharnement pour parler le même langage à des instituteurs radicaux ou réactionnaires, des officiers réactionnaires ou libéraux, des trotskistes ou communistes retour de Moscou, tous promis à la même délivrance ou à la même prison ce qu'il fallut de rigueur à un ami de la République espagnole, à un ancien préfet radical chassé par Vichy, pour exiger d'accueillir dans le combat commun tels rescapés de la Cagoule ! ».
Les résistants de droite en première ligne
Toute la diversité de la France Libre est là, avec en son sein une Simone Weil, ancienne membre des Brigades internationales, et un Pierre de Bénouville qui avait combattu dans les rangs franquistes. Lorsque les chars de la 2e DB libèrent Paris, Leclerc, authentique officier réactionnaire et ancien abonné à L’Action Française, commande à des républicains espagnols. Une situation impossible à prévoir dans les années 30, quand la ligne de fracture entre antifascistes et prétendus fascistes était si forte. Une situation tout aussi incompréhensible aujourd'hui : la prépondérance des mémoires gaulliste et communiste a mis de côté les résistants réactionnaires.
Pourtant, force est de constater qu’en 1940, alors que le PCF est inactif en raison du pacte germano-soviétique, les premiers résistants sont, pour beaucoup d'entre eux, bien droitiers camelots du roi, cagoulards, anciens des Ligues… Comment l'expliquer ?
C'est tout l'intérêt du documentaire d'Éric Deroo : « Au premier rendez-vous de la Résistance ». Mêlant images d'archives et commentaires de spécialistes de la Résistance et des droites, il nous entraîne au cœur du premier XXe siècle, avec ses crises parlementaires, ses affaires, ses Ligues, ses articles vengeurs et ses vives oppositions entre pacifistes et bellicistes. Auteur d'Un paradoxe français antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, Simon Epstein rappelle qu'un antifasciste de 1936 ne sera pas forcément résistant et qu'un antisémite des années 30 ne sera pas nécessairement vichyste ni collaborateur.
Des maurrassiens à Londres
La débâcle de 1940 et l’Armistice font éclater les écoles politiques. Chez les jeunes militants d’Action française qui, quelques semaines avant la défaite, menaient une intense campagne pour que Pétain soit appelé au pouvoir, l'inquiétude est immense. Daniel Cordier, camelot du Roi à Bordeaux, sanglote en écoutant le message du Maréchal le 17 juin. Cesser le combat, se résigner à l'occupation ? Pour Cordier, c'est une trahison. Le « nationalisme intégral » de Maurras, si cher à ses yeux, sera déterminant dans son choix d'entrer en résistance. Pourtant, Maurras choisit une autre voie. L'absence à Londres du maître de Martigues sera un crève-cœur pour Cordier, qui deviendra secrétaire de Jean Moulin. Pour François Huguenin, spécialiste de l’AF, les jeunes maurrassiens résistants vont dire au vieux maître : « ce qui compte, ce ne sont pas les idées, ce sont les actes que nous allons poser. L’acte que nous allons poser va être d'entrer en résistance et d'aller nous battre contre l'Allemagne jusqu’au bout ».
Dans le cœur de ces réactionnaires rebelles de juin 40, le patriotisme est la motivation première. À leurs yeux, la capitulation est inacceptable. La République peut perdre, mais pas la France ! Ainsi s engage une « extrême droite d'honneur », selon le mot de l'historien Olivier Wievorka. Parmi eux, les cagoulards Maurice Duclos et Pierre Fourcaud, figures du renseignement de la France libre. Il y a aussi le colonel Rémy, militant d'Action française et mythique agent secret de Londres. Ancien maurrassien, le résistant Jacques Renouvin mourra à Mauthausen en 1944. Et comment oublier l'archange de la France Libre, son premier martyr : Honoré d'Estienne d'Orves ? Catholique, légitimiste, ce lieutenant de vaisseau établit le réseau Nemrod mais, trahi, il est fusillé au Mont-Valérien le 29 août 1941. Ernst Jûnger dira de ses lettres d'adieu : « Elles constituent une lecture de haute valeur et j'avais le sentiment de tenir entre mes mains un document qui demeurera ».
Ce qui demeure de ces résistants de la première heure, c'est l'impression rayonnante d'une droite chevaleresque, en croisade pour que France continue.
Thibault Bertrand monde&vie 1er juillet 2016 n°926