Il fait partie de cette jeune génération qu veut remettre les choses à l'endroit Historien et professeur d'histoire, Vincent Badré enseigne dans le hors-contrat après avoir été dans l'enseignement public. En 2012. Il avait déjà publié L'histoire fabriquée ? (éditions du Rocher) pour rappeler des points passés sous silence dans les manuels scolaires. Cette fois-ci, dans L'histoire politisée, il aborde la question du roman national et de la nation comme « expérience culturelle »..
Entretien avec Vincent Badré
Comment va renseignement de l'histoire, notamment en ces temps de réforme du collège ?
Il change assez peu, ce qui n est pas vraiment une bonne nouvelle. Le compromis installé du temps de François Mitterrand reste en place. Les programmes parlent surtout de la France, un peu des grandes figures anciennes du récit national et de la construction de l'État et de plus en plus de l’ouverture au monde et des souffrances des soldats, des colonisés et des femmes du passé.
Quelle a été l'action spécifique de l'Éducation nationale du temps de François Hollande ?
Vincent Peillon, Najat Vallaud Belkacem et Michel Lussault, chargés des programmes, ont multiplié les déclarations provocantes sur la laïcité, les femmes et le roman national. Il fallait tirer fortement le « mammouth » vers la gauche « moderne ». Les réactions de l’opinion ont fait que la réalité est plus mitigée : quelques évolutions dans ce sens en histoire et une éducation civique très partiale.
Y a-t-il des dérives dans les manuels actuels d'histoire ?
Ils restent imbibés de l’esprit contemporain. Ils n'arrivent par exemple toujours pas à montrer un seul témoin de la Grande guerre qui se soit battu par patriotisme, malgré la présence de celui-ci dans la réalité. Ces livres restent aussi assez incapables d'aller au-delà de la représentation des beaux murs des églises pour faire voir la prière ou l'amour chez les chrétiens. En éducation civique ils disent aux enfants d'être bien sages, sans aller aux racines de la paix, et leur proposent d'inverser les stéréotypes de genre.
Sentez-vous une inquiétude des parents sur ce qui est enseigné à leurs enfants ?
On voit souvent la douloureuse surprise de parents d'élèves, y compris quand ils sont journalistes, devant les livres actuels. Le livre L'histoire fabriquée ? cherche à faire comprendre le fonctionnement de livres qui mettent côte à côte des documents, avec un raisonnement implicite qui est mis en forme par les professeurs. Dans L'histoire politisée ? je montre les chemins de la réforme en cours et les tentatives pour sortir de ce modèle pédagogique.
Nous sommes en pleines primaires de la droite et du centre. Les candidats s'intéressent à la question de l'éducation. Quelle histoire entendent-ils défendre ? Tous les "grands" candidats sont atteints du même mal. Craignant d’entrer dans les polémiques, ils proposent de changer les formes d’organisation de l'Éducation nationale sans modifier son logiciel. Ils veulent libérer les chefs d'établissement tout en ligotant le professeur dans les équipes pédagogiques. En histoire, ils lancent quelques mots symboles séduisants mais leur « roman national » se résume à un entassement de figures variées pour tenter de plaire à tout le monde.
La notion de « roman national » est-elle périmée ?
Elle rend hystériques certains courants de gauche qui diabolisent l'histoire enseignée sous la IIIe République alors que les grandes figures de ce récit restent très présentes dans les mémoires. Ce récit était sans doute un peu un roman par son choix de ne valoriser que les figures agissant pour l'unité nationale, en mettant de côté des courants opposés. Il oubliait trop souvent les figures les plus engagées dans nos divisions, les révoltés pour les États-généraux, les Bourguignons ou les Bretons, mais aussi les saints et les socialistes.
Comment améliorer l'enseignement de l'histoire ?
Il faudrait sans doute réintégrer les saints et les salauds dans notre mémoire nationale, faire une histoire aussi contrastée que l'Ancien Testament, qui ne cache rien des horreurs et des grâces reçues, pour donner aux enfants les moyens d'aimer telle ou telle figure. C'est en particulier important pour les enfants venus d'autres cultures. C'est possible en définissant une liste large et diversifiée de personnages historiques.
Une étude récente montre que les enfants ont en tête une histoire de France laïcisée et désincarnée. Il faut au contraire aller vers une histoire personnalisée qui sache montrer des choix de vie et de comportement. Il faut aussi apprendre à transmettre soi-même une mémoire historique sans attendre de l'école qu elle fasse tout le travail.
Propos recueillis par François Hoffman
✔︎ Vincent Badré, L'Histoire politisée ? Réformes et conséquences, Rocher 2016,336 p. 19 €.
Françoise Lantheaume, Jocelyn Létourneau, Le récit du commun. L'histoire nationale racontée par les élèves, PUL, 2016
monde&vie 3 novembre 2016 n°931