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Avril 1917 : L’intervention américaine dans la Première Guerre mondiale

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Le concept allemand de Weltpolitik (politique mondiale), à l’époque de Guillaume II, était fort utilisé et prisé ; il indiquait qu’en théorie, le Reich voulait jouer un rôle planétaire, ce qui n’a pas empêché les Allemands de figer leur pensée politique dans des catégories continentales européennes et non pas mondiales. La guerre qui se déclenche le 1er août 1914 prend rapidement des dimensions globales mais la politique et la diplomatie allemandes n’y étaient pas préparées. Elles n’avaient pas tenu compte d’une possibilité, pourtant prévisible : l’implication dans le conflit du potentiel militaire, industriel et militaro-industriel des États-Unis, dont le poids serait déterminant dans l’issue du conflit.

L’ambassade d’Allemagne à Washington fut surprise d’apprendre que les puissances de l’Entente avaient coupé ses liaisons par câbles vers l’Europe. L’émetteur radio transocéanique Nauen en était encore à ses premiers balbutiements et il a fallu de longs mois pour restaurer une liaison vague et précaire avec le ministère allemand des affaires étrangères, via la Suède.

Les militaires, toutefois, avaient été plus clairvoyants et avaient agi en conséquence. L’attaché militaire Franz von Papen avait reçu un ordre de l’état-major général, sous enveloppe cachetée à n’ouvrir qu’en cas d’extrême urgence ; cette enveloppe contenait les adresses de firmes commerciales établies dans des pays neutres et un code chiffré. De cette façon, il était possible de câbler vers Berlin des informations militaires, déguisées en télégrammes commerciaux, au départ de la filiale new-yorkaise d’une firme de Hambourg.

La diplomatie allemande n’avait aucun accès aux milieux gouvernementaux américains

Sur le territoire américain, l’Allemagne était donc totalement isolée sur le plan des échanges d’information, ce qui a permis à ses adversaires de répandre sans obstacles leurs points de vue sur les raisons et le déroulement de la guerre et d’influencer l’opinion publique américaine en faveur d’une intervention pro-Entente, notamment en utilisant toutes les ficelles de la propagande sur les atrocités prêtées aux Allemands (les mains coupées des enfants belges, etc.). La majorité du peuple américain s’opposait à l’entrée en guerre des États-Unis. Les milieux dirigeants, en revanche, se montrèrent dès le départ favorables à l’Entente, la soutenaient financièrement et lui livraient du matériel de guerre. Sur le plan culturel, ces milieux se sentaient proches des Britanniques ; sur le plan politique, ils admiraient la forme politique que représentait la République française. L’ambassadeur britannique écrivit à son gouvernement, à propos du vingt-huitième Président des États-Unis, le démocrate Woodrow Wilson : « par sa naissance et son éducation, il est clairement un Britannique ». Le 3 septembre 1914 déjà, le Président lui avait dit qu’une défaite de la Grande-Bretagne ruinerait tout ce qui lui était cher. Le ministre des affaires étrangères William Jennings Bryan, qui défendait le principe d’une neutralité stricte, n’a pas pu faire triompher ses vues ; il sera vite remplacé par un pro-britannique, Robert Lansing.

La diplomatie allemande n’avait pas d’entrées dans les milieux dirigeants américains, comme en avaient les Britanniques. La très forte minorité allemande dans la population américaine étaient presque entièrement favorable aux Républicains et l’ambassadeur allemand, le Comte Johann Heinrich von Bernstorf, n’avait focalisé ses contacts politiques que sur les seuls milieux républicains, dont l’influence était très réduite sur l’entourage du démocrate Wilson. La requête des Germano-Américains, visant à interdire complètement l’exportation d’armements, a été refusée par Wilson sous le prétexte que cela nuisait à l’économie américaine. L’ampleur croissante des livraisons à l’Entente eu un effet secondaire : les Américains avaient de plus en plus intérêt à voir triompher l’Entente, car seuls les vainqueurs seraient, in fine, capables de payer leurs dettes.

Pendant longtemps, les rapports entre les États-Unis et le Reich avaient été cordiaux. Toutefois, de premières frictions surgirent à la fin du 19ième siècle, frictions qui devinrent vite de plus en plus aiguës. Les intérêts coloniaux des deux puissances se heurtaient dans le Pacifique ; la guerre hispano-américaine de 1898 suscita encore davantage de différends.

L’installation de communautés allemandes en Amérique latine inquiétait la presse américaine, qui lançait alors des campagnes contre la « colonisation » allemande, considérée comme une entorse faite à la Doctrine de Monroe. Cet ensemble d’incidents conduisit les États-Unis à soutenir les adversaires de l’Allemagne lors de la crise marocaine de 1911, car les observateurs américains jugeaient la côte marocaine trop proche du Brésil où les communautés allemandes jouaient un rôle important. Les États-Unis ne cessèrent dès lors plus de traiter les parties belligérantes de manière inégale, y compris après le déclenchement de la guerre en 1914. Tandis que les États-Unis ne critiquaient que formellement le blocus des mers qu’imposait la Grande-Bretagne à l’Allemagne, la riposte allemande, à savoir la guerre sous-marine, fut d’emblée considérée en Amérique comme une attaque intolérable contre le principe de la liberté des mers. Le motif de cette condamnation sévère est explicité dans les mémoires de Lansing : les milieux dirigeants américains envisageaient déjà, à ce moment-là de la guerre, d’entrer en belligérance aux côtés des Britanniques, dès que l’occasion se présenterait.

Les États-Unis veulent reprendre à leur compte l’héritage de l’Empire britannique

La politique allemande s’est montrée incapable d’endiguer l’hostilité américaine en 1941, le secrétaire d’État aux affaires étrangères von Weizsäcker s’étonnait encore de l’aversion qu’éprouvait Roosevelt à l’encontre de l’Allemagne. Elle s’est contentée de répéter que le Reich n’avait nulle intention d’attenter aux intérêts des États-Unis. La raison profonde de cette attitude anti-allemande croissante s’explique : les États-Unis voulaient devenir une nouvelle puissance impériale dans le monde et sentaient instinctivement que l’Allemagne pouvait à terme menacer leurs projets. Les États-Unis avaient retenu la leçon prémonitoire d’Alexis de Tocqueville, qui voyait l’Amérique et la Russie se partager le monde, vision où l’héritage de l’Empire britannique reviendrait aux États-Unis, parce que la puissance de Londres avait désormais atteint voire dépassé son zénith. L’un des principes cardinaux de la politique anglaise en Europe était de s’allier toujours à la deuxième puissance continentale contre la plus forte, pour empêcher que ne se constitue une puissance européenne unie et hégémonique. L’Angleterre visait ainsi à couvrir ses arrières sur le continent pour poursuivre ses ambitions globales. Les États-Unis ont repris ce principe à leur compte. Ils voyaient en l’Allemagne la puissance montante, capable à terme, de fédérer les ressources du continent européen et de faire de l’Europe-puissance un concurrent de l’Amérique sur la scène internationale.

La guerre sous-marine, menée par les Allemands contre les navires de l’Entente, a fait basculer l’opinion aux États-Unis. Le 15 août 1915, le paquebot Lusitania est torpillé au large des côtes méridionales de l’Irlande ; parmi les 1.198 morts, se trouvaient 139 citoyens américains (d’autres sources évoquent le chiffre de 126). Le Lusitania avait été repeint selon les critères du camouflage militaire et transportait des armes, alors que l’Amirauté britannique savait fort bien que, dans de telles conditions, le navire deviendrait automatiquement la cible des torpilles allemandes (cf. notre article dans Junge Freiheit n°18/2005). Les citoyens américains morts lors de ce torpillage devinrent des atouts considérables dans la guerre psychologique. À partir de ce moment-là de la guerre, des manifestations anti-allemandes s’organisèrent aux États-Unis. Le 19 août, c’est au tour de l’Arabic d’être coulé dans les mêmes conditions, puis, le 5 novembre, c’est celui de l’Ancona ; chaque navire, victime des torpilles allemandes, transportait son lot de citoyens américains, à compter parmi les morts. Le 24 mars 1916, le « Sussex », un navire français de transport de passagers, est coulé dans la Manche : 480 citoyens américains sont parmi les victimes. La réaction du gouvernement américain est alors si violente que le Grand Amiral Alfred von Tirpitz, secrétaire d’État auprès du ministère allemand de la marine, donne sa démission ; le gouvernement du Reich ordonne alors de mettre un terme au torpillage sans avertissement préalable de navires de transport. Mais le gouvernement se réserve toutefois le « droit de décider comme il l’entend, au cas où les États-Unis ne réclameraient et n’obtiendraient pas rapidement de la part de la Grande-Bretagne l’observation stricte des clauses de droit international prévoyant la liberté des mers (ndlr : les Allemands voulaient que soit levé le blocus naval affamant l’Allemagne) ».

Cette tentative de faire pression sur les États-Unis n’eut aucun effet. Washington n’envisageait nullement d’appliquer, avec équité et objectivité, les mêmes principes de droit aux Allemands et aux Britanniques. Finalement, l’objectif des États-Unis était de rafler les acquis de la grande puissance thalassocratique anglaise sur le plan matériel comme sur les plans politiques et idéologiques. Parmi l’héritage idéologique que convoitaient les États-Unis, il y avait surtout le droit souverain de définir ce qu’était et devait être le droit et le non droit dans les rapports entre nations. C’est surtout sous Wilson, qui se posait comme le missionnaire de la démocratie et du droit des gens (selon son concept de « Société des Nations »), que s’est renforcée aux États-Unis la tendance à affirmer les intérêts américains comme s’ils étaient l’expression d’une morale transcendante. Dans cette optique, les offres de médiation et les propositions de paix du Président américain n’ont été que des manœuvres retardatrices (rappelons qu’il devait sa réélection de la fin de l’année 1916 à la bonne utilisation propagandiste du slogan : « Il nous a maintenu hors de la guerre »).

Le télégramme Zimmermann fut une catastrophe diplomatique

Le Reich annonce le 1er février 1917 qu’il lance la guerre sous-marine à outrance. Un jour plus tôt, les États-Unis en avaient été avertis formellement, si bien qu’ils ne pouvaient plus protester. Le 3 février, les États-Unis rompent les relations diplomatiques avec Berlin et contraignent la plupart des pays latino-américains à en faire autant. Par la suite, le télégramme Zimmermann fut une catastrophe diplomatique, la goûte d’eau qui fit déborder le vase. Le secrétaire d’État allemand aux affaires étrangères, Arthur Zimmermann, avait chargé le représentant du Reich à Mexico de forger une alliance avec le Mexique en cas de déclaration de guerre des États-Unis au Reich et de promettre aux Mexicains la récupération du Texas, du Nouveau-Mexique et de la Californie, perdus en 1848. Pour le transmettre, il avait utilisé un câble américain direct que le gouvernement des États-Unis avait mis à la disposition de l’ambassade d’Allemagne pour faire passer toutes les informations relatives aux propositions de médiation de Wilson.

Le télégramme tomba aux mains des services secrets britanniques, qui avaient déjà réussi à déchiffrer les codes allemands dès août 1914 ; ils transmirent le texte aux Américains au bon moment psychologique. Le contenu en était si énorme que les neutralistes américains accusèrent leur propre gouvernement d’avoir fabriqué un faux et c’est Zimmermann lui-même (!) qui torpilla leur ultime manœuvre pour sauver la neutralité américaine en affirmant haut et clair que sa dépêche résultait d’une volonté bien justifiée de se défendre. L’incident révèle, aujourd’hui encore, qu’aux niveaux de la diplomatie, de la guerre psychologique et des services secrets, l’Allemagne était inférieure aux puissances de l’Entente. Le 6 avril 1917, les États-Unis déclarent l’état de guerre entre leur pays et l’Allemagne. Le 7 décembre, ils déclarent la guerre à l’Autriche-Hongrie. La défaite des puissances centrales n’était plus qu’une question de temps.

► Thorsten Hinz, Junge Freiheit n°14/2007. (tr. fr. : RS)

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/57

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