Le Palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale, mercredi 24 mars… quasiment vide de ses occupants, élus de la Nation, pourtant grassement payés. Et ce n’était pas la conséquence des ravages d’une soudaine épidémie de Covid-19. Non, ce n’était que l’expression du désintérêt de ces donneurs habituels de leçon pour le débat sur la stratégie sanitaire du gouvernement. Ils auraient dû être 577 pour transmettre au ministre de la santé les récriminations de leurs électeurs envers la politique actuelle, face à la pandémie virale. Ils étaient moins d’une vingtaine.
UNE HONTE.
L’image ci-dessus résume à elle seule l’état de déliquescence du pouvoir législatif, face à un exécutif omnipotent dans la gestion de la crise sanitaire. Et c’est devant un Hémicycle quasi vide, que le ministre de la santé et des solidarités, Olivier Véran, a soutenu la stratégie sanitaire du gouvernement, en pleine « troisième vague » et après un week-end marqué par l’annonce de nouvelles « mesures de freinages renforcées » dans seize départements, notamment de l’Ile-de-France et des Hauts-de-France.
« Nous sommes à un tournant de notre combat contre l’épidémie. Un tournant, car nous savons que les prochaines semaines vont être très difficiles, a affirmé M. Véran devant les députés présents. (…) L’espoir ensuite est permis. A court terme, cette campagne vaccinale changera la donne », a-t-il défendu.
Sauf que la stratégie vaccinale est scandaleusement inopérante au point qu’Emmanuel Macron s’en est ouvert à une chaîne de télévision grecque, il y a deux jours (https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/vaccin/covid-19-sur-les-vaccins-l-europe-n-est-pas-allee-assez-vite-reconnait-emmanuel-macron-a-la-television-grecque_4346635.html), mais en faisant porter la responsabilité de l’échec à l’Union européenne (UE). Alors, de deux choses l’une. Soit il dit vrai et il faut immédiatement quitter cette association de malfaiteurs . Soit il ment et il doit démissionner.
Au cours des trois heures qu’aura duré cet échange, une vingtaine d’élus seulement ont confronté le ministre à une série de questions portant sur « la troisième voie » choisie par le gouvernement pour éviter un confinement strict, l’instauration d’un futur passeport sanitaire et, surtout, la lenteur de la campagne vaccinale. À quoi servent les autres ?
Une parodie de démocratie dans un régime politique qui se vante d’en être l’horizon indépassable !
« Nous avons le sentiment que la vaccination ne se fait pas à flux tendu », a déploré le député (Parti socialiste, PS) de Seine-Maritime Gérard Leseul dans un bel euphémisme. « Nous devons avoir le débat de la vaccination prioritaire pour les jeunes avec le vaccin Janssen », a proposé sa collègue (Agir), Agnès Firmin-Le Bodo, du même département. « Les hésitations et zigzags concernant AstraZeneca, meurtriers pour la confiance, nous ont rendus furieux, comme tant d’autres », a déclaré Cédric Villani, député (ex-La République en marche, LRM, et ex-Ecologie, démocratie, solidarité, EDS) de l’Essonne et président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
M. Véran a réexprimé la position du gouvernement. Notamment qu’il n’y aura pas de remise en cause de la vaccination par tranche d’âges, ou que la question de la création d’un passeport sanitaire doit être d’abord tranchée au niveau européen (quant on voit l’efficacité de l’UE depuis le début de la pandémie et de l’apparition des premiers vaccins, on ne peut qu’être dubitatif) ; à propos d’un « passe sanitaire » dans un cadre national, il reste hésitant, comme d’habitude. « Le temps que ce débat-là soit monté, un, on aura une couverture vaccinale déjà satisfaisante, deux, je pense qu’on sera sorti de la vague, et probablement en capacité de rouvrir un certain nombre de lieux », a-t-il affirmé. Il a également plaidé pour que les infirmiers puissent prochainement « prescrire le vaccin AstraZeneca, afin de l’administrer à domicile aux personnes âgées isolées ». Et, là, on ne rêve plus. On fantasme.
Ce débat « sur le suivi de la crise sanitaire » était planifié depuis plusieurs semaines dans le cadre de l’une des semaines de contrôle des politiques publiques à l’Assemblée nationale. Celles-ci ont tendance à être considérées « sans enjeux » et sont en partie délaissées par les députés, qui préfèrent se consacrer en priorité à leurs activités en circonscription.Les discussions devaient en principe donner lieu à une sorte de bilan sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement, un an presque jour pour jour après l’annonce du premier confinement et le vote de la première période d’état d’urgence sanitaire au Parlement. Dans les faits, l’agacement de M. Véran et le désintérêt des rares députés présents, ont éclipsé toute tentative de dialogue.
Une passe d’armes entre la députée (Les Républicains, LR) des Alpes-Maritimes Laurence Trastour-Isnart et M. Véran illustre le dialogue de sourds qui s’est installé entre les oppositions et l’exécutif. « Les Français ont le sentiment qu’un gouvernement d’amateurs bricole des mesures à la petite semaine », a fustigé l’élue avant que le ministre ne l’attaque à son tour. « Madame la députée, les Français en ont marre (…). Je croirais volontiers aussi que nos concitoyens sont las d’entendre ce genre d’interpellations. » En signe de désapprobation, les cinq députés LR présents ont quitté l’Hémicycle.
« Ce que nous faisons là n’est pas, de mon point de vue, un débat », a dénoncé Alexis Corbière, député (La France insoumise, LFI) de Seine-Saint-Denis, dénonçant « un jeu de questions-réponses dépourvu de sens ». L’élu communiste (PCF) de Seine-Maritime, Sébastien Jumel, a, lui, avancé sa propre explication : « Peut-être que le caractère inopérant de ce débat est lié au fait qu’un conseil de défense s’est tenu il y a quelques minutes et que nous ne savons pas ce qui s’y est dit, et que l’on réunit l’Assemblée aujourd’hui pour parler de la crise sanitaire alors que les décisions ont été annoncées par le président de la République il y a deux jours. »
Quelques heures plus tôt, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, annonçait à l’issue du conseil des ministres que les nouvelles mesures de restrictions sanitaires pourraient s’étendre à trois nouveaux départements : le Rhône, la Nièvre et l’Aube. C’est le premier ministre, Jean Castex, qui devra préciser les annonces lors de sa conférence de presse hebdomadaire, jeudi.
Les critiques des parlementaires sur la gouvernance solitaire de l’exécutif sont constantes depuis le début de la crise sanitaire. Et si ce débat sans vote, donc non contraignant pour le gouvernement, devait avoir une seule et unique vertu, c’était de donner à l’opposition parlementaire un espace politique, là où les élus estiment régulièrement être mis devant le fait accompli face aux mesures inopinées de l’exécutif. Mais cela justifie-t-il l’absentéisme parlementaire ?
Non, bien sûr, tant il est vrai que les seules batailles que l’on est certain de perdre sont celles que l’on n’a pas menées…