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Mary Tudor, Mary la sanglante

Cet article a été initialement publié par l’excellent site des Cahiers libres.

Mary tudor n’était pas celle qu’attendait le roi Henri VIII. Celui-ci, marié à Catherine d’Aragon depuis plusieurs années, désespérait de pouvoir obtenir d’elle un héritier mâle pour assurer l’avenir de la dynastie et du royaume. Un petit Édouard était mort au berceau en 1511. La reine peinait à engendrer de nouveau, lorsqu’elle accoucha de Mary le 18 février 1516. Le roi ne fit pas mystère de sa déception et trouva consolation dans de nouvelles amours. La pauvre Mary, dont nous fêtons les cinq cent ans de la naissance, fut la cause bien involontaire de la rupture de l’Angleterre avec le siège de Rome. Son action politique, comme souveraine, eut pour objectif de retisser ce lien rompu, et eut pour conséquence d’en accroître la déchirure. 

Une bien triste enfance

Fille mal aimée, Mary avait dix-sept ans lorsqu’en 1533 sa mère Catherine fut officiellement répudiée par Henry VIII afin de pouvoir épouser Anne Boleyn qui lui donnerait une descendance mâle, espérait-il. 

Cette rupture fut, pour la princesse Mary, une catastrophe à tous points de vue. C’était un malheur privé, puisqu’elle était séparée de sa mère chassée de la cour, et éloignée de son père qui souhaitait lui retirer tout droit à la succession royale. Elle perdit son titre d’altesse royale, pour n’être plus que lady Mary, et fut chassée de la cour, ce qui était un malheur dynastique. A cela s’ajouta le malheur spirituel. Son père excommunié venait de donner naissance à une église catholique nationale, schismatique, dont il était le chef. Du schisme on allait pas tarder à basculer dans l’hérésie, tant les influences protestantes venues du continent se faisaient pressantes. Pour la très catholique anglo-espagnole Mary, c’était la désolation. Son peuple se damnait sous ses yeux. 

Le Supremacy Act fondait l’Église anglicane en 1534. La même année, un Succession act écartait Mary de la succession royale en la déclarant illégitime puisque issue d’un mariage prétendu nul. Sa demi-sœur, Elizabeth, née en 1533 des amours de Henry VIII avec Anne Boleyn, lui passait devant. Plusieurs conseillers royaux refusèrent cependant cette forfaiture. Il en coûta sa tête à saint Thomas More pour son courage. 

En janvier 1536, Catherine d’Aragon mourait dans son exil. La reine Anne, convaincue d’adultère et d’inceste fut décapitée à la mi-mai 1536. Fin mai, Henry VIII se mariait avec Jane Seymour. D’elle, il eut un fils, enfin ! Édouard naquit le 12 octobre 1537. Mais la reine Jane ne survécut pas à l’accouchement. L’insatiable Henry se mit de nouveau en recherche de princesses. Mais n’eut pas d’autre héritier. Il fallait tout de même assurer l’avenir, et un Succession Act donna la primauté à Édouard, replaçant Mary dans l’ordre de succession en deuxième place, suivie d’Elizabeth.

Cependant, pour Mary, le quotidien ne changea guère. La mort de Catherine sa mère la rapprocha quelque peu de son père Henry VIII, sans pour autant qu’elle put reprendre sa place à la cour.

La mort du roi Henry le 31 janvier 1547 n’allait pas plus adoucir le sort de lady Mary. Édouard VI n’avait que neuf ans, et le gouvernement fut en fait exercé par les conseillers de son père.

La protestantisation de l’Angleterre

La rupture avec la catholicité en 1534 avait donné naissance à une église nationale en tous points semblables à l’Église catholique, du moins dans les apparences. Mais le pays fut profondément divisé par le schisme. Pour nombre de sujets du roi, de prêtres, d’évêques et de moines ou religieux, l’acte était abominable, légitimant toutes les séditions, tandis que pour la majorité, c’était une prise d’indépendance du royaume. L’Angleterre avait toujours été la fille soumise de l’Église. Le roi Henry VIII, comme ses prédécesseurs, se considérait défenseur de la foi. Mais comme tous les Tudors, il était animé en premier lieu d’un patriotisme ardent, s’identifiant complètement à l’Angleterre. La prise d’autonomie religieuse apparut donc comme une forme d’envol. 

Pour les catholiques fidèles, attachés aussi à leur roi, il fallut se soumettre afin d’éviter les persécutions. Plusieurs prélats durent prendre la route de l’exil.

Édouard VI, influencé par la prédication protestante venue du continent, donna une autre inflexion à l’Église d’Angleterre, plus calviniste dans l’esprit à défaut de la forme, la pompe ecclésiale étant nécessaire au lustre royal. Alors que Henry VIII avait fait monter des prédicateurs réformés sur le bûcher, Édouard leur tendait les bras. 

En quelques années, le royaume d’Angleterre devint l’État le plus fanatiquement anti-papiste d’Europe, d’autant plus que cela revenait à affirmer son indépendance face aux deux grandes nations catholiques, la France des Valois et l’Espagne de Charles Quint. 

L’avènement de Mary

Édouard VI, jeune adolescent, ne régna guère. Une phtisie le terrassa le 6 juillet 1553, ouvrant la voie du trône à lady Mary. Le régent du règne précédent, le duc de Northumberland, anglican convaincu, ne l’entendait pas ainsi. 

Pour prémunir l’Angleterre de l’avènement d’une reine catholique et hispanophile, il organisa, dans les derniers jours de vie d’Édouard, un véritable coup d’État. Le convainquant de ne pas suivre les dispositions de feu Henry VIII, il fit écarter derechef Mary et poussa sur le trône sa propre belle-fille, cousine germaine d’Édouard, lady Jane Grey, délicieuse beauté, humble et timide, fort instruite, mais surtout protestante convaincue.

Le sentiment légitimiste fut cependant plus fort que tout. Lady Mary fut proclamée reine par choix populaire. Protestants et catholiques s’accordaient à la suivre. Dès la mi-juillet, le gouvernement du duc de Northumberland s’effondrait et fin août, il était exécuté à Londres, avec ses principaux soutiens. Peu de mois après, lady Jane Grey, reine éphémère et malheureuse de dix-sept ans le suivit, montant à l’échafaud en priant.

Le règne de Mary s’annonçait sous de bons auspices. Après cette reprise en main, les anciens conseillers et prélats catholiques exilés purent rentrer en Angleterre ou à la cour, tandis que catholiques et protestants proclamaient leur attachement au trône. Ils étaient fidèles au commandement de Pierre : Honorez Dieu et obéissez à l’empereur.

Les erreurs de la reine Mary

Le Parlement de Londres, malgré tout, veillait, conscient du désir de Mary de rétablir dans son intégralité le culte catholique. Il posa notamment deux conditions à la reine ; ne pas toucher à l’organisation de l’Église d’Angleterre, et surtout conserver le souverain comme chef de cette Eglise ; épouser de préférence un aristocrate anglais et pas un souverain étranger, surtout pas le roi Philippe d’Espagne, cousin de Mary et héritier du puissant Charles Quint.

Sur ce second point, la reine ne plia pas. Il lui plaisait d’épouser ce roi au-delà de la mer, qui allait la soutenir dans le rétablissement de la vraie foi en Angleterre.

Pour les Anglais c’était à la fois le risque de voir revenir l’influence papale dans leur vie politique, et le risque de tomber sous la coupe d’une puissance étrangère, l’Espagne des Habsbourg, ce dont ils ne voulaient à aucun prix. 

Plusieurs émeutes éclatèrent dans le sud du pays, réprimées dans le sang. Les meneurs furent pendus. Justifiant les craintes de l’aristocratie anglaise, l’ambassadeur de Charles Quint, Simon Renard, était derrière Mary, pour la conseiller. En 1555, le rétablissement du culte catholique était total, et Mary faisait soumission à Rome, reconnaissant le pape au-dessus de l’Église d’Angleterre. Les plus protestants des prélats étaient pourchassés, arrêtés et condamnés à l’exil ou à mort. Environ trois cents protestants furent brûlés. On était loin des massacres du continent, mais bien au-delà de ce qui était tolérable pour le peuple anglais. La mort édifiante d’un grand nombre d’hérétiques fortifiait leurs frères dans la foi. Des évêques, des ducs et des comtes eurent les tristes honneurs du bûcher ou de l’échafaud côte à côte avec les plus humbles, soudant entre eux les fidèles persécutés de l’Église d’Angleterre.

Alors que la reine Mary et le cardinal Pole son conseiller, exilé par Henry VIII et rappelé en 1554, considéraient que la splendeur liturgique, les processions, les messes publiques, les ornements des églises seraient le plus efficace outil de la nouvelle évangélisation catholique du royaume, les fidèles protestants ou les récalcitrants de l’Église d’Angleterre se tournaient plus intensément vers la lecture biblique.

Auparavant, en juillet 1554, Mary avait épousé Philippe de Habsbourg en la cathédrale de Winchester. Le Parlement avait plié, sous cinq conditions, notamment qu’aucun étranger n’exercerait de fonction de commandement dans le royaume, que la reine, ni ses enfants dans le cas où il y en aurait, ne pourraient quitter l’Angleterre sans le consentement des parlementaires, et qu’en cas de décès de la reine avant son mari, celui-ci ne pourrait gouverner l’Angleterre. 

Philippe séjourna peu en Angleterre, trop occupé par les affaires de l’Espagne et craignant pour sa vie en Albion. 

Mary, déjà âgée de trente-sept ans lors de son mariage, ignorait tout des choses de la chair et ne s’était soumise au mariage que pour l’intérêt du royaume. L’idée même de consommer l’union lui était désagréable. Elle s’y plia, mais ne put concevoir d’enfant. Deux grossesses nerveuses soulevèrent une déception équivalente aux espoirs dynastiques qu’elles avaient d’abord suscité. 

L’amoindrissement de l’Angleterre

Si Mary avait son idée en épousant le roi Habsbourg, celui-ci pensait également aux intérêts de sa maison, en plaçant l’Angleterre de son côté contre la France d’Henri II de Valois. Pour cela, il fallait d’abord appaiser la lutte religieuse dans l’île. Philippe et Charles Quint eurent toutes les peines du monde, cependant, à assouplir leur épouse et belle-fille. A peine obtinrent-ils qu’elle fit libérer la princesse Elizabeth, enfermée à la tour de Londres et transférée par la suite au château de Woodstock pour y vivre selon son rang, mais recluse. Les Habsbourg demandaient la fin des persécutions anti-protestantes. Mais recrue de souffrances passées, Mary accomplissait le vouloir de Dieu, pensait-elle.

En 1557, alors que Philippe de Habsbourg entrait en guerre une fois de plus contre la France d’Henri II, Mary, épouse fidèle, le suivit dans le combat. L’Angleterre, engagée dans le conflit, n’y était pas prête. Calais tomba aux mains des Français, grâce à une habile opération mêlant attaques terrestres et navales, par le duc de Guise. Ce dernier prévoyait déjà un débarquement en Écosse. La Grande-Bretagne était directement menacée et venait de perdre sa dernière tête de pont sur le continent, conquise en 1348. La honte et la crainte s’additionnaient en salaire de leur alliance avec une puissance étrangère à laquelle ils avaient l’impression d’être soumis.

Le conseil royal prit la main. Tandis que Philippe de Habsbourg réclamait l’envoi d’un corps de troupes sur le continent, il lui fut rétorquer que le plus urgent était de protéger le royaume. Partout, dans le moindre comté, on s’arma ou l’on fit armer en proportion de ses moyens. Ce nouvel élan patriotique allait séparer un peu plus le royaume de sa reine.

Le 17 novembre 1558, malade, la reine Mary mourait, dans la fidélité à sa foi catholique, mais éloignée de ses sujets.

Le renforcement de l’anticatholicisme et de l’esprit anglican

Alors qu’elle avait désiré sincèrement ramener son royaume à la foi et faire le bonheur de ses sujets qui l’aimèrent tant au commencement du règne, la maladresse et l’empressement de Mary Tudor eurent pour conséquence de renforcer la férocité du sentiment anticatholique en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse, alimentant les nombreuses persécutions à venir, fragilisant le trône des Stuarts dans le siècle suivant à cause de leurs sympathies catholiques et enraçinant comme jamais l’Église d’Angleterre. L’anglicanisme avait désormais ses martyrs. Il était uni à l’État par le lien du sang. Ce n’était plus seulement une religion nationale, c’était une religion patriotique. Un bon sujet de sa majesté serait désormais obligatoirement un bon fidèle de l’Église d’Angleterre.

Cet enracinement anglican, nettement distinct du catholicisme romain et du protestantisme presbytérien allait marquer la spécificité du royaume d’Angleterre pour les siècles suivants, contribuer à forger son identité et la certitude de son élection divine : Britania rules the way.

La reine Elisabeth, âgée de vingt-cinq ans à son avènement, allait, par sa lutte contre l’Espagne catholique, et sa politique religieuse nationale, achever ce chemin ouvert par Henry VIII et paradoxalement renforcé par Mary, qui avait voulu s’en écarter. Bloody Mary !

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