L’an 1189 voit le départ de la troisième croisade au cours de laquelle Philippe Auguste, roi de France, Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, et Frédéric Barberousse, empereur germanique, mènent une série d’expéditions dont le but principal est la défense du royaume franc de Jérusalem en grande difficulté depuis la défaite de Hattin (4 juillet 1187) et la perte de Jérusalem, conquise le 2 octobre 1187 par le sultan Saladin.
Contexte et personnage
C’est ainsi qu’en avril 1191, les troupes françaises, anglaises, leurs monarques respectifs et les troupes de l’ordre du Temple se retrouvent devant Saint Jean d’Acre pour y mettre le siège. Après la conquête de cette ville portuaire en août 1191, Richard Cœur de Lion et Robert de Sablé, grand maître de l’ordre du Temple, entreprennent alors la reconquête du littoral palestinien entre Acre et Ascalon.
Alors âgé de 34 ans, Richard est issu d’un très noble lignage. Sa mère Aliénor, duchesse d’Aquitaine, est l’un des personnages politiques principaux de l’Europe du XIIe siècle, sans doute en partie parce qu’elle fut mariée successivement au roi de France Louis VII puis à Henry II Plantagenêt, père de Richard.
Ce dernier entretient d’ailleurs des relations tumultueuses avec son fils. Réputé pour son caractère ardent et emporté, Richard se révolte à plusieurs reprises contre son père avant d’accéder au trône à l’été 1189, héritant de l’empire Plantagenêt qui s’étire alors de l’Écosse aux Pyrénées.
Mais Richard est aussi connu pour cultiver les valeurs chevaleresques : le courage, la hardiesse et l’honneur. Il vit dans une période baignée par l’idéal arthurien des chevaliers de la Table Ronde, considérablement développé par l’illustre poète médiéval Chrestien de Troyes qui, de 1160 à 1190, écrivit notamment à la cour de Marie de Champagne, sœur de Richard. Ce dernier grandit dans une culture occidentale largement imprégnée de l’héritage celtique et qui, à travers les chansons de geste, commence à donner toute sa place au guerrier d’élite qu’est le chevalier. Il est donc normal que Richard, qui aime la guerre, ait vu dans l’aventure de la croisade l’occasion de nouvelles prouesses.
La bataille
La progression de l’armée croisée le long de la côte n’est pas simple : la marche est constamment ralentie par les embuscades et actions retardatrices de harcèlement des cavaliers musulmans. Les voies romaines n’étant plus entretenues, les chevaliers progressent souvent dans une steppe herbeuse poussant à hauteur d’homme et infestée de nuées d’insectes. La fatigue, les blessures et les maladies creusent les rangs des hommes et abattent de nombreux chevaux. Enfin, le 5 septembre 1191, l’armée franque arrive en vue d’Arsur.
La bataille ne démarre que le 7 septembre, opposant 12 000 croisés à une armée sarrasine de 20 000 hommes. Ce démarrage est assez défavorable aux soldats de Richard qui, à mesure qu’ils parcourent les derniers kilomètres qui les séparent d’Arsur, essuient les salves de flèches des archers turcs de Saladin, bien décidé à les empêcher d’atteindre leur but. Richard a savamment ordonnancé ses troupes en cinq lignes : les templiers d’abord, suivis des chevaliers d’Anjou et de Bretagne, puis Guy de Lusignan et ses chevaliers poitevins, précédant les chevaliers anglo–normands entourant le char du vexilium, sorte de chapelle ambulante qui sert de repère aux voitures d’ambulance et aux brancardiers, et enfin, en bouclage de dispositif, les frères hospitaliers et les archers.
Dans une chronique dédiée à cette bataille, l’historien Philippe Lamarque nous raconte que toute la troupe a reçu « l’ordre strict et absolu de garder les rangs serrés et surtout de ne pas engager des corps à corps en combat singulier avec des provocateurs ». Enfin, vers 11 heures, n’y tenant plus, « une nuée de musulmans descend des hauteurs et menace l’arrière-garde des croisés… Les Arabes bédouins portant arcs, carquois et boucliers ronds, les Scythes à longue chevelure sale et ébouriffée, les Éthiopiens, géants barbouillés d’une couche croûteuse de craie blanche et de cinabre rouge, tous suivis de prédicateurs hystériques, brandissant des bannières aux couleurs criardes au bout de leurs lances, se lancent en charges ininterrompues contre le dispositif des croisés ».
Les troupes franques doivent à tout prix conserver leur cohésion, en particulier l’arrière-garde obligée de maintenir l’allure afin de préserver la solidité de la colonne. Au fur et à mesure que les Sarrasins s’aventurent plus près, la pression augmente. Les arbalétriers et les lanciers croisés doivent marcher à reculons pour s’opposer aux violentes charges des cavaliers musulmans tout en évitant d’attaquer à leur tour et de se retrouver isolés du groupe et encerclés, au risque d’une mort certaine. Face à cette progression qui épuise les fantassins, les chevaliers francs ont l’interdiction de charger tant que n’a pas retenti le signal des six trompettes convenu avec Richard…
La charge de la cavalerie franque
La charge à la lance couchée, c’est-à-dire coincée sous le bras et pointée en avant est une technique caractéristique du XIIe siècle et particulièrement renommée pour l’efficacité du choc violent et décisif qu’elle impose aux ennemis qui ont à la subir.
C’est ainsi que les chevaliers de l’armée croisée, ayant rongé leur frein durant plusieurs heures et considérant comme un déshonneur l’humiliation de devoir demeurer « l’arme au pied », voient les plus intrépides d’entre eux se précipiter finalement sur les musulmans, contraignant les hospitaliers et à leur suite Flamands, Bretons, Angevins et Poitevins à se jeter dans la sanglante mêlée. C’est alors que Richard, aussi fin stratège que capitaine courageux, décide de soutenir cette charge en prenant la tête des templiers et des chevaliers anglais et normands et en enfonçant l’aile gauche des musulmans. Son biographe, Ambroise, trouvère normand de la fin du XIIe siècle nous narre l’épisode :
« Quand le roi Richard vit que l’on avait rompu ses rangs et attaquait l’ennemi sans plus attendre, il donna de l’éperon à son cheval et le lança à toute vitesse pour secourir les premiers combattants. Il fit en ce jour de telles prouesses qu’autour de lui, des deux côtés, devant et derrière, il y avait un grand chemin rempli de Sarrasins morts et que les autres s’écartaient et que la file de morts durait bien une demi-lieue. On voyait les corps des Turcs avec leurs têtes barbues, couchées, serrées comme des gerbes. »
Avant la fin de la bataille, Richard aura encore deux occasions de montrer sa vaillance en repoussant d’abord une tentative de contre-attaque de Saladin puis à la tête d’une quinzaine de chevaliers et au cri de « Dieu, secourez le Saint Sépulcre ! », en balayant un dernier groupe de musulmans qui menaçait de rompre l’alignement des hospitaliers. L’armée de Saladin est contrainte de battre en retraite, laissant plus de 7000 morts et blessés sur le champ de bataille.
Ce qu’il faut retenir
La victoire d’Arsur repose essentiellement sur l’efficacité de la charge de la cavalerie franque dont l’effet dévastateur est si renommé. Alors qu’elle a débuté à l’insu de Richard, ce dernier prend rapidement la décision d’en amplifier l’impact en se lançant lui-même à l’assaut des lignes sarrasines. Ce type d’action audacieuse deviendra sa marque et lui vaudra le surnom de « Cœur de Lion », à l’égal des héros des chansons de geste de son époque.
Mais s’il faut rappeler le caractère héroïque de cet assaut, il faut souligner aussi qu’il illustre parfaitement le principe militaire du choc. Rappelons que ce principe a pour objet la dislocation violente et décisive du dispositif adverse par l’application en un endroit donné (s’y prêtant idéalement), d’une concentration des forces de l’attaquant. Il nécessite à la fois esprit de décision de la part du commandement et mobilité suffisante de la part de la troupe.
Nicolas L. — Promotion Marc Aurèle
Illustration : gravure de Gustave Doré, Richard Cœur de Lion chargeant les troupes de Saladin lors de la troisième croisade. Domaine public.
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