Voilà une étude qui va réjouir notre ami Guillaume Bernard, qui défend l’idée d’un mouvement dextrogyre. Dans « Clivages politiques et Inégalités sociales », dirigé par Amory Gethin, Clara Martinez-Toledano et Thomas Piketty, une vingtaine de chercheurs se sont penchés sur la progression des partis nationalistes et des leaders populistes auprès des classes populaires. Alors que les partis de gauche prônent plus de redistribution, ils ne profitent-ils pas électoralement de la forte montée des inégalités que connaissent, depuis quarante ans, les pays démocratiques. Cette lecture du vote politique invite à croiser clivages socio-économiques et clivages identitaires pour mieux comprendre l’évolution politique. Alors que, dans les démocraties occidentales, la gauche sociale-démocrate a délaissé le thème de la redistribution au profit de l’émancipation des minorités, la droite s’est engouffrée dans la demande de sécurité.
Ces chercheurs ont examiné les panels des sondages post-électoraux dans cinquante pays de 1948 à 2020, concernant 500 élections au total. Les informations recueillies sur les personnes interrogées sur leur vote (âge, sexe, revenu, catégorie socioprofessionnelle, diplôme, origine, religion…) permettent de déterminer les facteurs socio-économiques et les facteurs identitaires dans le choix politique.
Jusque dans les années 1980, les électeurs de faible niveau d’éducation et de revenus votaient majoritairement à gauche tandis ceux de haut niveau d’éducation et de revenus votaient à droite. Mais ce clivage s’est modifié progressivement : les personnes à haut niveau d’éducation votent de plus en plus à gauche, et les personnes à haut niveau de revenu ou de patrimoine continuent de voter à droite.
Si le vote à gauche des personnes à bas revenus reste à peu près stable, celui des personnes à revenu faible ou moyen s’oriente de plus en plus à droite, sauf lorsque ces derniers appartiennent à des minorités ethniques ou raciales.
En France ont voté à gauche lors des dernières élections les trois quarts des personnes dont les grands-parents étaient des étrangers originaires de pays non européens, la moitié de celles dont les grands-parents provenaient d’autres pays européens, et un peu plus d’un tiers de celles dont les grands-parents étaient français. On comprend pourquoi l’immigration est une chance… pour les partis au pouvoir ! Selon les chercheurs, l’Occident s’ethnicise et se tribalise au moment où d’autres démocraties se classisent.
A partir des années 1980 et des premiers effets de la mondialisation, la gauche « éduquée » acceptait, au nom de l’ouverture, la perte de souveraineté des Etats sur les flux marchands, financiers et humains, tandis que les ouvriers et les employés, subissant crises financières, chômage et délocalisations, ont perçu l’importance des frontières.