Couronnée au soir du 10 mai 1981 par une victoire à la présidentielle contre le sortant Valéry Giscard d’Estaing, ce qui fit passer la France « des ténèbres à la lumière » (cf. Jack Lang), la carrière de François Mitterrand avait bien failli capoter le 21 octobre 1959. Ce jour-là parut en effet dans Rivarol– dont le numéro s’arracha dans les buvettes de l’Assemblée et du Sénat, où, heureuse époque, la presse dissidente était la bienvenue – un entretien explosif avec Robert Pesquet ; cet ancien député poujadiste, et maréchaliste convaincu, y relatait avec force détails comment, à la demande du sénateur de la Nièvre, il avait été le complice cinq jours plus tôt dans les jardins de l’Observatoire à Paris d’un faux attentat dont la pseudo-victime était censée se tirer avec héroïsme, ce qui la remettrait politiquement en selle. Bien entendu, le « diffamé » se récria mais les preuves – un vade-mecum écrit de sa main – étaient accablantes et les deux compères furent inculpés d’outrage à magistrat, délit amnistié en juin 1966.
Tout « le Florentin », comme on le surnommait déjà sous la IVe République, est résumé dans la comédie de l’Observatoire : goût du secret, du double langage, des triples jeux, des coups fourrés et des personnages bizarres, arrivisme poussé jusqu’à l’imprudence, mépris de la loi et… collusion avec les « extrêmes ».
Cagoulard un jour, cagoulard toujours…
Né en 1916 dans une fratrie de huit enfants issus de bourgeois catholiques et conservateurs, ayant fait toute sa scolarité dans des établissements religieux, le jeune François, lecteur de Maurras, rejoint en 1934 les Volontaires nationaux, mouvement de jeunesse des Croix-de-Feu, puis fréquente l’Osarn, dite la Cagoule, d’Eugène Deloncle, où il noue de fructueuses amitiés. Tout naturellement, après la guerre de 39-40 qu’il fait comme sergent-chef dans la Coloniale avant d’être fait prisonnier et de s’évader, il se retrouve à Vichy où son « Pèlerinage en Thuringe » voisine dans France, « la revue doctrinale de l’Etat français », avec un article de Maurice Gaït, futur cofondateur puis directeur de Rivarol. Bien vu du Maréchal qui le reçoit le 15 octobre 1942, ce garçon brillant s’occupe des prisonniers de guerre. Mais sentant le vent tourner alors que la Wehrmacht s’enlise en Russie, il prend langue avec la résistance en février 1943, alors même qu’il est décoré de l’ordre de la Francisque, n° 2202, ses parrains étant le cagoulard Gabriel Jeantet (dont le frère Claude traitera plus tard de la politique étrangère dans Rivarol) et le royaliste Simon Arbellot, futur pilier d’Ecrits de Paris, la revue sœur aînée de Rivarol, qui racontait volontiers comment Mitterrand avait fait son siège pour obtenir la Francisque.
Le double jeu se poursuit à la Libération, le résistant tardif mettant alors cap à gauche tout en devant sa matérielle aux anciens de la Cagoule et notamment à Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal, qui le bombarde PDG des éditions du Rond-Point et directeur du magazine Votre Beauté.
Un virtuose du « en même temps »
Gravissant les échelons de la politique après avoir adhéré en 1946 à l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) dont il deviendra président, il obtient en 1954 son premier portefeuille d’importance, celui de l’Intérieur, dans le gouvernement Mendès-France bradeur de notre Indochine où son goût de l’intrigue l’entraîne dans la fameuse Affaire des fuites (en direction du PC) et il doit gérer le début de la guerre d’Algérie. Il se montre alors très clair : parce ce que « l’Algérie, c’est la France », « la rébellion algérienne ne peut trouver qu’une forme terminale : la guerre », menace-t-il. Mais, « en même temps », il autorise la sociologue indépendantiste Germaine Tillion à enquêter sur les violences policières françaises à l’encontre des fellagha.
Ce qui ne l’empêchera pas de témoigner à décharge en 1962 au procès du général Salan, dont l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour sauvera la tête. Egalement défenseur attitré de Rivarol accablé de procès par le régime gaulliste, Tixier est un ancien des Volontaires nationaux où il a connu Mitterrand – pour lequel, candidat malheureux contre De Gaulle à la présidentielle de 1965, il appellera à voter au second tour. Il n’est pas interdit de penser que ce passé commun avait joué dans la décision du chef de l’UDSR, futur artisan du Programme commun avec le Parti communiste, de venir au secours de l’ancien chef de l’OAS.
Avant même son beau-frère Roger Hanin, le « gorille » inculte, vulgaire et visqueux dans la réalité, c’est un autre sépharade, Georges Dayan, son plus intime ami (et, disait-on, pourvoyeur de chair fraîche), qui avait introduit l’ancien maurrassien auprès de la communauté juive, sur laquelle il s’est tant appuyé pour parvenir au sommet. Mais en gardant toujours des liens étroits avec ses admirations (Jacques Chardonne) et ses camarades de jeunesse tel Jacques Corrèze, ex-Cagoulard et ancien LVF lui aussi sauvé par L’Oréal. Et l’on se souvient du scandale provoqué par sa longue proximité avec René Bousquet, ancien secrétaire général de la police sous Vichy et pour cela objet d’une plainte pour crime contre l’humanité dont il ne répondra jamais, ayant été assassiné en 1993.
À gauche toute !
Mais c’est le même homme qui, après avoir joué le FN contre le RPR en 1984, déclencha la spirale communautariste contre Jean-Marie Le Pen, en bénissant SOS Racisme dès 1985, puis encouragea ses ministres Laurent Fabius et Louis Joxe à orchestrer en mai 1990, après la vraie-fausse profanation de Carpentras, le gigantesque rassemblement de la place de la République, où le président du Front national fut brûlé en effigie.
A l’époque, le président n’avait plus rien à perdre. Réélu en 1988, il était trop malade (à la veille du référendum du 20 septembre 1992 sur le traité de Maastricht d’où nous viennent tant de maux, il devait révéler à la télévision son cancer si jalousement caché pour émouvoir les foules et convaincre les seniors de voter oui) pour briguer un troisième mandat. Pourquoi cet homme de goût, féru d’histoire, de belles lettres et d’éditions rares, se prêta-t-il à cette odieuse mascarade puisqu’il savait le FN totalement innocent ? Pourquoi, dans la foulée, cet avocat de formation toléra-t-il le vote quelques semaines plus tard de la scélérate loi Gayssot ?
La clé Mazarine
L’une des réponses réside peut-être dans l’existence de Marie, dite Mazarine.
Père, avec son épouse Danièle Gouze, de deux fils fort peu prometteurs, Gilbert et Jean-Christophe, Mitterrand s’était choisi une seconde famille en prenant pour compagne l’alors très jeune Anne Pingeot, qui ne tarda pas à donner naissance à une fille. Pour préserver son idylle, sa maîtresse et leur enfant et surtout leur assurer tous les luxes que la République peut offrir à ses protégés (et profiteurs), tels un somptueux appartement quai Branly ou la jouissance du château présidentiel et du parc de Souzy-la-Briche, ainsi que du superbe cheval Gend Jim, offert par le président du Kazakhstan, Mitterrand était prêt à tout. A laisser Danièle caracoler à Cuba et transformer sa fondation France-Libertés en attrape-migrants, mais aussi à ordonner les pires barbouzeries. D’où la très sombre affaire des « Irlandais de Vincennes » (1982), le scandale des écoutes présidentielles où fut dévoyée la gendarmerie, les persécutions contre ceux qui savaient et menaçaient de dévoiler le pot-aux-roses, en particulier le polémiste Jean-Edern Hallier. D’où peut-être aussi la mort suspecte de certains proches (Roger-Patrice Pelat, François de Grossouvre, Pierre Bérégovoy…) ayant jalonné son double septennat.
Mais on ne garde pas un tel secret très longtemps. Les grands médias étaient au courant. Pour les persuader de respecter l’omerta, et puisqu’ils étaient quasiment tous de gauche, le président ne cessa donc, quoi qu’il pensât in petto, de conduire toujours plus à gauche au fil de ses deux septennats, en matière économique comme sociétale, si graves soient les conséquences. A l’abolition de la peine de mort et de la loi dite « anticasseurs », succédèrent donc l’amnistie des « délits homosexuels », la régularisation des clandestins étrangers, la sanctification de l’avortement, etc.
Le testament du Bundestag
C’est seulement en 1994, quelques mois avant la fin de son second mandat que, sur son ordre, Paris-Match présenta au grand public la jeune Mazarine qui, accompagnée de son petit ami le Marocain Ali Baddou, participait à un voyage officiel en Afrique du Sud.
C’est au même moment que, interminablement cuisiné sur ses « erreurs de jeunesse » par Jean-Pierre Elkabbach pour la télévision, François Mitterrand répliqua, exaspéré : « Vous voulez que je me convertisse au judaïsme ? » Et il venait de céder son fauteuil à Jacques Chirac quand, invité au Bundestag le 8 mai 1995, pour le cinquantenaire de la victoire des Alliés, il évoqua sa captivité en stalag, et laissa ce testament : « J’ai su ce qu’il y avait de fort dans le peuple allemand, ses vertus, son courage, et peu m’importe son uniforme, et même l’idée qui habitait l’esprit de ces soldats qui allaient mourir en si grand nombre. Ils étaient courageux. Ils acceptaient la perte de leur vie. Pour une cause mauvaise, mais leur geste à eux n’avait rien à voir avec cela. Ils aimaient leur patrie. Il faut se rendre compte de cela. L’Europe, nous la faisons, nous aimons nos patries. Restons fidèles à nous-mêmes. »
Qui était, et où se situait, le vrai Mitterrand, quelles étaient les propres fidélités de ce personnage de roman parvenu hélas au sommet ? Une chose est sûre : le « Florentin » fut aussi tortueux, assoiffé de pouvoir, machiavélique… et catastrophique que l’avait été son vieil ennemi De Gaulle.
https://www.tvlibertes.com/actus/generation-mitterrand-la-gueule-de-bois-present