Mais les enjeux et les pressions du mondialisme cosmopolite sont tels que l’on reste sceptiques.
Il y a un peu plus d’un an, le 10 mars 2020, la veille du jour où l’OMS devait qualifier l’épidémie de Covid-19 de pandémie, la Commission européenne avait présenté sa stratégie industrielle, qui était plus un programme de travail pour les années à venir qu’une série de mesures concrètes. En quelques mots, il s’agissait de poser les jalons d’une Europe prétendument plus souveraine sans braquer les Etats membres les plus attachés à leur tradition libérale. Quelques jours plus tard, l’Europe se confinait, les frontières se fermaient, tandis que Bruxelles assistait, impuissant, à l’arrêt brutal des échanges intracommunautaires. Le tout démontrant le caractère utopique de cette institution.
Mercredi 5 mai 2021, l’exécutif européen a repris le fil de son action en tentant d’enrichir sa copie.
Certes, les problèmes qui existaient alors n’ont évidemment pas disparu. En matière de politique industrielle, la Commission n’a pas de compétence et, entre les Vingt-Sept, il reste difficile de trouver un consensus à ce sujet. Mais les positions des uns et des autres, qui avaient commencé à converger avant la crise face à une industrie chinoise de plus en plus menaçante, aux géants américains de l’Internet et à un multilatéralisme en berne, se sont rapprochées. La pandémie, qui a fait plonger l’Europe dans la pire récession de son histoire depuis la crise de 1929, a, sans conteste, mis en évidence la nécessité de se libérer de la dépendance asiatique comme celle de relocaliser nos industries.
Ainsi la France, l’Allemagne et même les Pays-Bas (traditionnellement hostiles à toute forme de dirigisme) ont évolué. Les Etats membres à tradition libérale, notamment les nordiques, restent certes méfiants. Comme les « petits » pays, qui redoutent qu’une politique industrielle ne serve d’abord les « grandes » économies. Mais, lors du sommet d’octobre 2020, les chefs d’Etat et de gouvernement ont finalement acté que l’Union devait travailler à se doter d’« une autonomie stratégique, tout en préservant une économie ouverte ». Une sorte de nouvelle quadrature du cercle…
Malheureusement, la crise liée au Covid-19 a aussi permis à la Commission d’imprimer sa marque sur les politiques économiques des pays Européens, au-delà de tous les espoirs qu’elle pouvait entretenir en mars 2020. Car, en contrepartie des aides prévues dans le plan de relance de 750 milliards d’euros, les Vingt-Sept doivent, en effet, s’engager à dépenser une large part de cet argent pour mieux préparer les transitions écologique (37 %) et numérique (20 %). Et Bruxelles a son mot à dire.
Au sein de la Commission, ces derniers mois, deux camps se sont néanmoins affrontés sur la réécriture de la stratégie industrielle européenne. D’un côté, la Danoise Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, et le Letton Valdis Dombrovskis, vice-président de l’exécutif européen, partisans du statu quo. De l’autre, le Français Thierry Breton, chargé du marché intérieur et de l’industrie, qui voyait là l’occasion de faire avancer la vision française.
Mercredi, après avoir à deux reprises retardé la présentation de la révision de sa stratégie industrielle, Bruxelles en a finalement publié les principaux éléments. Le premier d’entre eux concerne le marché intérieur, « notre bien le plus précieux », commente Thierry Breton, qu’il convient donc de protéger des Etats membres si une crise aussi violente que celle du Covid-19 devait de nouveau sévir. Traumatisé par les fermetures de frontières dans la seconde quinzaine de mars 2020, qui ont mis en péril le marché intérieur, l’exécutif européen travaille à la mise en place d’un « instrument d’urgence » pour éviter que ce scénario catastrophe se reproduise et « garantir la liberté de circulation des personnes, des biens et des services ». Une proposition législative devrait être présentée au premier trimestre 2022.
La Commission souhaite aussi se mettre en mouvement pour aider les Européens à être moins dépendants, notamment de la Chine, mais aussi du Vietnam, du Brésil ou des Etats-Unis. Il serait temps ! Car, la pandémie, là aussi, a servi de catalyseur, alors que le Vieux Continent s’est retrouvé, à plusieurs reprises, privé de certains biens – par exemple les masques, il y a un an – que les pays producteurs ont gardés pour eux. « Le partenaire d’hier ne peut pas être le partenaire de demain », résume M. Breton en laissant croire aux citoyens européens que… demain ne sera plus comme hier. Hélas, qui peut le croire ?
Les services de Bruxelles se sont livrés à une analyse de la situation, secteur par secteur, afin d’identifier clairement les « vulnérabilités » de l’Europe. Elle est dépendante de l’extérieur pour 137 produits (sur un total de 5 200 importés), dont la moitié vient de Chine. Et, pour 34 d’entre eux – dont Bruxelles ne publie pas la liste mais dont on sait que les terres rares, les diamants, mais aussi certains médicaments y figurent –, elle s’est mise en position de grande faiblesse, puisqu’il est très peu probable qu’elle puisse à son tour les fabriquer ou leur substituer des productions locales par manque de courage et de volonté politique.
Dans certains cas, comme dans celui des semi-conducteurs, dont la production en Europe est passée de 40 % à 9 % en vingt ans, l’Europe devra rouvrir des usines, plaide la Commission. Dans d’autres, il lui faudra diversifier les approvisionnements, stocker, recycler ce qui peut l’être, ou encore investir dans l’innovation. Bruxelles évoque aussi des « partenariats internationaux » – par exemple, avec des pays qui dépendent de produits européens – pour réduire les dépendances stratégiques de l’Union européenne.
Enfin, les Vingt-Sept devraient multiplier les projets d’alliance, sur le modèle de ce qu’ils ont déjà engagé dans les batteries, l’hydrogène et les matières premières. La Commission prépare le lancement d’initiatives similaires dans les semi-conducteurs et processeurs, les données industrielles et du cloud et envisage de le faire pour les lanceurs dans l’espace et les avions moins polluants.
Toutes ces préconisations, qui, pour l’essentiel, ne sont pas d’ordre réglementaire, ne prendront toute leur force que lorsque l’Europe aura réformé ses politiques de la concurrence et commerciale. Mercredi, une première étape a été franchie : la Commission a présenté une proposition législative pour mieux contrôler les acquisitions ou l’accès aux marchés publics des entreprises étrangères dopées aux subventions – Pékin est particulièrement concerné. Pour le reste, elle y travaille, mais les débats promettent d’être houleux et il n’est pas certain qu’ils aboutissent…
Car, ne l’oubliez pas, dans bien des domaines, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Et nous avons montré si souvent que l’Union européenne est une association de malfaiteurs que nous restons dubitatifs.