À part les autruches fières de leur politique, abritées dans les beaux quartiers en voie de disparition, presque tout le monde est d’accord avec nos vétérans qui s’inquiètent de l’avenir du pays et de la guerre. J’espère qu’ils ont pu former une solide relève et que nos forces d’élite ne sont pas le paravent de troupes délitées.
J’émets un doute, car nous étions aussi fiers de notre « système de santé » que de notre armée, et il est maintenant clair qu’il est débordé et que la médecine française est en péril.
Le consommateur est demandeur d’une bonne médecine bon marché. Pour le satisfaire, on a tablé sur le travail dévoué des soignants, tout en restreignant à la fois leur nombre et leur tarif, pour ne pas coûter. Ils doivent voir un maximum de patients en un minimum de temps.
Gagner en productivité en écourtant les consultations n’est plus possible. Ne serait ce que pour le diagnostic, il faudrait au contraire les rallonger. À l’examen clinique, primordial, s’ajoute en effet l’analyse de données paracliniques croissantes (IRM, analyses sanguines, etc.). Le patient en a souvent tout un sac avec lui, qu’il déballe avant même ses symptômes, alors qu’il s’agit d’examens censés être « complémentaires ».
Dans une première étape, le clinicien débordé n’a plus le temps de détailler les symptômes de son patient. Ainsi, le comprenant mal, il est conduit à prescrire un test complémentaire futile, voire toute une batterie allant dans plusieurs sens à la fois pour « gagner du temps ». Bien des explorations sont réalisées « à titre systématique » avec une rigueur plus administrative que médicale. De complémentaires, ces examens finissent par prendre la place de la clinique.
Le risque suivant est que le médecin soit incapable d’un bon examen clinique, même s’il en avait tout le loisir. Le temps pour étudier la clinique est réduit par celui consacré aux tests complémentaires. Pour aider les aînés, les futurs médecins passent une grande partie de leurs stages à collecter des résultats de tests ou ne peuvent voir leur patient car il est justement « parti en examen ». Le défaut de formation clinique se traduit par des lacunes chez le praticien. Pour les compenser, il doit multiplier les recours aux tests paracliniques.
Le cercle vicieux est bouclé. La clinique se meurt, comme la liberté de l’homme « enmachiné », si vous me permettez ce barbarisme. La technique éloigne le médecin du malade, et l’objectif d’une bonne médecine peu coûteuse. La société de consommation doit payer la rançon du progrès.
À cela s’ajoute le prix de l’immigration. Il y a, bien sûr, le coût des étrangers venant en France pour se faire soigner sans payer. Ce n’est pas le seul. Dans mon département (93), de très nombreux patients, même nés en France, ont un très faible niveau de français, qui entrave la communication. Or, la parole, en médecine, est primordiale. Si le praticien n’a pas parfaitement compris les symptômes pour cerner les bonnes hypothèses et les confirmer en orientant le reste de l’examen, les errements commencent. Pour pallier les incompréhensions, consultations et tests plus ou moins onéreux sont multipliés. Outre la dépense, le coût humain est terrible. Ces tests peuvent être trompeurs en montrant souvent des anomalies douteuses ou, en réalité, asymptomatiques. Inversement, la machine ne décèle pas tout. Notamment pas les troubles psychosomatiques pourtant fréquents chez les migrants, tantôt déjà traumatisés dans leur pays, tantôt souffrant de déracinement. Le climat d’insécurité rend même toute la population à risque. Du fait de l’épidémie, des patients infectés et qui souffrent de signes persistants sont étiquetés « Covid chronique ». Ces symptômes sont, pour la plupart, d’allure très psychosomatique et le virus endosse toute la culpabilité alors qu’il peut n’être que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Espérons que, si une étincelle met le feu aux poudres et les blessés de guerre affluent, notre réanimation ne manquera plus d’âmes.