Les Devoirs sont les derniers écrits à portée philosophique de Cicéron et abordent la question de la morale en politique. Ils connaîtront une postérité notable, tant de la part d’auteurs païens que chrétiens. Brutus, Sénèque, Ambroise de Milan, Isidore de Séville rédigeront ainsi leur propre De Officiis. Et de nombreux autres, de Pline l’Ancien à Voltaire, en feront l’éloge auprès de leurs contemporains.
Avocat et homme politique romain du 1er siècle avant JC, Cicéron fut aussi un écrivain prolifique, tant dans le domaine de la politique que de la philosophie. Concernant la philosophie, Cicéron s’était donné pour but de latiniser la pensée grecque, c’est-à-dire de la détourner de la pure spéculation et de la rediriger vers l’action.
Faire le bien ?
Il ne faudrait cependant par croire que la philosophie est abordée chez Cicéron sous son seul versant utilitariste. Cicéron pensait tout simplement que la quête du Bien est incompatible avec la pure contemplation : « La connaissance et la contemplation de la nature seraient en quelque sorte mutilées et inachevées s’il n’en résultait aucune action réelle ; or cette action se voit surtout dans la sauvegarde des intérêts humains » nous dit-il.
Et l’auteur du De Officiis d’insister longuement sur ce point. Un homme qui est en capacité de faire le bien autour de lui en s’engageant dans la vie politique de sa cité mais qui ne le fait pas (que ce soit par lâcheté ou manque d’intérêt) : celui-ci est à blâmer. La virtus, c’est-à-dire le courage viril, qui fait que le Romain s’engage dans la vie politique de la cité, s’expose en bon aristocrate, n’est pas une vertu négociable.
Dans le De Officiis, Cicéron montre qu’il existe deux sources possibles de devoirs : la beauté morale et ce qui est utile. Toute l’ambition de l’ouvrage, partant de considérations générales comme de cas très concrets, est donc de déterminer ce qui est moralement beau et ce qui est utile, d’en tirer les devoirs qui en découlent et éventuellement de les hiérarchiser lorsque ceux-ci rentrent en conflit.
Cicéron fait siennes les conclusions des stoïciens, estimant qu’il ne peut y avoir de conflit entre beauté morale et utilité car ce qui est réellement utile ne saurait être laid moralement. Inversement, ce qui est beau moralement ne saurait être inutile. C’est donc à la question de la beauté morale qu’il faut s’attacher pour comprendre la pensée de Cicéron (l’apparence de l’utilité étant plus vaste, plus trompeuse que celle de la beauté morale).
La justice, fondement de la cité
Il est intéressant de noter que pour Cicéron, c’est la justice plus que la vérité qui fonde la beauté morale. Et ce qui fonde la justice, c’est la fides, premier pilier des Mos Majorum, nous dit Cicéron. La fides, c’est la confiance réciproque entre deux citoyens. C’est la loyauté, le respect de la parole donnée. Sans confiance, point de justice. Certes, on se doit d’être juste envers tous les hommes mais comment édifier une cité digne de ce nom avec quelqu’un dont on ne peut répondre, quelqu’un que l’on ne connait pas, avec lequel on n’a rien en commun ?
Se pose donc la question de l’Autre. Cet autre avec lequel je peux m’associer, c’est nécessairement le citoyen appartenant à la même cité que moi. Cité dont le socle est la famille, la communauté de sang indique Cicéron. C’est sur ce socle et dans cette cité que pourront alors fleurir des communautés de gens de bien, celles fondées sur l’amitié et le sens de la justice. Les lois sont nécessaires pour assurer la perpétuation de la justice mais elles n’en constituent cependant pas le fondement.
Et si la notion de justice est intrinsèquement liée à celle de cité, comment alors situer l’homme par rapport à la cité ? Pour y répondre, il nous faut d’abord connaître la nature de l’homme.
De la nature de l’homme…
Ici, Cicéron évite deux écueils.
Tout d’abord, Cicéron ne considère pas l’homme tel qu’il est, chose qui revient à réduire l’homme à son animalité, à sa recherche du bonheur et à sa fuite devant le malheur. Réduire l’homme à cela comme le font les Épicuriens et les Cyniques nous dit Cicéron, c’est la fin de tout courage, de toute beauté, de toute grandeur. De même est-ce la fin de la tempérance et de la mesure. C’est la fin de toute sagesse. Et, nous dit Cicéron : « Qu’y a-t-il en effet, par les dieux, de plus souhaitable que la sagesse, quoi de plus élevé, de meilleur pour l’homme, quoi de plus digne de l’homme ? »
Cicéron ne se fait pas non plus l’avocat d’une vision idéalisée de l’homme. Une vision conduisant invariablement à une séparation entre les quelques rares sages, les quelques rares saints et le reste de l’humanité vue comme décadente, sauvage, irrécupérable, vouée au mieux à être dirigée par les premiers et devant être sauvé d’elle-même. Vision fataliste de l’homme, tout comme la précédente bien que d’une manière différente.
Porteur d’une longue tradition européenne, Cicéron voit l’homme par son potentiel, actant de ses qualités comme de ses limites. L’homme est capable de justice, il est capable de grandeur. Il est capable car doué de raison, et donc capable d’agir en conséquence sur lui-même et sur le monde extérieur. Cultivons alors cette capacité de grandeur présente chez l’Homme, quand bien-même chaque être est différent, n’a pas les mêmes dispositions pour l’excellence et la justice. « Rien n’est convenable contre le gré de Minerve » (c’est-à-dire contre la nature) nous est-il rappelé. Se dessine une vision de l’homme comme être volontaire, responsable et destiné à se connaître pour agir au mieux de ses possibilités. C’est le sens du Gnothi Saueton du temple de Delphes. Connais-toi toi-même. Connais tes forces et tes limites. Trouve ta place dans l’harmonie que constitue le Cosmos et dont la cité constitue un avatar, un microcosme.
Il n’y a ainsi pas de séparation, de dichotomie réalisée entre une cité des dieux et une cité des hommes. Un seul et même amour fonde une seule et même cité : l’amour de la justice. Une cité unie autour de la fides, protégée des dieux, et dirigée par les plus vertueux.
Adrien – Promotion Dominique Venner