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L’Europe paiera l’inconséquence des États-Unis

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Renaud Girard

Vingt ans après qu’elle eut commencé une guerre contre eux, l’Amérique a donc rendu aux talibans l’Afghanistan. Elle aurait préféré qu’il y eût un délai de carence et qu’elle ne fût pas obligée de revivre, à Kaboul, les scènes de chaos de l’évacuation de Saïgon en 1975.

Plus Biden et Blinken s’expriment dans les médias pour tenter de justifier leur abandon précipité d’un allié, plus ils s’enfoncent, plus ils se ridiculisent, plus ils soulignent la honte américaine. Car l’histoire retiendra la date du 15 août 2021 et cette reprise de Kaboul par les talibans comme le premier grand revers géopolitique des États-Unis au XXIe siècle. Quant aux interventions de Pompeo, l’ancien secrétaire d’État de Trump, qui se permet de critiquer l’Administration présente et s’indigne que les talibans n’aient pas été obligés de respecter toutes les clauses de l’accord qu’il avait négocié avec eux en 2020, elles sont pathétiques. Mais on sent surtout, chez les responsables américains, la volonté de faire le dos rond, en attendant que les médias optent pour un autre festin. Car ils savent que, finalement, ce sera l’Europe – et non l’Amérique – qui paiera le prix fort de leur inconséquence.

Car la politique américaine en Afghanistan, depuis quarante ans, est marquée par une grande inconséquence stratégique. Après l’invasion soviétique du pays au tout début des années 1980, l’Amérique – alors dirigée par le républicain Reagan – y a vu une occasion de venger son humiliation du Vietnam. Armés par l’URSS, les Vietnamiens du Nord communistes s’étaient livrés en 1975 au même petit jeu que les talibans aujourd’hui. Ils avaient, à Paris, signé un accord de paix avec les Américains en janvier 1973, qu’ils n’avaient ensuite pas respecté.

Après s’être aperçue que les Soviétiques laïques faisaient face à une forte résistance dans les campagnes afghanes islamiques, l’Administration Reagan décida d’armer ces résistants, qu’elle appelait « freedom fighters » et qui se qualifiaient eux-mêmes de moudjahidins. Mais au lieu de distribuer ces armes à des mouvements qu’elle aurait choisis elle-même, l’Amérique commit l’erreur de sous-traiter cette tâche à l’ISI, le tout-puissant service de renseignement pakistanais. L’ISI, commandé par un général islamiste, décida de fournir les armes et l’argent américains aux mouvements les plus férocement islamistes et de boycotter les mouvements plus modérés comme celui du célèbre commandant Massoud.

Néanmoins, la stratégie américaine globale fonctionna, et l’Armée rouge quitta l’Afghanistan en avril 1989. A ce moment-là, le président afghan protégé des Russes, le Dr Najibullah, proposa à Washington une transition paisible en faveur du roi Zaher. Washington commit l’erreur de ne pas saisir cette main tendue, et, trois ans plus tard, le chaos s’installa à Kaboul, où les milices de moudjahidins s’entretuèrent.

En 1996, les talibans conquirent l’Afghanistan, mirent fin aux brigandages, mais instaurèrent un émirat islamique d’un autre âge, qui supprima l’école pour les filles. À la demande de l’ONU, le chef de l’émirat, le très redouté mollah Omar, interdit la culture du pavot. En échange, il demande des aides agricoles. Le pavot sera effectivement éradiqué mais les aides promises n’arriveront jamais. Après les attentats du 11 septembre  2001, les Américains renoncèrent à parler directement aux talibans, pour sous-traiter à nouveau la négociation à l’ISI... Durant quarante ans, l’Amérique fut la victime consentante du double jeu pakistanais.

Kaboul tombe le 13 novembre 2001 aux mains de l’Alliance du Nord, soutenue par l’Amérique. Les commandos américains éliminent les combattants arabes internationalistes. Mais Washington néglige d’exiger du Pakistan le démantèlement des talibans.

Au lieu de quitter le pays, l’Amérique se lance alors dans une ambitieuse politique de « reconstruction, démocratisation, développement » de l’Afghanistan. Elle y consacre davantage de milliards de dollars que d’experts compétents. Les dollars coulent à flots, sans irriguer convenablement le pays. La corruption vérole le gouvernement. Mais a émergé une jeunesse éprise de modernité et croyant en la démocratie. Et sans crier gare, virant à 180 degrés, l’Amérique va laisser tomber cette jeunesse.

Son crédit international sera durablement entamé. Déjà, le nouveau président iranien a déclaré que cette défaite américaine représentait une occasion rêvée pour instaurer la « paix » dans la région. À Kaboul, c’est désormais l’ambassadeur russe qui négocie avec les talibans.

Mais ce sera, à deux égards, aux Européens de payer le prix fort.
À court terme, l’Europe aura à gérer un gigantesque problème de réfugiés. À moyen terme, la victoire talibane agira comme un élixir de force pour tous les mouvements de Frères musulmans qui ont secrètement juré la perte de la civilisation occidentale.

Source : Le Figaro 17/08/2021

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