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Païens, chrétiens : un drôle de IVe siècle 2/2

 Lente christianisation

Les empereurs, qui tolèrent le christianisme à partir de 312, vont peu à peu encadrer et restreindre l’exercice des cultes. Ils commencent par interdire les statues, puis les sacrifices, mais admettent la coexistence des deux religions jusqu’à Théodose, qui en 392, met en place une législation qui réprime véritablement toutes les pratiques païennes. Et en 435, est ordonnée la destruction de tous les sanctuaires païens qui pourraient encore subsister. “L’abondance même de la législation anti-païenne montre que le paganisme est toujours pratiqué et nous ignorons en outre dans quelle mesure ces lois étaient bien appliquées” précise Laurence Foschia. En effet, les empereurs recrutent une partie de leurs hauts fonctionnaires chez les païens. Ce n’est qu’à partir de 415 que les non chrétiens sont bannis de toute charge officielle.

Côté chrétien, les textes, très nombreux, nous renseignent surtout sur les querelles théologiques que les conciles sont chargés de clarifier : les chrétiens sont avant tout en quête de définition de leur foi. Parallèlement, les informations archéologiques sont maigres avant le IVe siècle : peu d’églises encore et peu d’inscriptions sont à mettre en regard des textes – car malheureusement pour les épigraphistes, cette pratique recule à l’époque. Alors que l’Empire continue d’entretenir les temples, il ne finance pas encore les églises. Les vestiges chrétiens les plus anciens sont souvent découverts hors les murs des cités, soit autour des tombes de personnes considérées comme saintes, dans les nécropoles, soit parce que les communautés peu riches ne possédaient pas de terrains dans les cités. Dans un second temps, des traces chrétiennes apparaissent dans la cité. C’est le cas de la basilique de Paul, à Philippes, qui va se transformer au Ve siècle en cathédrale, entourée d’un véritable quartier épiscopal tandis que plusieurs autres basiliques, beaucoup plus grandes, sont à leur tour construites, bouleversant l’urbanisme romain. Elles témoignent d’une puissance nouvelle et de communautés chrétiennes désormais majoritaires et prospères.

À partir du Ve siècle, tout bascule. Thessalonique, résidence impériale entre le IIIe siècle et la fin du IVe, est un bon exemple de cette évolution qui réutilise les édifices païens ou les imite pour finalement, à partir du VIe siècle, créer une architecture différente – qu’on qualifie de byzantine. Son forum monumental a aujourd’hui presque totalement disparu, enfoui sous les constructions modernes. L’un des rares vestiges du IVe siècle est un mausolée romain, aujourd’hui l’église Saint-Georges. Si l’édifice subsiste, c’est qu’il fut très tôt converti en lieu de culte chrétien. En fouillant le petit jardin qui entoure l’imposante rotonde de brique rouge, les archéologues grecs tentent actuellement d’en apprendre davantage sur l’époque et la nature de cette transformation. Les premières certitudes ne remontent qu’au VIe siècle, lorsqu’une abside encore bien visible fut ajoutée à l’est et une nouvelle entrée percée à l’ouest. Ce témoin privilégié de la transition entre l’Empire romain et le monde chrétien est à mettre en parallèle avec l’église de l’Acheiropoiétos, située quelques rues plus loin. Il s’agit là au contraire d’une construction originale du troisième quart du Ve siècle qui remplace des bains romains. Mais elle suit le plan rectangulaire typique utilisé dans l’Empire pour les basiliques civiles. Les éclatantes mosaïques à décor floral et les chapiteaux aux feuilles d’acanthe dentelées qui surmontent les colonnes de la nef centrale remontent aux origines de l’église.

“En Grèce continentale, il n’est pas rare que des temples soient convertis en églises. Soixante cas ont été relevés jusqu’à présent, observe Laurence Foschia. Le procédé peut être interprété comme un signe de triomphalisme, mais il est surtout pragmatique : rapide et moins onéreux qu’une construction nouvelle, il heurte sans doute moins la population qui voit là une continuité d’espace sacré.” Il suffit de changer l’orientation des temples en fermant l’entrée (à l’est) par une abside, et en ouvrant une porte au fond de l’ancienne cella. C’est ainsi que le Parthénon d’Athènes a survécu. Tous les grands temples d’Athènes sont également devenus des églises mais les historiens ne sont pas d’accord sur l’époque de leur christianisation qu’ils évaluent entre le Ve siècle et le VIIe. La cité a été partiellement pillée en 396 par les Wisigoths d’Alaric et une période d’abandon a pu précéder leur conversion. Seuls indices : les plus anciens graffitis chrétiens sur l’Acropole ne remontent qu’au VIIe siècle.

Parallèlement, sur les pentes de l’Aréopage, les fouilles américaines ont mis au jour une cache de statues de dieux antiques, dans des maisons de l’époque romaine tardive. Il est probable que ces demeures, situées en bordure de l’Agora, aient servi de refuge aux derniers philosophes païens, anciens enseignants de l’Académie d’Athènes qui continuaient là à pratiquer un culte domestique. L’Académie reste en effet, aux yeux des empereurs, le fief de la philosophie antique, liée au paganisme. Elle est fermée en 529 sur ordre de Justinien qui supprime également la liberté de conscience et rend obligatoire le baptême. Certains philosophes préfèrent alors s’exiler à la cour du roi perse.

Par un renversement de tendance, le christianisme semble être devenu un mouvement urbain qui triomphe dans l’ensemble des cités à partir du Ve siècle, alors que les derniers païens se réfugient dans les campagnes : quelques sanctuaires locaux, situés sur des collines reprennent vigueur, ainsi qu’en témoignent des offrandes de lampes datées de l’époque tardive; plusieurs caches de statues de divinités ont aussi été retrouvées dans des citernes de cette époque, des sanctuaires sont aménagés dans de grandes demeures privées… Circonstances obligent, ce dernier paganisme serait aussi plus personnel, d’une pratique plus intime, avant de disparaître. Dans le grand Empire byzantin désormais entièrement chrétien, bientôt, seule la littérature antique transmettra le souvenir des mythes et du panthéon grecs.

Thasos et ses basiliques

Paul, se rendant de l’île de Samothrace à Néapolis (Kavala) puis Philippes, passa au large de l’île de Thasos, célèbre pour la qualité de son marbre. Y aborda-t-il ? Les Actes des Apôtres ne le laissent pas entendre. Ici aussi, les premières traces du christianisme ne remontent qu’au Ve siècle. À Aliki, presqu’île bucolique du sud-est de l’île, un sanctuaire païen a fonctionné jusqu’au IVe siècle. Il n’a pas été réutilisé. Les chrétiens ont préféré construire une basilique double de l’autre côté de la colline, surplombant la mer. Les vestiges de cet ensemble, qui date du premier quart du Ve siècle pour la première phase de construction, sont encore lisibles au milieu des pins. Étudiées par Jean-Pierre Sodini, dans le cadre des fouilles de l’École française d’Athènes, les deux églises (ci-dessous) ont livré des éléments de décor : ambon, autel, chancel et mosaïques… Plusieurs annexes, dont la fonction reste mal définie, encadraient le narthex. De nombreuses tombes furent creusées dans la cour. Dans ce paysage somptueux, sauvage aujourd’hui, il est difficile d’imaginer la vie religieuse animée qui devait se dérouler là, tandis qu’à quelque dizaines de mètres, les plages de marbre blanc résonnaient du bruit des pics des ouvriers travaillant aux carrières (ci-contre). Les basiliques furent abandonnées au VIIe siècle, à l’époque des invasions slaves sur l’île. Tout récemment, en lisière de la ville de Thasos, au nord de l’île, le service des Antiquités grecques a mis au jour les vestiges d’une autre importante basilique double et de ses annexes, dont le plan ressemble à celle d’Aliki. Le site est en cours de fouille.

Le Monde de la Bible n°160, 2004.

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/81

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