Dans “Vers l’Armée de métier”, le général de Gaulle avait anticipé en 1934 la guerre qui surviendrait quelques années plus tard. L’emploi de divisions blindées pour pénétrer au coeur du territoire ennemi, la Ruhr en l’occurrence, était le seul moyen de vaincre l’Allemagne qui venait de se donner à Hitler. Cette stratégie offensive était la seule aussi à être cohérente avec nos alliances, notre soutien à la Tchécoslovaquie, à la Pologne. On demeure atterré lorsqu’on pense à nos brillants politiciens de l’époque, au “normalien” Léon Blum, plus préoccupé du risque d’un coup d’Etat militaire que de celui qui s’enflait à vue d’oeil de l’autre côté du Rhin, et qui s’ingéniait à diminuer le temps de travail et les capacités industrielles de la France, quand une Allemagne revancharde fourbissait ses armes.
Certes, Blum n’était pas inculte, et répondait en apparence à l’observation de de Gaulle qui faisait de la culture générale la “véritable école du commandement”. Mais ce qui lui manquait, c’était la vision historique, celle qui permet par la connaissance du passé de comprendre les menaces du présent et de les surmonter. De Gaulle est souvent cité comme un partisan du “sens de l’histoire”, comme si la politique qu’il avait conduite était “progressiste”, soumise à une lecture idéologique du devenir de l’humanité. Non, sa conception était “hélicoïdale” : elle reposait sur l’idée que l’histoire se répète, est cyclique, mais dans des contextes différents, notamment en raison des progrès techniques. Les problèmes rencontrés en politique sont toujours les mêmes, mais les solutions à apporter doivent évidemment tenir compte du contexte. Il s’agit toujours en 1940 de défendre l’indépendance nationale et d’assurer la puissance de la nation, mais les moyens changent : la cavalerie qui avait cessé d’être primordiale en raison de la puissance de feu de l’infanterie et de l’artillerie, redevenait essentielle en étant mécanisée et blindée.
Cet exemple permet de mieux comprendre en quoi la “vision historique” est indispensable à l’homme d’Etat. Chez les politiciens, elle est souvent enlisée dans les manoeuvres tacticiennes et à court terme. Chez les idéologues, elle gonfle jusqu’à devenir une marche vers la fin de l’histoire. Chez les Hommes d’Etat, elle écarte cette idée que l’histoire aurait une fin, qu’elle serait soumise à une loi du devenir obligeant à s’y soumettre, mais elle ouvre une perspective à long terme, qui permet en rassemblant les expériences du passé et en prenant conscience des évolutions scientifiques, techniques, économiques, et sociales, de faire des choix, de participer intelligemment à cette vaste partie d’échecs qui n’aura pas de fin, et dont il faut demeurer l’un des joueurs.
Zemmour possède à l’évidence cette “vision historique”. Il la possède bien plus que les brillants normaliens, énarques, polytechniciens, ou diplômés de HEC, qui dirigent la France depuis bien longtemps en multipliant les erreurs, les fautes et les défaites. Souvent prisonniers de leur carrière et bouffis d’une vanité acquise très tôt, ils n’ont le plus souvent aucune vision historique. Si l’on se tourne vers les autres candidats à l’élection prochaine, cette dimension historique est tronquée ou même absente. Désormais, elle est totalement étrangère à la gauche qui a trouvé des substituts à la grande nation porteuse du progrès, conquérante avec la Révolution, à la classe laborieuse, au prolétariat mondial qui lui succéda. Les socialistes, les communistes, ou plutôt leurs résidus, se tournent désormais vers le vaste monde de la misère qu’il faudrait accueillir et vers les minorités intérieures qui en résultent. Malgré le caractère très marginal de sa participation à l’éventuel réchauffement climatique, la France n’existe pour les gauchistes, écologistes ou non, que dans la mesure où elle est coupable. C’est certes une vision historique, mais qui déforme le passé et condamne l’avenir. Le seul sens de l’histoire qui subsiste à gauche est un sens interdit, interdit pour la France. La haine de soi qui anime la gauche ne parvient pas à comprendre qu’elle encourage la haine des autres envers nous et notre remplacement.
Plus au centre, depuis longtemps chez nos brillants technocrates, ces extraordinaires inspecteurs des finances qui entouraient déjà Pétain et ont coulé beaucoup de nos grandes entreprises, l’épaisseur du temps s’est rétrécie au court terme des ajustements et des expédients budgétaires, des progrès sociétaux offerts aux minorités remuantes, et des intérêts bien compris de la caste et de ses membres. Notre oligarchie diplômée est armée de deux registres, celui de son cursus dans les grandes écoles, long comme un jour sans pain, et celui bizarrement beaucoup plus court de ses réussites dans le monde réel. Peu importe, elle est seule à recéler la légitimité du pouvoir réduit à la gestion parce que la politique serait réduite à l’économie. La vision historique n’est que la nostalgie, comme diraient Eric Woerth, ou Alain Juppé : avec Macron, ils voient la dilution de la France dans une Europe régénérée par une immigration africaine et musulmane, largement ouverte au monde comme un avenir radieux pour le microcosme transhumanisé qui continuera à gérer les organismes dirigeants de la technocratie mondiale. Il y a bien là une vision de l’histoire, celle d’une rivière dont la source va se tarir, qu’un affluent va remplacer, et qui ira se perdre dans le fleuve de l’Europe et dans l’océan du monde. Ceux qui se croient les meilleurs nageurs imaginent pouvoir atteindre l’Eldorado du gouvernement mondial. (à suivre)
https://www.christianvanneste.fr/2022/02/15/un-president-doit-avoir-une-vision-historique-ii/