Une vidéo a fait le tour du Web, la semaine dernière, sur les réseaux sociaux. La scène se déroule en plein 8e arrondissement de Paris, dans la très chic salle Gaveau choisie par la renommée grande école AgroParisTech pour remettre les diplômes aux étudiants de la promotion 2022. Lors de la cérémonie, huit néo-diplômés arrivent sur scène puis déclament, durant huit minutes, leurs passions tristes dans un discours climato-gauchiste hésitant et maladroit dans la forme mais très clairement formulé sur le fond.
Ne voulant pas « faire mine d’être fiers et méritants », les jeunes diplômés fustigent une « formation poussant à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours », refusent de « servir les intérêts de quelques-uns » et « de travailler pour perpétuer le système ». Ne « croyant pas au développement durable », ils considèrent que « l’agro-agriculture mène une guerre au vivant partout sur Terre », « les sciences et les techniques ne sont pas neutres ni apolitiques », « l’innovation ne sert rien d’autre que le capitalisme » et « la société ne peut devenir soutenable sans se débarrasser de l’ordre social dominant ». Leur extrémisme va même jusqu’à stigmatiser l’industrie agroalimentaire qui « conçoit des plats préparés et ensuite des chimiothérapies pour soigner les maladies causées ».
Ils caressent un idéal. Ils souhaitent expérimenter « d’autres genres de vies » incluant l’écologie populaire, le décolonialisme et le féminisme. L’une des jeunes diplômées habite depuis deux ans à la ZAD de Notre-Dame des Landes et participe à un projet d’agriculture collective et vivrière, un autre s’est engagé contre le nucléaire près du futur stockage de Bures, un troisième dans le collectif extrémiste Les Soulèvements de la Terre dont la devise est : em> Entre la fin du monde et la fin de leur monde, il n'y a pas d'alternative. »
On retrouve dans ce discours toutes les composantes du décroissantisme climato-gauchiste commenté à de nombreuses reprises. Le climat et l’écologie ne sont qu’instruments pour justifier un dessin ultime : détruire la société de croissance, son démon capitaliste et ses élites. Un mélange d’écologisme, de marxisme et d’anarchisme conduisant à des sociétés vernaculaires autosuffisantes partageant la pauvreté absolue dans l’égalité. Cet exposé est calqué sur l’écologie politique : durant la primaire EELV, l’édile de Grenoble proposait une collectivisation de l’agriculture française en créant, sur fonds publics, « 25.000 fermes communales et agroécologiques » pour « lutter contre l’impunité des lobbys agroalimentaires […] privilégiant le rendement de leurs actionnaires à la préservation du vivant ». Une démarche similaire aux kolkhozes staliniens dont les résultats catastrophiques sont bien connus : l’URSS, qui « nourrissait de son pain la moitié de la planète » avant la révolution bolchevique, devint dans les années 1950 l’un des plus gros importateurs mondiaux de denrées alimentaires.
Comme en mai 1968, ce discours émane de jeunes élites gâtées formées par un système qu’elles haïssent et non de classes populaires pour qui la fin du mois l’emporte sur la fin du monde. S’ils détestent autant ce système dont ils ont profité, ces jeunes diplômés devraient a minima avoir la décence de rembourser à la collectivité leurs études payées sur nos impôts.
Il est regrettable et consternant qu’en réaction à ce discours radical et lénifiant proféré par des étudiants en mal-être, d’autre étudiants n’aient pu démocratiquement répondre. Répondre que notre société de croissance reposant sur la démocratie libérale, c’est une espérance de vie multipliée par trois, l’éradication de la mortalité infantile et de l’illettrisme, des systèmes d’éducation, de santé et de sécurité performants, des vaccins développés en moins d’un an quand une nouvelle épidémie nous menace. Répondre combien il est facile de parler d’agriculture vivrière quand on mange tous les jours à sa faim, que seule l’agriculture intensive et les OGM pourront, dans le futur, nourrir dix milliards de Terriens.
Le directeur d’AgroParisTech a honteusement adoubé cette mise en scène en déclarant sur les antennes : « Il y a une quête de sens parmi nos étudiants. Et nous sommes là pour leur donner les clés qui vont leur permettre de choisir le sens qu’ils veulent donner, d’abord à leurs études, puis au début de leur parcours professionnel. » En transformant ses étudiants en « décroissantistes wokistes », il considère probablement avoir réussi dans sa mission.
Je doute qu’il ait accepté de donner la parole à des étudiants de droite (en existe-t-il, à AgroParisTech ?) vantant le libéralisme économique et les exceptionnels résultats obtenus par la société de croissance depuis la révolution industrielle, mais aussi les valeurs travail, mérite, sélection et compétition sans lesquelles il ne peut y avoir de production de richesses.
Philippe Charlez