L’intérêt éminemment scolaire pour les mythologies gréco-latines provoque souvent, et à juste titre, les passions chez de nombreux élèves dès lors qu’ils sont introduits aux multiples divinités et mythes de l’ancienne Europe.
Ce que l’on appelle la « pop culture » y joue également un rôle de premier plan. Cependant, dans les pays d’Europe de l’Ouest, les mythes gréco-latins, et leurs auteurs sont élevés au rang de classiques depuis des siècles. Certains artistes en quête d’originalité, ou cherchant du côté de leurs racines, se sont donc penchés sur d’autres mythologies européennes, notamment la mythologie scandinave. Mais au-delà des apparitions sporadiques d’un dieu du tonnerre tout puissant au lourd marteau qui peuvent parler à tous, quelles sont les sources premières de cette mythologie scandinave, et quels sont les peuples qui lui ont donné naissance ? Nous allons explorer les textes à l’origine de ce qui nous apparaît aujourd’hui comme des légendes lointaines, mais qui furent les mythes et croyances de différents peuples à travers les siècles et qui fondèrent une part importante des mythologies européennes.
Plantons tout d’abord un cadre historique et géographique. La mythologie scandinave prend ses sources dans le nord de l’Europe, ce qui inclut la Scandinavie, la mer Baltique, et l’Atlantique nord jusqu’au Groenland. Mais cette zone nordique n’est pas qu’un concept uniquement géographique ; elle reflète également une réalité ethnique, linguistique, culturelle et historique.
D’un point de vue ethnique et linguistique, la scission principale se situe entre les populations du sud de la Scandinavie et celles du nord. Les populations du nord de la Scandinavie sont des populations sames qui parlent différentes langues finno-ougriennes. Ces peuples avaient un mode de vie nomade et subsistaient par la chasse, la pêche et l’élevage. Ils sont présents sur cette partie de la Scandinavie depuis l’âge du Bronze et ont cohabité pacifiquement avec les peuples scandinaves du sud, que l’on qualifie de scandinaves germaniques. Ce sont ces peuples qui retiennent ici notre attention.
Linguistiquement, ces peuples parlaient différents dialectes de ce qu’on appelle le « vieux norrois ». C’est une langue qui prend sa source dans le proto-germanique, et qui donnera par la suite cinq langues scandinaves modernes : le danois, le suédois, le norvégien, le féringien et l’islandais. Parmi les langues scandinaves, l’islandais est resté très proche du vieux norrois, ce qui permet aux Islandais de lire les Eddas dans le texte sans grande difficulté encore aujourd’hui.
En ce qui concerne la transmission des écrits, l’alphabétisation des peuples scandinaves commence durant l’âge des Vikings. L’Église introduit les livres et l’alphabet latin. Jusqu’alors, les traces écrites de vieux norrois étaient transmises par les systèmes d’écriture runiques, dont il existe différents types en fonction des périodes et des régions. Nous pouvons en distinguer deux principaux datant de l’époque viking : l’ancien fuþark et le fuþark récent. Les traces les plus anciennes de l’ancien fuþark datent du IIe siècle et s’étendent jusqu’au VIIIe siècle, ce qui correspond également aux dates d’apparition du futhrak récent dans la zone danoise et dans le sud de la Scandinavie. Certaines formes runiques continueront à être employées en parallèle de l’alphabet latin jusqu’au début de l’époque moderne.
Les premières preuves de l’existence de livres en Scandinavie datent du XIe siècle, mais la pierre runique de Jelling 2, datant de 960-65 et localisée au Danemark, du fait qu’elle indique que le roi Harald à la dent bleue « a rendu les Danois chrétiens », pourrait suggérer que les livres étaient déjà connus dans le sud de la Scandinavie à cette époque. Le premier type de littérature à être écrit en Scandinavie est le matériel juridique, les listes royales, les histoires et le matériel biblique bien sûr. Par la suite, les Scandinaves deviennent plus créatifs et intègrent le matériel traditionnel de différentes manières. En Islande, les écrivains créent la littérature des sagas à partir de la fin du XIIe siècle.
Photo : La pierre runique de Jelling. Auteur : Jürgen Howaldt. Source : Wikimédia
Un auteur aristocrate à contre-courant, au service d’une poésie oubliée
C’est dans ce contexte historique que naquit Snorri Sturluson, en 1179 à Hvammr en Islande, dont nous allons brosser un rapide portrait. Fils de Sturla Þórðarson l’Ancien et de Guðný Böðvarsdóttir, sa vie et son ascendance sont racontées dans la Sturlunga saga, « l’histoire des Sturlungar », c’est-à-dire des descendants de Sturla. Lors de l’une des – nombreuses – querelles que Sturla eut avec d’autres habitants de l’île, un prêtre à qui il demanda réparation demanda l’aide de Jón Loftsson, le chef le plus puissant de l’Islande à cette époque. Lors de la séance de réconciliation, ce dernier proposa, entre autres, à Sturla de prendre en charge l’éducation de l’un de ses fils, ce qu’il accepta. C’est ainsi que le jeune Snorri, seulement âgé de trois ans, partit habiter chez Jón à Oddi, au sud du pays.
Il y passa l’essentiel de sa jeunesse, et l’on a de bonnes raisons de supposer que la plupart de ses connaissances viennent de cette période de sa vie : Oddi était l’un des centres intellectuels les plus actifs de l’Islande de l’époque. Il y étudia, selon toute vraisemblance, le latin, les auteurs chrétiens de son temps, mais également les légendes de la tradition littéraire islandaise et les mythes et poèmes de son peuple.
Après avoir pris femme, en la personne de Herdís, et s’être installé à Borg quelques années, il partit à Reykholt, où sa véritable carrière politique commença. Il devint lögsögumaðr « récitateur de la loi » en 1215, position qui lui fit présider le Parlement islandais jusqu’en 1218, fonction qu’il occupera à nouveau entre 1222 et 1231. Les descriptions faites de lui alors qu’il prend tout juste son poste le dépeignent comme un authentique aristocrate, mais également comme un poète d’ores et déjà reconnu, excellant notamment dans l’art scaldique, tradition poétique scandinave complexe, raffinée et tenue en haute estime à cette époque.
C’est ce talent poétique qui lui fit quitter l’Islande, et son poste, en 1218, suite à l’invitation du roi de Norvège. Il y resta deux ans, en compagnie du jeune roi Hákon (Hákon Hákonarson, dit Hákon IV de Norvège) et du duc Skúli (Skúli Bárðarson), en bénéficiant de leurs faveurs. Cela lui permettra également d’étudier davantage l’histoire de son pays d’accueil. Mais ce séjour, bien que profitable à maints égards, le mit dans une situation politique délicate, partagé entre la fidélité envers la couronne de son mécène et la défense des intérêts de sa terre natale, alors que la Norvège cherchait justement à y étendre son influence. Il parvint, au prix de promesses intenables, à empêcher une expédition punitive de Hákon et de Skúli contre l’Islande en 1220, peu avant son propre départ pour son pays d’origine.
Après son second mandat de « récitateur de la loi », il fut impliqué dans les différents conflits et intrigues qui régnaient entre les clans islandais. Sa situation devenant instable, il fit à nouveau route vers la Norvège en 1237. Mais la situation du pays avait bien changé : le roi Hákon étant devenu adulte, il contestait maintenant davantage la tutelle du prince Skúli, et le royaume se scinda entre les partisans des deux nobles. Snorri resta deux ans sous la protection de Skúli, puis finit par regagner l’Islande, bravant alors l’interdiction expresse de Hákon d’entreprendre ce voyage de retour. Celui-ci le considéra dès lors comme un traître à sa cause, et un an après, ayant vaincu et fait exécuter Skúli, il ordonna à Gizurr Þorvaldsson, le dirigeant des soutiens norvégiens en Islande, de lui ramener Snorri ou de le faire tuer. Avec une troupe de soixante-dix hommes, il se dirigea vers Reykholt et fit tuer Snorri en pleine nuit, le 23 septembre 1241.
Disparaissait ainsi, sous les coups des servants du roi Hákon, l’un des plus grands poètes islandais de son temps et, paradoxalement, le principal contributeur à l’histoire de la royauté norvégienne, de par sa colossale « Histoire des Rois de Norvège », ou Heimskringla de son nom original (littéralement traduisible par « orbe du monde » en vieux norrois). Ce texte éminemment important pour l’historiographie de l’époque utilise non seulement la majorité des ressources écrites auxquelles Snorri a eu accès à la cour de Norvège, mais s’appuie également sur la fine connaissance qu’il a acquise de la tradition orale et des poèmes transmis exclusivement par quelques détenteurs de ce savoir immatériel au fil des générations.
Mais, outre la Heimskringla, l’on retient surtout aujourd’hui le personnage de Snorri pour sa rédaction de l’Edda dite en prose (ce texte a plusieurs dénominations fréquemment utilisées, principalement « l’Edda en prose », « l’Edda de Snorri » ou « la jeune Edda ». Notons toutefois que ces dénominations sont des raccourcis de compréhension, car l’Edda dite en prose contient de nombreux vers, et l’Edda dite poétique des passages en prose. Bien que la genèse de ce texte soit assez mystérieuse, sa rédaction a vraisemblablement commencé au retour du premier voyage de son auteur en Norvège, donc vers 1220. Il fut introduit par le Háttatál (littéralement « le dénombrement des mètres »), que Snorri avait composé pour les souverains norvégiens. Suivirent trois autres parties qui composèrent l’Edda dite en prose :
- La Skáldskaparmál (« Dits sur la poésie »), qui comporte une liste de kenningar (pluriel de « kenning», figure de style propre à la poésie scandinave qui consiste à remplacer un mot par une périphrase métaphorique) et de heiti (mot utilisé en lieu et place d’un autre avec un lien tenant souvent de la métonymie), présentée à travers le prisme d’un dialogue entre Ægir et Bragi, le dieu de la poésie. Ce dernier explique à Ægir l’origine des heiti et des kenningar, tout en contant de nombreuses histoires mythologiques et héroïques.
- La Gylfaginning (« Mystification de Gylfi »), qui est un dialogue entre le roi Gylfi et trois personnages régnant sur Ásgarðr, nommés respectivement le Très-Haut, l’Égal du Très-Haut et le Tiers. Ce dialogue sert de contexte à une présentation de la mythologie scandinave à Gylfi, avec de nombreuses citations, tirées majoritairement de l’Edda dite poétique.
- Le Prologue de l’Edda, la dernière partie à avoir été écrite, tente d’expliquer le paganisme d’un point de vue chrétien. Il trace alors une filiation entre les divinités scandinaves, assimilées à des hommes du passé divinisés, et des épisodes de la Bible. Il poursuit la continuité jusqu’à Troie, ou l’un des petits-fils de Priam fut nommé Trór, assimilé à Þórr, et prit pour épouse Sibil, assimilée à la déesse scandinave Sif. Dix-huit générations plus tard, naquit Voden, assimilé à Óðinn, qui apprit grâce à son don de voyance qu’il devait se rendre dans le nord. Il quitta donc son pays natal et, une fois arrivé, lui et ses compagnons furent considérés comme des dieux du fait de la prospérité qu’ils apportaient dans chaque lieu où ils passaient.
On constate aisément le caractère éminemment singulier de cette œuvre : à la fois leçon de poésie et transmission des mythes ancestraux, émanation des tréfonds de l’âme païenne et indo-européenne (voir en particulier les travaux de Georges Dumézil) et création d’un récit évhémériste dans la continuité de la Bible, résurgence des mythes païens par le biais d’un aristocrate chrétien qui a plongé dans les sources du passé de son peuple.
Une frange oubliée des mythes européens
Qu’en est-il donc de ces mythes ? D’où proviennent ces histoires et que racontent-elles ?
La référence principale que nous possédons aujourd’hui de ces mythes, outre l’Edda dite en prose de Snorri, est l’Edda dite poétique. Contrairement à l’Edda dite en prose, celle-ci se présente sous la forme d’un recueil de poèmes dont les auteurs sont divers et majoritairement inconnus et dont la composition s’est étendue entre le VIIIe et le XIIIe siècle.
Le manuscrit par lequel le recueil nous est parvenu s’appelle le Codex Regius et est daté de 1270, bien que les poèmes qu’il contient soient bien plus anciens. Il fut redécouvert en 1639 par l’évêque luthérien Brynjólfur Sveinsson, qui l’offrira au roi du Danemark Frédéric III. Le manuscrit appartient à l’Islande depuis 1971.
Il y a au total une trentaine de poèmes dans l’Edda dite poétique, séparable en deux catégories : les poèmes sur la mythologie et les poèmes épiques, racontant l’histoire de héros.
Ces poèmes sont des sources remarquables renseignant sur ce que furent les mythes et légendes des peuples scandinaves avant leur christianisation aux alentours de l’an mil. Ils nous permettent d’avoir un aperçu d’une théogonie différente de ce que l’on connaît habituellement, pour les lecteurs assidus de Hésiode. Il s’agit à présent d’en donner un bref aperçu, largement tiré du poème Völuspá (« La Prophétie de la Voyante ») et de ses strophes citées par Snorri Sturluson dans la Gylfaginning :
« C’était au commencement du temps où Ymir existait,
Il n’y avait ni sable, ni mer, ni ondes rafraîchissantes ;
Il ne se trouvait ni terre ni voûte céleste,
Béant était l’abîme, sans herbe nulle part. »
Völuspá, strophe 3, traduction d’Armand Berger
Au commencement était Ginnungagap, le gouffre primordial décrit dans l’extrait ci-dessus, surmonté de deux pays : le Niflheimr, le pays de la glace et de la brume, et le Múspell (ou Múspellheimr), le pays de feu. La rencontre de ces deux éléments dans le gouffre fera surgir le monde. Les onze rivières Élivágar, qui coulèrent jusque dans l’abîme, gelèrent à l’intérieur. Depuis le Múspell, des nuages brûlants s’y dirigèrent, et au contact de la glace, formèrent de la brume. De cette brume, des gouttes d’eau commencèrent à tomber, et leur condensation donna naissance au premier être, le géant de glace Ymir.
Dans le même temps apparut Auðhumla, la vache nourricière née de la glace et de l’aurore du temps. De ses pis coulent quatre rivières de lait, et ce fut ainsi qu’Ymir se nourrit. La vache Auðhumla se nourrissait elle-même en léchant le givre sur les pierres. Le premier jour où elle les lécha, une chevelure d’homme apparut. Le deuxième jour, une tête d’homme se dégagea, et le troisième jour, c’est un homme entier qui apparut. L’homme s’appelait Búri, et il était grand et fort. Il engendra un fils appelé Borr, et celui-ci épousa Bestla, la fille d’un géant de givre. Avec elle, il eut trois fils : Óðdinn, Vili et Vé.
Photo : Le géant Ymir boit le lait de la vache Audhumla tandis qu’elle lèche Búri pour le faire sortir du rocher. Peinture de Nicolai Abraham Abildgaard (1743-1809). Auteur : Inconnu. Domaine public. Source : Wikimédia
L’Edda dite en prose raconte ensuite ce qu’il s’est passé ainsi :
« Les fils de Borr tuèrent le géant Ymir, et, quand il tomba, il jaillit tellement de sang de ses blessures qu’ils y noyèrent toute la race des géants de givre […] Ils prirent Ymir, le transportèrent au milieu de l’immense abîme Ginnungagap et en firent la terre. De son sang, ils firent la mer et les lacs, de sa chair la terre ferme, et de ses os les montagnes. Quant aux pierres et aux éboulis de roches, ils les firent de ses incisives et de ses molaires, ainsi que de ceux de ses os qui s’étaient brisés […] Ils prirent également son crâne et en firent le ciel : ils le dressèrent en quatre coins au-dessus de la terre, puis ils placèrent un nain sous chacun des angles ainsi formés. Ces nains portent les noms suivants : Austri (“l’Oriental”), Vestri (“l’Occidental”), Norðri (“le Septentrional”) et Suðri (“le Méridional”). »
Snorri Sturluson, Edda dite en prose, Gylfaginning 7 et 8, traduction par François-Xavier Dillmann.
Bien d’autres histoires cosmogoniques apparaissent dans les Eddas. On apprend ainsi la raison d’être d’Yggdrasill, l’arbre-monde, de Hel, le monde souterrain, des cycles du jour et de la nuit, et ainsi de suite. La conception mythique et mythologique des peuples scandinaves, bien que nous étant moins accessible et connue que celle de nos ancêtres gréco-romains, n’en présente pas moins d’intérêt et offre une vision du monde différente, représentative d’une facette de notre héritage indo-européen incarnée dans une autre région de l’Europe.
Une inspiration mythique toujours proche de nous
Il paraît donc logique que de nombreux auteurs, philosophes et artistes se soient inspirés de ces textes et de cette mythologie pour construire leurs propres œuvres. Du plus petit clin d’œil à la réinterprétation totale des légendes scandinaves, les références à cette frange de l’histoire européenne pullulent dans notre imaginaire. Donnons-en quelques exemples :
- La légende germanique de Siegfried, à travers la Chanson des Nibelungen, est directement inspirée de l’histoire de Sigurðr qui apparaît dans l’Edda dite poétique et dans la Völsunga saga. C’est majoritairement grâce à cette inspiration norroise que l’Allemagne trouvera son épopée nationale, la Chanson des Nibelungen, comme peut l’être la Chanson de Roland en France.
- Pour les inspirations plus récentes, dans le roman Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, le Professeur Lindenbrock découvre un parchemin révélant le passage vers le centre de la Terre dans une édition originale de la Heimskringla, écrite par Snorre Turleson (version francisée de Snorri Sturluson). Ce parchemin est d’ailleurs rédigé en latin, mais écrit avec un système d’écriture runique.
- R.R. Tolkien, dans tous ses écrits (et même dans son parcours personnel de philologue), a démontré une passion pour les langues anciennes, et figurait parmi elles le vieux norrois, ainsi qu’une grande passion pour les mythes scandinaves. On y trouve les Eddas, la Völsunga saga et le Kalevala (épopée héroïco-mythologique finlandaise rassemblée au xixe siècle par Elias Lönnrot). Même si les influences de Tolkien en la matière servaient davantage de toile de fond que de références assumées aux œuvres existantes, il est difficile de ne pas faire le lien, par exemple, entre l’Anneau unique et l’anneau Draupnir d’Óðinn, évoqué par Snorri dans son Edda. Ce dernier signifie littéralement « celui qui goutte », car cet anneau a la particularité de permettre de créer d’autres anneaux, ce qui expliquerait la présence des anneaux de pouvoir de la Terre du Milieu. On pense également à l’anneau maudit de la légende des Nibelungen, mais Tolkien a explicitement rejeté cette influence. Le dragon Smaug, apparaissant dans Bilbo le Hobbit, peut également être assimilé à Fáfnir, un des dragons les plus célèbres de la mythologie scandinave, apparaissant dans l’Edda de Snorri et dans la Chanson des Nibelungen. Bien d’autres points de ressemblance et d’inspiration peuvent être relevés à travers de son œuvre magistrale. On peut en retrouver une belle illustration dans le livre Tolkien, l’Europe et la Tradition édité dans la collection « Longue Mémoire » de l’Institut Iliade et plus en longueur dans l’ouvrage de Rudolf Simek intitulé La Terre du Milieu : Tolkien et la mythologie germano-scandinave aux éditions Passés Composés.
- Impossible de parler des inspirations scandinaves sans évoquer leur réécriture par Richard Wagner dans sa magnifique tétralogie L’anneau du Nibelung. Par cette œuvre en quatre parties, il réinterprète ces anciens mythes à travers la Gesamtkunstwerk, l’œuvre d’art totale. Wagner, pour son écriture, a recueilli majoritairement ses inspirations dans les mythes germaniques, mais également dans les mythes scandinaves, dans l’Edda dite en prose et dans la Völsunga saga par l’intermédiaire de traductions en langues modernes, notamment celle de Paul-Henri Mallet parue dans Monumens de la mythologie et de la poésie des Celtes et particulièrement des anciens en 1756. L’adaptation de Wagner prolonge et développe les récits de la lignée des Völsungar et celle des parents de Sigurð Les récits scandinaves interviennent dans toute la construction de l’œuvre, mais plus précisément dans les deux premiers actes de La Walkyrie. Sur l’influence de la matière du nord dans l’œuvre de Richard Wagner, l’ouvrage du folkloriste islandais Árni Björnsson Wagner and the Volsungs. Icelandic Sources of Der Ring des Nibelungen est une lecture à conseiller.
- Enfin, dans notre culture contemporaine, la bande dessinée Thorgal est inspirée de la vie de Snorri Sturluson et de son Edda dite en prose. La saga polonaise The Witcher (en langue originale : Wiedźmin) comporte également des références aux mythes scandinaves, notamment avec les guerriers des îles Skellige dont l’imaginaire entier est très inspiré de celui des Vikings : incarnation de l’autorité par un jarl, grande puissance maritime, rituels funéraires similaires, présence de berserkir (guerriers-fauves mythiques capables d’entrer une « fureur sacrée » les rendant surpuissants, évoqués notamment dans la Heimskringla), etc.
Notre culture comporte un grand nombre d’influences que nous devons à la mythologie scandinave, et elles sont d’autant plus enrichissantes lorsque l’on réussit à remonter aux sources de leurs inspirations pour en comprendre les rouages en profondeur.
Ces textes sont donc d’une importance cruciale dans notre reconquête de nos origines culturelles. Mythes prenant leur source chez nos ancêtres indo-européens, ils forgèrent à la fois une partie de notre civilisation que nous ne prenons que peu le temps de connaître et l’imaginaire de peuples anciens autant que d’artistes modernes. Au-delà même de la qualité des mythes en eux-mêmes, c’est également une magnifique représentation d’une époque et d’un style littéraire unique : les poésies eddique et scaldique.
Il est à conseiller aux Européens voulant renouer avec leurs racines de se plonger, ne serait-ce qu’un minimum, dans ces mythes puissants de notre peuple. Voici enfin quelques conseils de lecture, pour ceux qui souhaiteraient une initiation plus poussée :
- Snorri Sturluson, L’Edda, Récits de mythologie nordique, traduit et annoté par François-Xavier Dillmann, collection « L’Aube des peuples », Gallimard. Un indispensable pour plonger dans les mythes scandinaves.
- Georges Dumézil, Loki, collection « Millepages », Flammarion. Un texte qui explore la parenté entre les traditions védiques, scandinaves et indo-européennes.
- Snorri Sturluson, Histoire des rois de Norvège(Heimskrigla), traduit et annoté par François-Xavier Dillmann, collection « L’Aube des peuples », Gallimard. Pour ceux qui veulent aller plus loin sur le lien entre mythologie et histoire et explorer les récits mythologiques de Snorri.
Nicolas Torti – Promotion Léonard de Vinci
Photo en une : couverture du manuscrit du récit Edda, montrant Odin, Heimdallr, Sleipnir et d’autres figures de la mythologie nordique, XVIIIe siècle. Source : Wikimédia
https://institut-iliade.com/pourquoi-lire-les-eddas-aujourdhui/