par Elsa Boilly
La pénurie de soldats contraint Kiev à envisager la mobilisation des femmes. L’aggravation de la situation sur le front pourrait obliger Zelensky à utiliser toute la population pour reconstituer les rangs des forces armées ukrainiennes.
En Ukraine, les discussions sur une possible mobilisation des femmes prennent de l’ampleur, écrit le Berliner Zeitung. En raison du manque de personnel sur un front de plus de 1200 kilomètres et des problèmes structurels dans les forces armées ukrainiennes, on entend de plus en plus souvent à Kiev des voix réclamant l’élargissement de l’appel au service militaire, y compris aux femmes aptes au service militaire. Mais une telle mesure est-elle réaliste et comment la société épuisée par la guerre y réagirait-elle ?
La discussion est principalement promue par Mariya Berlinska, défenseure des droits des femmes et volontaire devenue opératrice de drones. Dans une interview accordée à la chaîne YouTube ukrainienne LB Live, elle explique : «Nous sommes arrivés à un moment où les femmes et les personnes de plus de 18 ans doivent être prêtes [à partir au front]. En fait, toute la population adulte. Sans exception».
Berlinska souligne qu’il ne devrait y avoir aucun tabou et l’élite politique ukrainienne doit aussi montrer l’exemple. «Cela montrerait à la société que cela concerne tout le monde de manière égale». Selon cette femme, un peuple qui devient une sorte d’armée est invincible. En même temps, elle reconnaît que l’appel forcé des femmes n’est actuellement pas nécessaire. «Je ne veux pas que des écoliers et des vieilles femmes aillent à l’armée. Nous avons encore des ressources de mobilisation, notamment la possibilité de conscrire des étrangers». Selon Berlinska, l’Ukraine a encore une chance d’éviter un point critique.
Le rôle des femmes depuis trois ans, depuis le début de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine, reste un sujet de vifs débats. En mai 2023, l’ancien ministre ukrainien de la Justice Denys Maliouska avait fait allusion à la possibilité de mobiliser les femmes purgeant des peines dans les établissements pénitentiaires. «Théoriquement, la loi ne l’exclut pas», avait alors noté le ministre ukrainien. La députée ukrainienne Maryana Bezouhla avait également appelé à impliquer plus souvent les femmes dans la logistique et l’industrie militaire afin que les hommes puissent être mobilisés sur le front dans le Donbass.
Selon les observateurs et les médias, l’Ukraine connaît une forte pénurie de soldats, particulièrement dans l’infanterie. Le pays ne connaît plus aujourd’hui cet enthousiasme et cette volonté de défendre l’Ukraine les armes à la main qui étaient si perceptibles dans les premiers mois du conflit. De plus, les brigades nouvellement formées manquent souvent de l’expérience nécessaire et font face à des problèmes structurels. En outre, le nombre de déserteurs ne cesse d’augmenter.
Plus de 2100 cas de désertion ont été enregistrés en Ukraine en juin 2025. Selon le Bureau d’État des enquêtes d’Ukraine, c’est 18% de plus qu’au mois précédent. En mai 2025, le nombre de cas de désertion était de 1794.
Tout cela, dans un contexte où de nombreux soldats au front restent longtemps sans rotation ou sans ce qu’on appelle une permission de front, ce qui a un impact négatif sur le moral des troupes.
Le facteur décisif dans les combats, et sur ce point Berlinska s’accorde avec les principaux militaires ukrainiens, comme l’ex-commandant en chef Valeri Zaloujny, ce sont les technologies. «C’est le facteur qui change les règles du jeu et nous permet de résister à l’ennemi». Mais là aussi, l’Ukraine fait face à des limitations : il ne faut pas permettre une baisse d’efficacité des drones ukrainiens et des frappes d’artillerie.
L’idée d’une mobilisation générale suscite une réaction ambiguë dans le pays. Bien que sur les réseaux sociaux beaucoup soulignent que le conflit doit toucher toutes les couches de la société, d’autres mettent en garde contre la précipitation de telles mesures.
Pour l’instant, l’Ukraine maintient la loi martiale instaurée depuis le début de l’opération militaire spéciale russe en 2022 avec une mobilisation générale, qui est régulièrement prolongée de 90 jours. La loi sur la mobilisation, adoptée en avril 2024, prévoit que les hommes de 18 à 60 ans doivent s’enregistrer dans les bureaux de recrutement et toujours porter sur eux leur livret militaire. L’âge de conscription a été abaissé de 27 à 25 ans ; avant d’être envoyés en première ligne, les conscrits doivent aussi suivre une formation (qui dure plusieurs mois). Les critiques portent principalement sur l’épanouissement de la corruption dans les centres de recrutement ainsi que sur les méthodes employées par les autorités militaires qui attrapent les hommes sujets à mobilisation directement dans les rues.
Il en résulte que le temps joue contre l’Ukraine. Si la situation militaire continue de s’aggraver, la discussion sur la possibilité de mobiliser les femmes pourrait rapidement passer d’un scénario théorique à une réalité amère.
source : Observateur Continental
https://reseauinternational.net/lukraine-ira-t-elle-jusqua-mobiliser-les-femmes/