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Paul Déroulède l'invincible espérance

S'il est un écrivain pour lequel la postérité a été particulièrement injuste, c'est bien Paul Déroulède. Considéré en son époque, voici un siècle, comme un factieux, il est aujourd'hui relégué au nombre des grotesques. Une telle unanimité contre la mémoire d'un personnage devenu le symbole du chauvinisme le plus démodé a quelque chose de suspect. Cela mérite d'y voir de plus près.
Finalement, la rencontre en vaut la peine. Même aujourd'hui. Surtout aujourd'hui. Certes, l'idée de revanche, qui anima toute sa vie l'ancien combattant de l'Année Terrible, n'a plus aucun sens à l'heure où l'amitié franco-allemande est devenue un fait irréversible dans une Europe menacée de toutes les convulsions.
Mais ce qui compte d'abord chez Déroulède, c'est une attitude, celle du combattant, dans la paix tout autant que dans la guerre.
L'animateur de la vieille Ligue des patriotes, républicain indéfectible, avait compris, mieux que nul autre, quel abîme séparait la république parlementaire de la république plébiscitaire qu'il appelait de ses vœux, non pour en devenir le chef, mais pour rendre aux citoyens une parole confisquée par un système inique.
Alors que le combat pour l'Alsace-Lorraine domina toute son action, on peut se demander si l'essentiel de son rôle dans la cité n'a pas été cet appel direct au peuple. Cela se nomme référendum et prend un tour très actuel, tellement actuel que rien ne fait plus peur, en ce moment, aux hommes du pouvoir et de l'utopie.
Au printemps 1871, au terme de terribles épreuves, un officier, âgé de vingt-cinq ans, s'exclame : « A partir d'aujourd'hui, je me voue à la revanche, et pour tout aussi longtemps que nos frères séparés n'auront pas été réunis à nous comme par le passé, pour tout aussi longtemps que la France absente n'aura pas repris sa place à leurs foyers, je me donne à l'armée, corps et âme! »
Il s'agit d'une véritable conversion. Dans sa jeunesse, Paul Déroulède, né à Paris, place Saint-Germain-l'Auxerrois, d'un père avoué, d'origine rurale charentaise, et d'une mère, sœur de l'auteur dramatique dauphinois Emile Augier, se déclare antimilitariste. Il ne se soucie que de poésie et de voyages lointains, assistant même à l'inauguration du canal de Suez, avant de vagabonder en Italie, en Hollande, en Bavière, en Prusse et en Autriche. Il est alors internationaliste résolu et "préfère l'humanité à la patrie", rêvant de "confondre tous les peuples et toutes les races dans une embrassade générale"

Brave mais sans haine

La guerre va tout bouleverser. Officier de "mobiles", engagé volontaire dans les zouaves, il reçoit le baptême du feu à Bazeilles où son frère, qui n'a que dix-sept ans, est frappé à ses côtés d'une balle en pleine poitrine.
Prisonnier, évadé dans des conditions rocambolesques de Breslau, il rempile dans les "turcos", les tirailleurs algériens. Il gagne au feu la croix de chevalier de la Légion d'honneur, refuse d'être interné en Suisse, rejoint Bordeaux et se fait envoyer à Paris.
Sous-lieutenant au 30e bataillon de "vitriers", ainsi qu'on appelait les chasseurs à pied, il est grièvement blessé lors des combats de la Commune et manque de très peu d'être amputé d'un bras. Déroulède a servi ce qu'il considère comme le gouvernement légitime, avec bravoure mais sans haine pour ses adversaires. Il écrira un jour cette phrase extraordinaire : « Dans une guerre civile, tout citoyen qui n'aura pas combattu pour l'une ou l'autre des factions cessera d'appartenir à la cité et sera considéré comme un étranger. »
Très handicapé par un accident de cheval, il démissionne en 1874 et décide de se consacrer à une double carrière littéraire et politique. Auteur d'un acte en vers, représenté à la Comédie-Française avant la guerre alors qu'il n'avait que vingt-trois ans, il a publié au lendemain de la défaite Les Chants du soldat qui vont connaître un succès prodigieux avec cent cinquante rééditions !
Républicain dans la tradition de l'An Il, le poète de la Revanche fait alors partie de la commission d'éducation militaire et nationale près du ministère de l'Instruction publique.
Déroulède ne jure alors que par Gambetta. Quand Jules Ferry le remplace, il lui vous aussitôt une haine tenace. Il s'élève contre les aventures coloniales, en souvenir des provinces annexées :
- J'ai perdu deux enfants, dit-il à Ferry et vous m'offrez vingt domestiques !
En mai 1882, c'est la fondation de la Ligue des patriotes, dont il va devenir l'emblématique organisateur, déployant des talents d'agitateur inlassable plus que de comploteur efficace. Il n'a pas d'ailleurs d'ambition personnelle et sacrifie tout, sa personne comme sa fortune, au mouvement qu'il anime. Il se veut seulement "un sonneur de clairon." Mais quel souffle et quel coffre !
Sa haute silhouette à la taille bien prise dans une redingote sombre, sa longue barbe blonde, son port de tête altier, son verbe sonore, tout concourt à le rendre populaire. Et auprès des petites gens bien davantage que dans les beaux quartiers.
Il n'est d'abord que le propagandiste, assez vite déçu, du général Boulanger. La fin lamentable de l'aventure ne le décourage pas. "Quand même ! " est sa devise.

Un écrivain "engagé"

Il multiplie les éditoriaux fulgurants dans Le Drapeau, dont Barrès sera un jour rédacteur en chef et apparaît comme une sorte de Don Quichotte du nationalisme, instituant le culte de Jeanne d'Arc, la "sainte de la patrie".
Il assure avoir derrière lui trois cent mille ligueurs et il donne une magnifique définition du front qu'il anime ; "Bonapartistes, légitimistes, orléanistes, républicains, ce sont là chez nous que des prénoms; c'est patriotes qui est le nom de famille."
Il traduit en idées simples les théories de Taine et de Renan, même si ce dernier lui a conseillé tristement;
- Jeune homme, la France se meurt, ne troublez pas son agonie.
Elu député de la Charente, il s'efforce vainement de faire réviser dans un sens démocratique la Constitution de 1875, ce qui implique l'élection du président de la République au suffrage universel.
Son mépris du danger, sa propension à dire tout haut ce que le peuple pense tout bas, son goût des manifestations et des conspirations lui vaudront d'être traduit en correctionnelle, en cour d'assises, puis en haute cour pour avoir tenté de soulever , la garnison de Paris après la mort de Félix Faure. Condamné à dix ans de bannissement, il doit s'exiler en Espagne, à Hendaye, tout près de la frontière. 
Homme de pamphlets, de duels, de combats, il considère ses livres comme des armes. Il a compris avant tout le monde que le combat politique et le combat culturel marchent du même pas.
C'est un écrivain "engagé", un des premiers. Mais ce n'est pas un écrivain négligeable. Il a touché à tous les genres. La poésie d'abord, mais aussi le drame en vers avec l' Hetmann, La Moabite ou Messire Du Guesclin la tragédie avec La mort de Hoche, la biographie avec Le Premier Grenadier de France : La Tour d'Auvergne, les souvenirs avec ses Feuilles de route, témoignage poignant sur cette année 70-71 qui devait le marquer à jamais.
Homme de coups de gueule plutôt que de coups d'Etat, il s'est voulu un tribun du peuple, finalement le seul grand rival de Jean Jaurès. Il mourra la même année que lui, en 1914, le 30 janvier, après avoir prononcé par un froid glacial son dernier discours sur le champ de bataille de Champigny, haut lieu des rencontres de la Ligue des patriotes.
Il reste l'homme dont toute la vie enseigne le combat : "Ni les défaites, ni les défections, ni les châtiments, non pas même les années, n'ont courbé ma tête ni fléchi ma volonté. "Tant que je respirerai, j'espérerai ! " Cette vieille devise-là, non plus, je ne l'ai pas reniée."
Jean Mabire, National Hebdo Semaine du 23 au 29 septembre 1993

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