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Gergovie, Le Crest ou Corent ?

M. Matthieu Poux, c'est à vous que je m'adresse une nouvelle fois. Je viens de lire votre ouvrage intitulé "Corent, voyage au coeur d'une ville gauloise". C'est un bel ouvrage et c'est le résultat d'un travail de qualité et de grand mérite. Vous êtes d'ailleurs un archéologue connu et reconnu par l'ensemble de la profession. Il y a tout de même un petit problème. En effet, en tant qu'archéologue et au vu des vestiges mis au jour, vous pensez que Corent pourrait être la ville des Arvernes avant que Clermont-Ferrand le devienne. Au contraire de vous et en tant qu'ancien militaire, je pense que la capitale antique ne pouvait se situer que sur un point fort du terrain et que ce point fort du terrain est Le Crest.

Vous imaginez une capitale éclatée de trois oppidum - Merdogne, Gondole, Corent - Corent en étant le centre et le coeur.

Au sujet de Gondole, je me permets d'attirer votre attention sur le grand fossé mis au jour sous le Second empire. En 1864, M. Mathieu y signalait les restes de son énorme talus de protection. Il rappelait que la tradition y voyait encore un camp de César. Les vestiges abondent, écrivait-il, amphores romaines, poteries, boulets, monnaies, et les débris humains mêlés à des os de cheval s'y rencontrent quelquefois en si grande quantité que les propriétaires renoncent à les enlever (Mémoires de l'Académie des Sciences, des Belles–Lettres et des Arts de Clermont–Ferrand, tome VI, 1864 — Les camps romains de Gergovia par P.P. Mathieu).  A mon sens, ce grand fossé n'a pu être creusé que par les légionnaires pour protéger l'un des grands camps dont César parle dans ses Commentaires Cela signifie que les découvertes d'armes gauloises et romaines, d'objets de parure et de céramiques importées en grand nombre qui indique que ses occupants jouissaient d'un statut relativement élevé (page 257 de votre ouvrage) doivent s'appliquer aux légionnaires et non aux habitants, ce qui relativise l'importance du site.

Dans ma vision de militaire, il me semble, en effet, que César était intellectuellement obligé d'installer, en retrait, un grand camp logistique à Gondole, près du fleuve, et son état-major tactique, en position d'observation plus avancée, sur la butte d'Orcet. La preuve archéologique est donnée par les fouilles du Second empire relatées notamment dans le tome des mémoires précité. Monsieur Mathieu a retrouvé la double tranchée romaine entre Orcet et Gondole. Napoléon III a fait découvrir celle qui allait de la Roche-Blanche en direction de la colline de la Serre où est probablement restée cantonnée une partie des troupes. Cette tranchée se poursuivait-elle jusqu'au camp de Gondole, ou bien remontait-elle sur Orcet ? Les restes de fossés retrouvés par monsieur Mathieu autorisent les deux hypothèses.

Au sujet de Merdogne. Vous pensez que la bataille a eu lieu sur ce site ; je ne le pense pas. Vous conviendrez avec moi que c'est surtout une question de bonne traduction du texte de César. Il me semble donc qu'il serait judicieux que vous demandiez à Madame la ministre de la Culture de désigner une commission de latinistes compétents qui pourra trancher entre nos deux traductions.

Au sujet de Corent. Vous voyez une occupation importante de ce site depuis vers l'an - 140 jusqu'au milieu du Ier siècle av. J.C. Vous expliquez cette implantation en la mettant en parallèle avec l'explication que donne M. Vincent Guichard pour le mont Beuvray, identifié à tort, selon moi, à la capitale éduenne de Bibracte. Pour vous deux, la Gaule aurait commencé à être romanisée peu de temps avant la conquête de César. C'est à partir de cette romanisation que notre pays aurait commencé à prendre son nouveau visage de maisons en pierres succédant à des villages en bois aux traces éphémères. A la dernière page de votre ouvrage, vous concluez en disant notamment "la civilisation des oppida, véritables cités de terre et de bois". Il s'agit là d'une hypothèse extrêmement grave à l'opposé de ce que je propose dans mes articles, puisque je situe Gergovie au Crest, que j'y vois une citadelle en pierre comparable à ce qui existait dans le reste du monde antique, et que je lui donne, en outre, toute une histoire antique et prestigieuse.

Vous avez donc raison de dire que nos points de vue sont radicalement opposés mais je pense que vous avez tort de traiter à la légère mon argumentation en évoquant mes écrits sur l'Atlantide (page 262).

Pourquoi le village en bois de Corent est-il apparu, pourquoi a-t-il disparu ?

Vous faites le lien avec les fameux banquets de Luern et le faste de Bituit ; vous avez raison. Même si le site était déjà sacré avant eux, même si on y brûlait déjà les morts, on peut très bien comprendre que Luern, ou sa dynastie, ait voulu lui donner une nouvelle splendeur. D'une part, en instituant ou en renforçant la pratique religieuse, cela renforçait son pouvoir. D'autre part, situé sur une voie de passage, à l'entrée de la plaine, c'était une vitrine au moment où la Gaule commençait à s'ouvrir au monde extérieur. Enfin, comme les pièces de monnaies gauloises semblent l'indiquer, c'était un lieu très bien choisi pour y appeler à la concertation les chefs des cités alliées.

Si ce village en bois a été abandonné après la défaite d'Alésia, c'est peut-être, tout simplement, parce que la dynastie, les croyances et la situation politique avaient changé. Quelques remarques toutefois.

A-t-on retrouvé à Corent la trace des croyances religieuses romaines ? Il ne semble pas. Des artéfacts divers, certes, mais qui peuvent tout aussi bien venir de Palestine ou de Gaule. Le sacrifice du mouton est une coutume juive. Le vin du sacrifice qu'on répand sur le sol l'est aussi. Pourquoi l'enclôs sacré a-t-il cette forme irrégulière ? Pourquoi n'est-ce pas un carré à la romaine ? Une monnaie de Vercingétorix est décorée d'une amphore romaine mais une autre l'est aussi de la lyre du roi David. 

Pourquoi un village uniquement en bois ? L'utilisation du seul bois aurait-elle été décidée pour ne construire sur ce site sacré qu'avec un matériau sacré, le chêne ; mais il peut y avoir d'autres raisons.                                     

Corent, modèle de la ville gauloise ? Si vous la rapprochez de l'image que nous avons des bourgs et des villes du Moyen-âge, je veux bien quoique. Alésia nous montre, il est vrai, une rue axiale avec des maisons disposées régulièrement de part et d'autre. C'est normal car il s'agit manifestement d'une fondation ex nihilo par des colons venus d'ailleurs, mais ces maisons ont été construites en pierres et non en bois. Contrairement à l'affirmation des archéologues, les ruines d'Alésia sont gauloises et non gallo-romaines. A Bourges, il en est de même. Si César dit que c'était une des plus belles villes de la Gaule, c'est parce qu'il s'y trouvait toute une architecture de pierre sculptée que les archélogues s'entêtent à attribuer aux Gallo-romains alors qu'elle est gauloise. Certes, de par le monde, les Anciens ont largement utilisé le bois pour construire leurs maisons d'habitation, mais les citadelles l'ont toujours été en pierre. Corent, capitale ? Où sont les redoutables murailles qui devraient la protéger ?... comme à Bourges. 

Et pourtant, Il n'est nullement dans mon intention de nier l'importance de votre site, ses échoppes, son artisanat, ses artisans, son important marché, ses grandes manifestations religieuses et festives. La présence d'un théâtre suffit d'ailleurs à montrer que pendant toute la durée de son occupation, on y a siégé pour débattre des affaires publiques, mais... durant un temps.

Corent est-il un oppidum ?

Vous voyez trois oppidum, Merdogne, Gondole, Corent. Vous ne citez pas les auteurs qui ont, pourtant, essayé d'en donner une définition.

Le tracé de l'oppidum ne doit être ni carré ni formé d'angles saillants ; il doit être courbe afin que l'ennemi soit en vue du plus loin possible. Il est essentiel aussi que les accès des portes ne soient pas directs mais obliques (Vitruve, de Arch. Lib. I chap. V). "Oppidum” vient de ops, secours, parce qu'il est fortifié pour prêter secours et parce qu'il en faut pour protéger l'existence, où l'on puisse se mettre à l'abri. Ou bien le mot vient de "opus”, ouvrage, à cause des remparts  qu'on élève pour mieux le fortifier (Varron, de lingua latina — IV). Les uns distinguent l'oppidum du vicus et du castellum uniquement par sa grandeur. D'autres le définissent ainsi : une position entourée par une muraille, un fossé ou par toute autre fortification. D'autres y voient outre la muraille, des bâtiments, un temple, une place publique, un forum. D'autres parlent d'oppidum à cause des murs, que le lieu soit entièrement habité ou qu'il ne serve qu'à mettre à l'abri les richesses (Servius : in IX Aeneid).

Le plus simple, à mon sens, est de comprendre que le mot oppidum dérive, comme le latin le fait très souvent, d'un autre mot généralement plus court. Le mot origine ovum, oeuf, s'impose à l'esprit, d'autant plus qu'il a un sens symbolique attesté dans plusieurs cultures antiques. Et en effet, les fortifications que l'avocat Garenne a mises au jour sous Napoléon III, d'Alésia, du mont Beuvray et de Mont-Saint-Vincent, sont en forme d'oeuf... et Avaricum l'est aussi.

Corent n'est pas un oppidum. Le Crest l'est.

Voyez sur cette médaille de Dioclétien l'oppidum à peu près ovale de la Gergovie que je propose, au Crest. Comparez-la au dessin de Guillaume Revel et aux ruines existantes. Je ne pense pas que ma proposition porte tort à vos travaux. Ce serait peut-être même le contraire.

Votre thèse d'une ville éclatée sur deux mille hectares est beaucoup trop compliquée, il faut vous rendre à l'évidence (page 260).

Votre "configuration inédite" de trois oppidum relativement distants les uns des autres constituerait, selon vous, une agglomération qui serait la véritable capitale tandis que la Gergovie de César ne serait que la ville qu'il a attaquée à Merdogne. Mais vous nous dites par ailleurs que cette ville n'aurait vraiment existé qu'après la guerre des Gaules. Cette contradiction ne vous a pas échappé puisque vous précisez que César a probablement exagéré l'importance de cette ville pour se faire valoir. Je ne le pense pas, le mot latin "posita" indique bien l'assiette d'une vraie ville.

Vous dites également que la Gergovie que César qualifie d'oppidum - le plateau de Merdogne selon vous - ne serait qu'une place forte servant de refuge (contrairement à l'oppidum de Bibracte de Vincent Guichard) et que Gondole et Corent seraient des oppidum (et donc que César aurait omis de mentionner). Il y a, là aussi, des contradictions qui ne devraient pas vous échapper.

Pourquoi chercher le compliqué alors que l'affaire est simple ? 

Strabon (IV, 2,3) dit que la métropole des Arvernes est Nemossos et quelle est située sur le fleuve. Une métropole ? Diodore de Sicile le dit aussi pour Alésia ; il s'agit d'un mot tout ce qu'il y a de plus classique pour désigner une capitale. Quant à se trouver sur le fleuve, cela signifie seulement qu'elle n'en était pas loin. Mais quand il ajoute un peu plus loin que, dans la guerre contre César, les combats eurent lieu devant Gergovie, l'explication la plus raisonnable est de comprendre que Strabon s'inspire de deux sources différentes qui désignent la même capitale mais sous deux noms différents. Comme vous le soulignez très justement, Strabon n'a jamais mis les pieds en Auvergne et il ne fait, bien souvent, que recopier d'autres auteurs qu'il ne comprend pas toujours. Enfin, je pense qu'il serait tout de même temps que la communauté scientifique fasse un effort de logique et qu'elle comprenne que Gergovie et Clermont formant une cité double, les deux portaient le même nom d'Augustonemetum, comme le prouve mon explication de la carte de Peutinger.

Gergovie, capitale virtuelle ? (page 266).

Ensuite et pour finir, vous et votre équipe cherchez dans le texte de César - et vous avez raison- une justification à vos thèses. C'est là où je me permets d'intervenir en tant que latiniste ayant fait un peu de latin.

Vous écrivez : Vercingétorix campait sur une montagne, près de la ville... Non ! Vercingétorix a installé ses camps, sur le mont (in monte) autour de lui (circum se) près et devant l'oppidum (prope oppidum). Il s'agit de l'éperon du Crest.

Vous écrivez : Les troupes couvraient la chaîne entière des collines... Non ! tous les versants (collibus) de la ligne de crête (jugi) étaient tenus (occupatis), c’est-à-dire : occupés et défendus. Il s'agit du plateau de la Serre et de ses versants.

Je sais qu'on m'a souvent fait un procès concernant le mot "collis" que je traduis par "versant". J'ai eu l'occasion de m'en expliquer de nombreuses fois ; je vous signale par ailleurs que le Gaffiot propose également de traduire le mot par "côteau", ce qui est un synonyme.

Vous évoquez également le mot "Girgoia" citée dans une énumération après Tallende. J'ai déjà dit que, dans le contexte de la charte, cela ne pouvait désigner que le village important du Crest et non le village insignifiant de Merdogne. Quant à la charte du XI ème siècle qui évoquerait un "mons Arvernus", je ne vois pas ce qu'on peut lui faire dire plus qu'elle ne dit.

Voici les quelques remarques que je me suis permis de faire suite à la parution de votre ouvrage. Il n'empêche que je mesure à sa juste valeur l'important travail, pas toujours récompensé, de vos collaborateurs et de vous-même. Un jour viendra, peut-être, où des responsables politiques comprendront l'intérêt qu'il y a à valoriser davantage notre patrimoine. Un jour viendra peut-être où une équipe de jeunes reconstruira "votre village gaulois".

Cordialement, malgré nos divergences.

E. Mourey http://www.agoravox.fr

Corent, voyage au coeur d'une ville gauloise, sous la direction de Matthieu Poux, éditions errance, Amazon 32euros30, broché.

Croquis de l'auteur. Plan de la bataille, par l'auteur, repris sur un site italien.

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