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Délire logique

Comprendre l'univers est une tâche que Dieu n'a pas explicitement assignée à l'homme mais qui l'occupe depuis un certain temps (d'après les meilleures sources). Cet effort incessant pour illuminer la nuit est une aventure formidable, d'autant que chaque avancée épistémologique, depuis les constructions mythiques jusqu'à l'astrophysique contemporaine, se double systématiquement d'une face sombre, l'histoire curieuse et navrante des aberrations scientifiques, des fausses voies, des physiciens désespérés et des mathématiciens fous.
La quête d'un sens purement rationnel aboutit forcément à l'irrationnel, depuis Platon exigeant que tout soit construit sur la forme du cercle (déclenchant des siècles de délires astronomiques) jusqu'à Russell croyant pouvoir asseoir la vérité mathématique sur un fondement absolu - avant que Gôdel et son théorème d'incomplétude ne prouve la radicale inanité de l'entreprise. Koestler retraçant l'histoire de l'astronomie des Grecs à Newton dans Les Somnambules et Logicomix, bande dessinée exposant l'histoire de la logique contemporaine (du XIXe au XXe siècle, en tout cas), nous proposent à chaque fois un voyage fascinant (les deux livres se lisent "comme un roman") dans l'histoire des sciences mais surtout dans l'imaginaire des scientifiques, aussi fous en fait que les poètes ou les tyrans. Résumer l'un ou l'autre ouvrage n'aurait pas de sens mais on est frappé (et les auteurs le soulignent avec force) par le côté proprement délirant de la recherche, par l'inévitable folie monomane qui double chaque entreprise scientifique, depuis la franche démence de ceux qui ont essayé de penser l'infini (comme le mathématicien Cantor), les divers stades de paranoïa et de dépression des grands mathématiciens (y compris Russell et Gôdel). Cette quête si nécessaire, échouant toujours à élucider simplement* son objet, a la grandeur tragique d'une épopée, surtout quand on confronte la vie parfois misérable des grands éclaireurs avec la hauteur, la profondeur et la largeur de leurs vues. On reste confondu par l'ingéniosité de l'esprit humain comme par les péripéties admirables ou grotesques des vies des chercheurs : Russell vivant avec les amants de sa femme au nom d'on ne sait quelle avant-garde ou Kepler rédigeant l'Harmonie des mondes pendant que sa mère est accusée de sorcellerie (en Allemagne protestante), c'est presque aussi surprenant que le Tractatus de Wittgenstein ou la mécanique newtonienne.
Les auteurs de Logicomix, bande dessinée inclassable redoutablement bien construite, comme Koestler, dans son essai magistral, concluent de la même façon : « ce mélange d'inspiration et d'illusion, de prophétique clairvoyance et d'aveuglement dogmatique, d'obsessions millénaires et de dédoublement de la pensée, dont j'ai essayé de retracer l'histoire, nous préviendra peut-être contre l'hybris de la Science, ou plutôt de la conception philosophique que l'on fonde sur elle. »
HC le Choc du Mois
*Car c'est cette simplicité élégante qui est le Graal de la recherche : inventer une théorie qui paraisse aussi évidente que le monde.
» Arthur Koestler, Les Somnambules - Essai sur l'histoire des conceptions de l'Univers, Les Belles lettres, 2010.
» A. Doxiadis et C. Papadimitriou (scén.), A. Papadafos (dessin), Logicomix, 352 p., Vuibert.

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