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À quoi bon la "nouvelle droite" ? (arch 2010)

Quelques réponses à des contradicteurs

Quelques pistes pour une évaluation
        Lorsqu'on parle de la "nouvelle droite" (ND), il est de bon ton dans la vaste nébuleuse d'une "gauche" qui va des sociaux démocrates aux groupuscules marginaux de la frange "extrémiste", de dire qu'elle est un mouvement d'idées dangereuses, inacceptables dans la mesure où elles remettent en cause l'égalitarisme républicain et l'antiracisme officiel qui s'est greffé dessus depuis quelques décennies. La même position a été adoptée par la droite libérale qui ne diffère plus guère aujourd'hui de ses adversaires politiques hormis sur des nuances de priorités et de style (et encore, si l'on pense à la passerelle dorée qui réunit désormais un Dominique Strauss-Kahn à un Nicolas Sarkozy…).
    Donc, d'un côté comme de l'autre, on écarte sommairement ce laboratoire de pensée en disant qu'il n'est que l'habit neuf d'une très vieille tentation fasciste (ou nazie) dont il faut se défier à tout prix au nom des "valeurs" (républicaines, judéo-chrétiennes, humanistes, laïques… selon le biais que l'on souhaite donner à l'idéologie hégémonique).
    Le problème avec un tel procès d'intention est que l'on se prive d'une réflexion critique qui permettrait, au moment où l'idéologie dominante s'estompe et sombre dans le nihilisme abyssal de notre "ère du vide" (G. Lipovetsky), qu'on s'interdit d'ouvrir d'autres perspectives incitant à une refonte radicale des dogmes décrépits de la modernité sur la conception de l'homme, des communautés, de la famille, de la culture, de la transcendance, du mythe, du politique, de la nature, de l'art, du travail, etc. Mais ce problème n'est pas celui de la ND qui, au contraire, semble se sortir renforcée, grandie de cette condamnation à la dissidence.
    L'impensée médiatique théâtralisée qui occupe les plateaux de télévision et les chroniques en vue de quelques médias-dinosaures en train de péricliter doucement, finira tôt ou tard par être prise pour ce qu'elle est : un entassement de discours creux et de querelles stériles totalement déconnecté avec la réalité. Les illusionnistes feront sans doute recette encore quelques temps puisque l'esprit du temps les y encourage, mais déjà on voit poindre un autre style, plus percutant, efficace lorsque, par exemple,  Frédéric Taddei invite de vrais penseurs, de vrais critiques sur le plateau de "Ce soir où jamais" où, occasionnellement, la ND trouve aussi sa place. On entrevoit l'ouverture encourageante, quoique encore très étroite et menacée par la censure conformiste, de débats authentiques sur les enjeux réels de nos sociétés recomposées et désorientées. Toutefois, la ND n'a pas attendu qu'on lui fasse une place sur ce genre de tribune pour se mettre à l'œuvre. Sa spécialité étant la réflexion de fond, elle se passe volontiers, et même volontairement, d'une trop grande exposition aux feux de la rampe qui la pousserait à galvauder sa pensée, à en faire une marchandise intellectuelle comme une autre.
     C'est à travers la force de réflexion des grands dossiers abordés par ses revues (Éléments, Krisis, Nouvelle École et leurs consœurs européennes), à travers les nombreux livres qu'elle écrit ou inspire, les conférences-débats abordés par les associations qui la représentent qu'elle apparaît comme un défi sérieux à l'impensée active, voire activiste, qui nous tient lieu d'idéologie. Et l'on peut constater, au bout d'une quarantaine d'année d'activités, que sa puissance de réflexion n'a pas sensiblement diminuée, que la demande intellectuelle de ses thématiques reste forte et que des convergences fécondes se sont établies avec des penseurs venus d'autres horizons (comme le philosophe italien Costanzo Preve, ou en France l'universitaire Claude Karnoouh, pour citer deux compagnons de route venus de la gauche).
    L'une des plus virulentes critiques de la nouvelle droite provient de ladite "extrême droite", dont certains partisans sont eux-mêmes issus de ses rangs ou l'ont côtoyée pendant quelques années.
    On entend fréquemment dire par certains déçus, aigris, que la stratégie "métapolitique" avait pour objectif la conquête du pouvoir politique au moyen de la maîtrise préalable du pouvoir culturel. Ce à quoi la ND aurait renoncé, se complaisant dans un intellectualisme de tour d'ivoire, sans prise sur la réalité, sans rapport avec les enjeux d'aujourd'hui.
    Outre, la mauvaise foi foncière qui consiste à rabaisser Alain de Benoist et ses amis — pour qui les connaît vraiment — au rang des intellectuels qui ne cherchent qu'à se faire plaisir en empilant les élucubrations logomachiques d'une raison raisonnante les unes sur les autres, à l'instar d'une certaine intelligentsia déréalisante fustigée naguère par notre ami Jean Cau, cette critique ignore la solution de continuité (reconnue par Gramsci) qui sépare l'agitation culturelle de l'activisme politique. S'il existe de nombreux recoupements et passerelles entre les deux champs d'activités accréditant l'importance d'une guerre culturelle au sens gramscien, on ne saurait les confondre ni attendre de résultats homéotéliques dans l'un lorsqu'on pratique l'autre. Il suffit d'avoir en tête l'aboutissement "hypercapitaliste" de la révolution culturelle maoïste pour comprendre la vanité des critiques adressées en l'occurrence à la ND. D'entrée de jeu celle-ci s'est voulue société de pensée et d'influence, ni plus  ni moins, n'en déplaise à certains de ses adhérents ou proches au tempérament activiste et à nombre de ses adversaires qui se sont longtemps fait des illusions sur son pouvoir de transformation politique.
    Où sont aujourd'hui les déçus de la ND qui prétendaient que celle-ci avait renoncé, trahi ses objectifs originels par ambition personnelle ou par recherche de la facilité ? Où en sont les grandes ambitions de ceux qui prétendaient fonder un "GRECE bis" ? Qui ici se fait plaisir : ceux qui continuent le combat ingrat de la production et de la diffusion d'idées susceptibles d'influer sur l'esprit du temps  ou ceux qui n'ont d'autres ressources que les tribunes — de papier et de planches — où sont scandés d'année en année les mêmes slogans contre les ennemis désignés (souvent d'ailleurs les premières victimes, les exploités, les boucs-émissaires du système hégémonique) que ces cris de rage n'atteindront même pas ?
    Suivant ce filon passablement épuisé, l'économiste Marc Rousset, qui a récemment animé une soirée-débat du GRECE pour présenter son livre (La nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou) critique la position exprimée dans un récent n° d'Éléments selon laquelle, ce qui menace l'identité des Européens, beaucoup plus que les actuels flots migratoires et l'installation massive d'immigrés allogènes dans nos contrées, c'est la transformation des peuples européens en marchandises du système à broyer les peuples. Selon lui, "Le véritable et plus grave  danger  pour les Français qui se définissent avant tout comme des Européens de langue française, c’est bien l’inacceptable phénomène migratoire extra-européen car il porte atteinte, au-delà des risques évidents de guerre civile et à une difficile politique du retour, d’une façon irréversible, à l’identité européenne, à la substance ethnique du peuple français. Le système économique, lui, pourrait  être adapté et changé sans trop d’encombres du jour au lendemain ! (fin du libre échange, mise en place de la préférence communautaire, mise en place d’un capitalisme volontariste industriel). L’immigration au contraire, engage la patrie charnelle du peuple français" (*1)
    Certes, les pressions migratoires actuelles contre un continent dont la population vieillit vite et qui peine à atteindre le seuil de reproduction nécessaire à la survie de ses peuples sont l'un des phénomènes les plus graves affectant notre vieille Europe en déclin. La ND en général, L'Esprit Européen en particulier, en sont tout à fait conscients. Mais à partir de cette conscience partagée Nous divergeons sur ce qu'il faudrait faire pour combattre ce phénomène et toutes les autres redoutables tendances au déclin de nos peuples européens. Lui pense que nous devrions renoncer à l'action métapolitique que nous animons — et qui nous anime — depuis une quarantaine d'années, qui nous a donné une image de marque parmi les dissidences de qualité dans la durée, pour rejoindre les partis, les tribuns qui ont vainement tenté pendant toute cette période de combattre une dérive  propre au système et à l'esprit (partagé par une  vaste majorité de nos concitoyens, que cela nous plaise ou non) d'une société de consommation sans feu ni lieu. Système aussi fort que les murs d'une prison, contre lesquels on ne blesse que soi-même en se contentant de hurler et en se cognant aux murs. Système plus fort encore que la prison puisqu'il bénéficie de l'esprit de servitude volontaire d'une majorité des croyants, des adeptes enthousiastes, passifs ou réticents, du libéralisme conquérant. La ND précisément, ne partage pas cette servitude. Elle n'accepte pas de se mouvoir dans le champ politique parce qu'elle a compris qu'il est verrouillé dans une large mesure, et que c'est sur le plan des idées que se mènent aujourd'hui les batailles décisives. La véritable trahison serait de revenir en arrière, à l'époque où le "nationalisme", quoique déjà rudement battu en brèche, faisait encore sens face à l'universalisme des grands blocs. Cette époque est révolue et les enjeux ont radicalement changé.
    Ceci dit, on ne peut que recommander à M. Rousset et à ceux qui l'approuvent de faire ce qui correspond à leurs priorités et à leurs compétences. Qu'ils entrent en politique. Mais avant de donner des leçons d'intelligence et de courage à la nouvelle droite, ils devraient apprendre à discerner les effets des causes. Car s'il y a mise en branle de vastes flux migratoires sur toute la planète depuis fort longtemps, si les frontières sont devenues poreuses, si de puissants réseaux de passeurs épaulés par des lobbies économiques et politiques organisent facilement ce trafic humain, si les immigrés trouvent gîte et couvert, emploi et assistance avec l'approbation tacite des populations indigènes, c'est bien parce que le pourrissement a commencé par la tête…             C'est par un changement d'état d'esprit que la situation pourra, éventuellement, se renverser, certainement pas par le changement de priorités économiques et politiques qui paraît si facile à M. Rousset et qui nous est promis sans résultats notables à la veille de chaque élections.
    Passons vite sur ces critiques superficielles et répétitives venant de ceux qui n'ont jamais tenté de comprendre de l'intérieur, les motivations d'une école de pensée. Il y en a d'autres, comme celles de M. Bruno Wieseneck dans Le choc du mois (juillet 2010, qui, soit dit en passant est l'une des meilleures livraisons de ce magazine depuis longtemps). L'auteur, tout en reconnaissant que la ND n'est pas morte ("que lirait-on ?" interroge-t-il en recommandant aux ouailles de la droite catholique d'en prendre de la graine), affirme qu'elle a échoué parce qu'en développant sa thématique de recours au paganisme, elle s'est coupée de la droite catholique, nuisant à la consolidation d'une vaste "droite nationale", etc. Là encore on attribue à la ND une vocation (de fédérateur des droites radicales) qui n'est pas la sienne, et on insinue qu'elle aurait pu renoncer aux recherches païennes qui lui ont conféré une bonne part de son originalité sans y perdre son âme… Encore un qui ne voit la ND que de son clocher, rejoignant ce qu'un dissident de la ND, décidé à se lancer en politique voici une vingtaine d'années aux côtés de l'archi-catholique Bernard Antony, appelait le "compromis nationaliste". On chercherait en vain le résultat d'un tel compromis aujourd'hui : chacun a repris ses billes pour jouer dans son coin et personne n'a rencontré la gloire, semble-t-il… Toujours est-il que la ND ne souscris plus à aucune version du nationalisme depuis fort longtemps (*2) et qu'elle n'a jamais été encline au compromis —autre que rhétorique—, outil utile en politique, mais corrupteur  de toute pensée audacieuse qui ne ne doit jamais reculer devant les conséquences de ses conquêtes aventureuses.
    Justement, la recherche sérieuse de ce que peuvent signifier aujourd'hui lesdites valeurs et les symboles païens, l'étude, avec le grand Georges Dumézil et ses héritiers, parmi lesquels nos amis du GRECE Jean Varenne et Jean Haudry, de la structure idéologique commune aux traditions indo-européenennes et la diffusion de ces travaux extraordinaires dans des cercles plus vastes et moins abscons que les cénacles scientifiques où ils mijotaient, leur commentaire et leur analyse  récurrents, constituent une image de marque de la ND, allant jusqu'à dresser contre elle une coterie d'inquisiteurs qui l'ont accusé sans preuve de faire de la récupération.         Fallait-il y renoncer, tout comme au défrichement de l'immense champ d'étude du paganisme philosophique et littéraire, pour quelques dérisoires compromis politiques comme le suggèrent B. Wieseneck et quelques autres ? La question, autant que je sache, ne nous a jamais effleuré.
    Autre thème de prédilection : l'ethno-différencialisme (voir Wikipedia) ou ethno-pluralisme, perspective qui permet de prévoir l'éclatement et la recomposition hiérarchisée des sociétés multi-ethniques qui nous sont encore présentées aujourd'hui sous le jour des utopies humanistes comme une évolution naturelle vers le métissage universel et heureux. Claude Lévi-Strauss adhérait lui aussi à ce pessimisme culturel raisonnable, parce que raisonné (*3).     Des chercheurs comme l'ethno-psychiatre Tobie Nathan et le sociologue Hugues Lagrange, dont le récent ouvrage, Le déni des cultures "s'arrache en librairie" en ce moment même (*4) s'inscrivent dans cette féconde vision du monde appelée à s'étendre et à mettre à mal les dernières illusions universalistes. Notons en passant que nous avons-là en puissance la plus formidable critique de la dérégulation migratoire et du déracinement catastrophique encouragé par les sociétés libérales. Les gesticulations politiques pour la défense de la "race blanche" contre les "envahisseurs", la pseudo guerre des mondes ou des civilisation avec lesquelles l'Occident démoralisé tente de rameuter ses troupes font bien piètre figure là-contre.
    Nous pourrions continuer longtemps à faire le tour des thèmes, de l'audace conceptuelle, de la vulgarisation intelligente apportée par la nouvelle droite au cœur de la pensée faible (molle, disait Jean Cau) qui caractérise notre époque. Mais cela est déjà fait par ailleurs (notamment dans le récent n° d'Éléments consacré au sujet, mais aussi dans le Liber Amicorum dédié à Alain de Benoist, etc.) et cet article, qui se voulait un modeste plaidoyer en défense contre quelques assaillants peu scrupuleux, est déjà trop long.
    Resterait à faire le bilan concret et sans complaisance des (faibles) forces, des fragiles piliers humains sur laquelle cette grande aventure repose. Il faudrait souligner l'impérieuse nécessité de renouvellement des figures de proue, appelées à succomber comme nous tous sous les coups de la faucheuse entropie; encourager l'arrivée de jeunes générations de penseurs et sonder les moyens à mobiliser pour ce faire; révaluer les médias de la ND, toujours remarquables mais qui ne perdraient rien à se renouveler… Mais c'est un autre chapitre. Et puisque l'intendance à toujours suivi, tant que le cœur y est, on devine qu'elle ne nous laissera pas tomber dans ce si grand moment historique.
    Je termine avec cette réflexion lumineuse d'Alain de Benoist, si nécessaire dans l'obscurité de nos tristes empoignades démagogiques, à propos de l'''ennemi principal". Elle est citée comme paradigmatique par Costanzo Preve qui estime, en guise de compliment, qu'elle pourrait émaner "d'un héritier extrémiste du gauchisme le plus radical du xxe siècle" !
" L'ennemi principal est à la fois le plus nuisible,et, surtout, le plus puissant. C'est aujourd'hui le capitalisme et la société de marché sur le plan économique, le libéralisme sur le plan politique, l'individualisme sur le plan philosophique, la bourgeoisie sur le plan social, et les États-Unis sur le plan géopolitique. L'ennemi principal occupe le centre du dispositif. Tous ceux qui, dans la périphérie, combattent le pouvoir du centre devraient être solidaires. Mais ils ne le sont pas." (*5)
    N'y a-t-il pas là un appel au combat et à l'unité sans précédent pour les jeunes générations confrontées au chaos généré par cet ennemi protéiforme, autrement plus dangereux que les pauvres hères qu'il met en mouvement vers l'exil et jette les uns contre les autres, autrement plus forts que les théocrates de tout poil qui vocifèrent contre lui partir de cette périphérie où nous végétons nous aussi, et dont une grande politique ne peut qu'espérer, quelque jour, un sursaut, un élan unitaire pour crever, extirper la tumeur centrale qui nous ronge ?
Jacques Marlaud http://www.esprit-europeen.fr
*1 Marc Rousset, "Immigration extra-européenne et identité : Les erreurs de la Nouvelle droite et de l’Eglise catholique romaine" (publication ?)
*2 nous publierons prochainement une vigoureuse critique du nationalisme datant d'une bonne quinzaine d'années
*3 cf. notre article Claude Lévi-Srauss méconnu : http://esprit-europeen.fr/portraits_levistrauss.html
*4 Le Figaro, 27 septembre 2010
*5 Citation de Costanzo Preve, "Point de vue d'une autre rive", Éléments n° 136, juillet-septembre 2010

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