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Edmond Burke et la Révolution Française

Homme politique anglais qui publie, dès 1790, un manifeste contre-révolutionnaire : Réflexions sur la Révolution en France, qui connaîtra un grand succès. Longtemps négligées par les historiens français, longtemps méconnues en France, les Réflexions de Burke trouvent dans les lectures contemporaines de la Révolution une nouvelle actualité. Burke dénonce la philosophie rationaliste de Révolutionnaires qui prétendent, en faisant table rase de l'histoire, reconstruire l'homme et la société à partir d'une idée de la nature.

burke010.jpgLes Réflexions sur la Révolution en France, publiées à Londres le 1er novembre 1790 par Edmund Burke, célèbre parlementaire irlandais, n'ont cessé depuis lors d'irriter la longue suite de nos dirigeants politiques épris de niaiseries démagogiques et accoutumés à endormir l'opinion de mascarades égalitaires dans l'imposture généralisée des “Droits de l'homme et du citoyen”.

À la veille du Bicentenaire dont les fastes dispendieux et grotesques vont encore ajouter au trou sans fond de la Sécurité Sociale et crever un peu plus la misérable vache à lait électorale saignée à blanc par les criminels irresponsables qui, au nom de l'État et pour le bonheur du peuple, osent encore exhiber le bonnet phrygien et se réclamer de la “Carmagnole”, la lecture de Burke, telle une cure d'altitude, est un merveilleux contrepoison.

Félicitons comme ils le méritent le jeune historien Yves Chiron (auquel l'Académie vient de décerner le Prix d'Histoire Eugène Colas) et son éditeur qui rendent enfin accessible au public un ouvrage depuis longtemps introuvable, un auteur dont la liberté d'expression, la vigueur de pensée, la puissance évocatrice et prophétique toujours intacte, réduisent à son abjection et à son néant “l'Événement” dont on nous somme sans répit de célébrer la générosité sublime, la gloire sans pareille, et une grandeur que le monde entier, jusqu'au dernier Botocudo, jusqu'à l'ultime survivant de la terre de Feu et de Rarotonga, ne cesse de nous envier frénétiquement.

Cependant, Yves Chiron note à juste titre dans son étude que « ce qui se passe en 1789-1790 n'est pas un évènement localisé et spécifiquement français : c'est le premier pas vers un désordre généralisé où se profilent la vacance du pouvoir, la disparition des hiérarchies sociales, la remise en question de la propriété — la fin de toute société ».

Plus précisément, c'est la date du 6 octobre 1789 que Burke, contemporain, retient comme signe fatal et révélateur, marqué par le glissement irréversible dans la boue et le sang :

« Dans une nation de galanterie, dans une nation composée d'hommes d'honneur et de chevalerie, je crois que dix mille épées seraient sorties de leurs fourreaux pour la venger (la Reine) même d'un regard qui l'aurait menacée d'une insulte ! Mais le siècle de la chevalerie est passé. Celui des sophistes, des économistes et des calculateurs lui a succédé : et la gloire de l'Europe est à jamais éteinte ».

Burke fut le premier à dénoncer l'imposture des “droits de l'homme”

Or, par une sinistre ironie de l'Histoire, il se trouve que la France s'est précipitée dans cet interminable bourbier au moment précis où son prestige était le plus éclatant, son économie en pleine ascension, la qualité de sa civilisation reconnue partout sans conteste. Ainsi que le souligne Yves Chiron, Burke note que les “droits de l'homme” flattent l'égoïsme de l'individu et sont ainsi négateurs, à terme, de la vie sociale. Dans un discours au Parlement (britannique), en février 1790, il s'élève avec violence contre ces droits de l'homme tout juste bons, dit-il, « à inculquer dans l'esprit du peuple un système de destruction en mettant sous sa hache toutes les autorités et en lui remettant le sceptre de l'opinion ».

L'abstraction et la prétention à l'universalisme de ces droits, poursuit Chiron, contredisent trop en Burke l'historien qui n'apprécie rien tant que le respect du particulier, la différence ordonnée et le relativisme qu'enseigne l'Histoire. Il n'aura pas de mots assez durs pour stigmatiser Jean-Jacques Rousseau, “ami du genre humain” dans ses écrits, “théoricien” de la bonne nature de l'homme et qui abandonne les enfants qu'il a eu de sa concubine : « la bienveillance envers l'espèce entière d'une part, et de l'autre le manque absolu d'entrailles pour ceux qui les touchent de près, voilà le caractère des modernes philosophes… ami du genre humain, ennemi de ses propres enfants ».

Un autre paradoxe, et non des moindres, a voulu que les sociétés de pensée, l'anglomanie aveugle et ridicule qui sévissait partout en France alors même que la plupart de nos distingués bonimenteurs de salon ne comprenait un traître mot d'anglais, aient pu répandre l'idée que les changements qui se préparaient seraient à l'image de cette liberté magnifique qui s'offrait Outre-Manche à la vue courte, superficielle et enivrée, d'un peuple d'aristocrates honteux, de sophistes à prétention philosophiques, de concierges donneurs de leçons et de canailles arrogantes.

Logorrhée révolutionnaire et pragmatisme britannique

 

chiron11.jpgNul ne s'avisait dans le tumulte emphatique qui remplissait ces pauvres cervelles de débiles et de gredins, de ces “liaisons secrètes” que Chateaubriand a si bien perçues par la suite entre égalité et dictature, et qui la rendent parfaitement incompatible avec la liberté. L'Angleterre, pays de gens pratiques, ne pouvait qu'être aux antipodes de l'imitation “améliorée” que l'on croyait en faire, « et ses grands seigneurs, accourus pour acheter à vil prix le mobilier et les trésors de la Nation vendus à l'encan, n'en revenaient pas de ce vertige de crétinisme et de l'hystérie collective et criminelle emportant follement le malheureux peuple de France vers l'esclavage, la ruine et l'effacement de la scène du monde, au nom de fumées et d'abstractions extravagantes, mensongères et pitoyables ».

 

Quant à la masse du peuple, dit Burke, quand une fois ce malheureux troupeau s'est dispersé, quand ces pauvres brebis se sont soustraites, ne disons pas à la contrainte mais à la protection de l'autorité naturelle et de la subordination légitime, leur sort inévitable est de devenir la proie des imposteurs :

« Je ne peux concevoir — dit-il encore — comment aucun homme peut parvenir à un degré si élevé de présomption que son pays ne lui semble plus qu'une carte blanche sur laquelle il peut griffonner à plaisir. (…) Un vrai politique considérera toujours quel est le meilleur parti que l'on puisse tirer des matériaux existants dans sa patrie. Penchant à conserver, talent d'améliorer, voilà les deux qualités qui me feraient juger de la qualité d'un homme d'État ».

Burke, écrit Chiron, « ne conteste pas que la France d'avant 1789 n'ait eu besoin de réformes, mais était-il d'une nécessité absolue de renverser de fond en comble tout l'édifice et d'en balayer tous les décombres, pour exécuter sur le même sol les plans théoriques d'un édifice expérimental ? Toute la France était d'une opinion différente au commencement de l'année 1789 ». En effet. Et, comme l'exprime si justement la sagesse populaire anglaise, “l'enfant est parti avec l'eau du bain”. L'énigmatique “kunsan-kimpur” [calembour phonétique du vers “qu'un sang impur...”] que nos marmots ont obligation d'ânonner dans nos écoles avec les couplets de l'amphigourique et grotesque “Marseillaise” n'abreuve depuis lurette le plus petit sillon de notre exsangue et ratatiné pré carré. Seuls des politiciens que le sens du ridicule n'étouffe pas vibrent encore de la paupière et des cordes vocales tandis que de leur groin frémissant s'échappe indéfiniment, telle une bave infecte, la creuse et mensongère devise de notre constitution criblée d'emplâtres : “Liberté, égalité, fraternité”.

Céline décrit le résultat...

Céline, si lucide et si imperméable à la rémoulade d'abstractions humanitaires dont résonnent sans trève nos grands tamtams médiatiques, et qui savait son Histoire comme on ne l'enseigne nulle part, a décrit la situation une fois pour toutes dans une des pages les plus saisissantes du Voyage.

« Écoutez-moi bien, camarade, et ne le laissez plus passer sans bien vous pénétrer de son importance, ce signe capital dont resplendissent toutes les hypocrisies meurtrières de notre Société : “L'attendrissement sur le sort, sur la condition du miteux… !” (…) C'est le signe… Il est infaillible. C'est par l'affection que ça commence. (…) Autrefois, la mode fanatique, c'était “Vive Jésus ! Au bûcher les hérétiques !” mais rares et volontaires, après tout, les hérétiques. Tandis que désormais (…) les hommes qui ne veulent ni découdre, ni assassiner personne, les Pacifiques puants, qu'on s'en empare et qu'on les écartèle (…) pour que la Patrie en devienne plus aimée, plus joyeuse et plus douce ! Et s'il y en a là-dedans des immondes qui se refusent à comprendre ces choses sublimes, ils n'ont qu'à aller s'enterrer tout de suite avec les autres, pas tout à fait cependant, mais au fin bout du cimetière sous l'épithète infâmante des lâches sans idéal, car ils auront perdu, ces ignobles, le droit magnifique à un petit bout d'ombre du monument adjudicataire et communal élevé pour les morts convenables dans l'allée du centre, et puis aussi perdu le droit de recueillir un peu de l'écho du Ministre qui viendra ce dimanche encore uriner chez le Préfet et frémir de la gueule au-dessus des tombes après le déjeuner ».

Que l'on me pardonne cette citation un peu longue et d'ailleurs incomplète, mais elle m'a paru comme un prolongement naturel des Réflexions de Burke, tout en évoquant irrésistiblement l'Auguste Président, grand amateur de cimetières, panthéons et nécropoles, qui s'apprête à commémorer en grande pompe et dans l'extase universelle le Bicentenaire de l'incomparable Révolution française.

◘ Yves Chiron, Edmond Burke et la Révolution Française, Téqui, 1988, 185 p.

► Jacques d'Arribehaude, Vouloir n°50-51, 1988. (et : Bulletin célinien n°73, sept. 1988)

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