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Congo ex-belge : « Sire, ils vous ont cochonné votre Congo »

La Belgique sans vrai gouvernement a pris la présidence de l'Union européenne le 1er juillet alors que son roi participait la veille aux festivités de l'indépendance du Congo ex-belge. Un roi muet qui n'a pas plus parlé de Tintin au Congo que de la querelle linguistique au plat pays. Un roi trop absent estiment certains Belges et présent là où il aurait pu tout de même se dispenser d'aller. Car si l'indépendance est fêtée en tant que telle, elle fut le début de cinquante ans de malheur pour le centre de l'Afrique francophone non française et un calvaire pour certains Belges et Africains.
Lorsque Léopold II avait été forcé de remettre l'État indépendant du Congo, jusqu'alors possession personnelle de la Belgique. il avait murmuré : « J'espère qu'ils ne vont pas me le cochonner ! » Le général Janssens, quelques jours après l'indépendance, de retour du chaos congolais. convoqua les journalistes devant la statue équestre de Léopold II à Bruxelles, près du Palais Royal, déposa une gerbe et s'écria : « Sire, ils vous l'ont cochonné ! »
L'indépendance du Congo était déjà alors indiscutablement un naufrage sanglant, l'un des pires de la décolonisation.
UN VOYAGE DU ROI POUR LE MOINS INOPPORTUN
Mais il faut remonter à un autre Congo. L'État indépendant du Congo était un territoire sur lequel le roi Léopold II de Belgique exerça une souveraineté de fait de 1885 à 1908. Cet État était constitué par le territoire actuellement connu sous le nom de République démocratique du Congo. Le Congo belge fut le nom porté par le même territoire de l'actuelle RDC entre la fin de l'État indépendant du Congo et l'accession à l'indépendance congolaise effective le 30 juin 1960.
La controverse historique sur ces deux possessions belges personnelles puis étatiques est toujours d'actualité et, sous la pression de l'anticolonialisme triomphant, dans la recherche historique orientée. Il convient cependant d'admettre que tout ne fut pas toujours pour le mieux dans la meilleure des colonies possibles. Mais depuis c'est pire.
L'actuel roi des Belges a cru devoir participer cependant aux commémorations du 50e anniversaire d'une indépendance marquée par des actes de sauvagerie dans la plus pure tradition de cette Afrique au « cœur des ténèbres » Les massacres de Belges, le calvaire des religieuses, les épurations ethniques semblent passés par profits et pertes. Ce n'est pas cela en tout cas qui trouble les media quant à la présence du roi des Belges. Le voyage royal est plutôt perçu comme un soutien au pouvoir en place, qui se caractérise par des assassinats et de la corruption, rien de bien nouveau sur le fleuve Congo.
Un pouvoir qui n'est même plus souverain sur l'ensemble du territoire puisque des troupes angolaises sont toujours basées à la frontière et que la guerre civile fait rage dans certaines régions de l'immensité congolaise. Marquée par un grand défilé militaire devant un parterre d'invités, dont des chefs d'Etat africains, le secrétaire général de l'ONU et le roi des Belges, ex-puissance coloniale, la cérémonie était en effet d'importance pour le pouvoir du président Kabila. Parmi les chefs d'État africains présents figurent le Rwandais Paul Kagame, réconcilié depuis 2009 avec son homologue congolais, l'Ougandais Yoweri Museveni, le Centrafricain François Bozize, le Congolais Denis Sassou Nguesso. Robert Mugabe (Zimbabwe), Idriss Deby Itno (Tchad), Paul Biya (Cameroun), Ali Bongo Ondimba (Gabon), étaient également présents à cette cérémonie. Initialement annoncé, le président sud-africain Jacob Zuma n'est pas venu. Rien que des protecteurs de la démocratie. Environ 15 000 militaires et policiers congolais, 400 chars et véhicules ont défilé sur le « boulevard Triomphal », totalement refait à neuf, qui jouxte le stade des "Martyrs". Excusez du peu ! Des Casques bleus des Nations unies, dont le patron Ban Kimoon est arrivé le mardi 29 juin au soir à Kinshasa, ont participé également au défilé militaire. Bruxelles en a, en revanche, exclu la présence de soldats belges. Tout de même.
ÇA COMMENCE MAL ...
Dans l'armée du nouvel État indépendant, en effet, les officiers belges blancs gardent le contrôle. La radio accuse alors les anciens colons de complot contre le nouvel État, ce qui provoque la colère des soldats bangalas et balubas qui se mettent à persécuter la communauté blanche. Le tribalisme n'aura pas attendu longtemps pour imposer ses lois de la jungle. La Belgique menace alors d'intervenir militairement. Sur ce, le premier ministre Lumumba appelle l'Union soviétique à l'aide. Les soldats balubas et bangalas n'étant pas représentés dans le gouvernement, ils commettent alors un coup d'État et renversent le Premier ministre. Au sein de l'armée, devenue complètement africaine, le général Mobutu Sese Seko prend les rênes et installe un gouvernement de commissaires. Mobutu est bientôt soutenu par les États-Unis, qui voient d'un mauvais œil le socialisme de Lumumba. C'est de ce coup d'État que profiteront, le 11 juillet 1960, les dignitaires du Katanga, sous la direction de Katenga Tshombé Moïse, pour faire sécession. (On peut relire sur cette sécession la formidable Chimère noire de Jean Lartéguy). Les autorités du Katanga créent alors leur propre monnaie et leur propre police. Lumumba accepte la venue des Casques bleus. Le Sud Kasaï proclame également son indépendance. Ainsi le gouvernement central perd-il ses deux provinces minières et Lumumba se retrouve-t-il sans argent. Les troupes de l'ONU censées intervenir pour mettre fin à la sécession n'agissent pas, tandis que Lumumba, prisonnier de Mobutu, est déporté au Katanga où il trouvera la mort.
La première guerre du Congo commence en 1962. Le gouvernement central s'attelle à reconquérir les provinces sécessionnistes. L'assassinat de Patrice Lumumba en 1961 et la reprise du Katanga et du Sud-Kasaï marqueront le début de l'ascension du général Mobutu Sese Seko.
Le titre « République démocratique », un nouveau drapeau et une nouvelle devise sont adoptés. En 1964, Stanleyville, aujourd'hui Kigaliville, est occupée par les guerriers Simbas qui prennent la population en otage. Stanleyville est reprise au cours de l'opération Dragon rouge menée par le 1er régiment para commando de l'armée belge.
En 1965, le Congo est pacifié. Toutes les révoltes tribales, ethniques ou des partisans de Lumumba ont été matées. Mais ce n'est qu'une parenthèse. Toute la région de Kigali vit des atrocités qui firent au moins 500 000 morts, civils et militaires. Il faudra l'intervention de troupes étrangères pour mettre fin à ce carnage .
... ET ÇA CONTINUE
En fait, des provinces entières (par exemple l'Équateur, le Katanga, le Kivu du Nord, le Kivu du Sud, le Maniema et le Kasaï oriental) sont passées progressivement sous contrôle étranger, c'est-à-dire presque la moitié du territoire national. Beaucoup de Congolais constatent que ces provinces sont désormais gérées par l'Ouganda et le Rwanda comme des "protectorats" mis à leur disposition. Des colonies de peuplement tutsis s'y sont constituées et un plan secret prévoyait une réduction des populations autochtones bantoues.
En plus du Rwanda, de l'Ouganda, de l'Angola, du Zimbabwe et de la Namibie, plusieurs autres pays sont intervenus directement ou indirectement dans le conflit au Congo-Kinshasa : le Burundi, le Tchad, le Soudan, l'Érythrée et même le Maroc. La France, pour sa part, a été accusée d'apporter une assistance alimentaire aux rebelles sous forme d'« aides humanitaires » et les États-Unis, de leur côté, de former les militaires rwandais, ougandais et rebelles, auxquels ils apportent une aide logistique et financière. Enfin, l' Afrique du Sud est accusée d'assurer un appui militaire important au Rwanda et aux rebelles du Congo. Pour bien des observateurs, la présence des 40 000 soldats angolais, zimbabwéens, namibiens et tchadiens (sans oublier l'appui logistique de la Libye) aux côtés des Congolais rappellerait celle des soldats français, belges et marocains aux côtés des Zaïrois à l'époque de Mobutu ; on pourrait évoquer aussi la participation des milices togolaises, maliennes et sénégalaises à l'époque de Léopold II. Ce pays est un trou noir.
FÊTER QUELLE INDÉPENDANCE ?
Après quelques jours de désarroi et de tension autour de la mort de Kabila 1er surnommé depuis le Mzee (le "Sage"), le « Parlement provisoire » du Congo-Kinshasa choisit alors la « solution dynastique » et proclama, le 24 janvier 2001, en tant que « président de la République », le général-major Joseph Kabila, fils aîné du président assassiné. Depuis son arrivée au pouvoir, Kabila II a vu son pays s'enfoncer dans les guerres ethniques. Le Congo-Kinshasa est aux prises avec des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants en train de se faire massacrer parce qu'ils ne sont pas de la « bonne ethnie ». Cet immense pays semble trop grand au point que cela devient son drame. Les cérémonies du mercredi 30 juin avaient un côté surréaliste.
On peut dire aussi que le conflit linguistique belge s'est invité dans le Congo d'aujourd'hui ou ce qu'il en reste. Les Wallons investissent dans ce territoire alors que les Flamands préfèrent de loin l'Afrique du Sud. Où le racisme, linguistique ne va-t-il pas se cacher ? Le Congo est aussi dans le jeu de la France-Afrique et pas besoin même de parler du Katanga ou du Rwanda. Sur le terrain diplomatique, Mitterrand puis Chirac ont encouragé leur ami Mobutu, au grand dam de Bruxelles. D'un point de vue financier, la percée spectaculaire de grands groupes français comme Thomson montre que Paris veut s'imposer dans la région. Enfin, Kinshasa a été intégrée dans la politique de francophonie par la France et non par la Belgique.
Mais aujourd'hui la Chine pourrait mettre tout le monde d accord, l'ancien colonisateur comme le parrain francophone, sans toutefois répondre à la question : le Congo ex-belge est-il viable en tant qu'État indépendant ? Et plus généralement, la colonisation a-t-elle été une fatalité ou une nécessité ?
Pierre-Patrice BELESTA. Rivarol du 16 juillet 2010

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