Lors d'un récent colloque organisé à Paris par l'association Nation et Humanisme, Jean-Marie Le Pen a disserté sur les valeurs humanistes classiques à la base de notre identité nationale. Extraits.
La question posée ici n'est pas nouvelle puisqu'elle remonte à Charlemagne. En effet, une chronique du Moyen-Âge raconte que le moine Alcuin, conseiller de Charlemagne pour les cultes et pour l'éducation, aurait ainsi interpellé son souverain : « Majesté, si vous le voulez, vous pourrez faire de la Francie une nouvelle Athènes, et sans doute plus belle que l'ancienne, car elle sera chrétienne ! »
Toutefois, Alcuin aurait pu prendre Rome pour modèle. Il ne l'a pas fait sciemment, pour une raison de haute politique franque. À l'époque, l'empire franc est en rivalité directe avec Byzance, capitale de ce qui reste alors de l'Empire Romain.
Acte fondateur
Charlemagne va réagir contre cette prétention impériale, fera alliance avec le Pape à Rome afin d'être couronné lui aussi Empereur. Cet acte de Charlemagne, ne pas se soumettre à l'Empereur Romain, fut-il situé à Byzance, est un acte fondateur de la politique française éternelle. Être Français, ce sera toujours un acte de résistance contre la prétention d'un Empire se voulant politiquement universel ! C'est le Saint Empire Romain Germanique, issu aussi des fils de Charlemagne, qui Jouera ce rôle menaçant jusqu'à sa dissolution par Napoléon, l'empereur français !
Charlemagne face à Byzance, Louis XIV face à l'empereur germanique, Napoléon face à ce même Empire conduit par l'Autriche, telle est la continuité de notre histoire. Les deux dernières guerres mondiales également se caractérisèrent par la résistance française à la tentative du nouvel empire allemand constitué par Bismarck pour assurer sa domination sur le continent européen ! La France est une nation qui a dû toujours combattre des empires, et je ne voudrais pas oublier l'Empire britannique au siècle dernier, ni l'Empire espagnol au temps de Charles Quint. L'Allemagne n'a pas eu le monopole de la prétention politique impériale.
Donc, Alcuin propose à Charlemagne Athènes, et non Rome, comme modèle pour deux raisons :
Première raison : il s'agit de s'opposer à Byzance, héritière politique de Rome. En quelque sorte, le flambeau de Vercingétorix va être repris par les Carolingiens !
Deuxième raison : Athènes dans l'Antiquité reste le symbole de la plus haute culture humaniste. À Rome même, Cicéron, l'homme à qui l'on doit l'expression « humanitas », « les humanités », pour désigner la culture classique, considérait Athènes comme la capitale culturelle de l'Empire. L'aristocratie romaine envoyait ses bons élèves étudier la philosophie à Athènes, la rhétorique à Rhodes et le droit à Beyrouth, à l'époque, 3 villes de langue et de culture grecques !
Il est bien vrai que la vocation éternelle de la France, outre la résistance à l'empire pour maintenir la souveraineté de la Nation, c'est aussi la promotion de la plus haute culture humaniste.
L'humanisme, vertu française
Au 13e siècle, Paris possède la plus vieille université d'Europe et la plus importante, devant Bologne en Italie et Oxford en Angleterre, cette dernière née d'une scission de l'université parisienne d'ailleurs.
Pendant tout le Moyen-Âge, nos rois vont croire au mythe de leur origine troyenne. On racontait que Francion, un descendant de Priam, avait fondé la tribu des Francs après la destruction de Troie et s'était réfugié en Germanie avant de venir en Gaule.
C'est le Saint Empire Romain Germanique qui adopte l'aigle romain. Pour se démarquer, les souverains et les clercs français évoqueront souvent la mémoire d'Athènes. Louis XIV recourt largement à la mythologie grecque pour sculpter sa propre image : tout le château de Versailles est un hymne à Apollon, à tel point que, parait-il, cela finissait par agacer Bossuet. Le « Roi Soleil » était un symbole emprunté à Philippe II et à Alexandre le Grand !
Avec la Révolution Français, la mode est plutôt à l'austérité romaine. Mais il y a des exceptions. Camille Desmoulins, voyant au Carrefour de l'Odéon des citoyens en grande discussion politique dans la rue, s'exclame : « Ce sont des Athéniens ! »
Napoléon, évidemment, voudra incarner la renaissance de Rome avec l'empire français et adopte l'aigle pour emblème. Mais c'est de courte durée. Le 19e siècle français, tout en constituant un immense empire colonial au-delà des mers, comme Athènes l'avait d'ailleurs fait sous Périclès avec « la ligue de Délos », se veut national. Or, Athènes préfigure la Nation alors que Rome est un empire.
Athènes incarne dès lors dans notre tradition française un double modèle : un modèle politique et un modèle culturel.
Politiquement, Athènes est la démocratie par excellence, la ville qui a résisté aux tyrans de la dynastie de Pisistrate. Athènes est le symbole de la liberté. Par ailleurs, et tout est lié, Athènes est le symbole de la résistance nationale face à l'empire perse, puis face au royaume de Macédoine.
Juste mesure
Charles Maurras lui-même, tout royaliste qu'il est, prend également Athènes pour modèle. Mais, après tout, si Athènes était une république, elle a toujours compté dans ses rangs des amoureux de la monarchie, minoritaires mais de talent, Platon étant l'exemple le plus célèbre !
On sait que le classicisme français, celui de Boileau, de Corneille, de Racine et de Molière, fut toujours attaché à la notion toute grecque de la juste mesure. Pour les Grecs, l'excès était une caractéristique des Barbares. Cela reste vrai aujourd'hui. Qu'en est-il de cet héritage athénien dans la France d'aujourd'hui ? Le Front National peut-il, doit-il le reprendre à son compte ?
« Du passé, faisons table rase », tel est l'une des paroles les plus célèbres de l'hymne communiste mondial « L'internationale ». C'est logique, car la nation c'est notamment un héritage, donc un passé, à assumer et à faire fructifier pour l'avenir. Les internationalistes antinationaux ne veulent plus du passé, ou alors, ils tolèrent un passé tronqué.
La France, pour eux, n'existe pas avant la déclaration des droits de l'homme. Quelles que soient les bonnes choses que contient cette déclaration qui fait partie désormais de nos textes constitutionnels, et il y en a, - la défense des libertés, de la sûreté, de la propriété, la résistance à l'oppression sont nôtres ! - quelles que soient ces bonnes choses, disais-je, il est absurde de rayer d'un trait de plume l'histoire de France de Clovis jusqu'à 1789 avec ses héros Du Guesclin et même des saints comme Jeanne d'Arc ! Pour les marxistes, mais aussi à présent pour les représentants de la fausse droite tel Toubon, la France commence paraît-il avec la Révolution !
On ne retient de notre histoire que les périodes où les Français se déchirent entre eux : la Révolution et la seconde guerre mondiale. N'est-ce pas parce que l'on a secrètement le projet de diviser encore à nouveau les Français, de rejeter les patriotes de la République en les diffamant sous les noms de racistes et de xénophobes, comme l'a fait récemment, ignoblement, le Président de la République française lui-même, Jacques Chirac ?
En fait, la droite a capitulé, là comme ailleurs, devant les grands prêtres de la gauche. Sartre a dit qu'il ne fallait plus enseigner Rome aux enfants. Car, qu'est-ce que Rome, disait-il, sinon les fascistes de l'Antiquité ? Quant aux Grecs, c'était pire encore, car ils ne se mêlaient pas aux barbares et pratiquaient une sorte de ségrégation : des racistes avant la lettre en somme ! Jean-Paul Sartre est mort, mais son programme éducatif demeure au pouvoir !
Les Grecs étaient patriotes, comme Yvan Blot le rappelle dans son livre « La politique selon Aristote » (1). Le grand philosophe de Stagire, qui fonda à Athènes l'école du «Lycée», a eu cette formule célèbre : « La cité fait partie des choses naturelles et l'homme est par nature un animal politique. Celui qui est sans patrie est, soit un être dégradé, soit un être au-dessus des normes humaines. Il est comme celui qui est injurié par Homère, sans lignage, sans loi et sans foyer ».
La politique d'Aristote dépend de son éthique et l'éthique aristotélicienne dépend avant tout des bonnes habitudes, car elle dépend en partie de la partie irrationnelle de l'âme, qui fournit l'énergie nécessaire à l'action. C'est l'habitude et non le sermon qui rend l'homme bon moralement. On peut en effet comprendre ce qu'est le bien sans avoir envie de le pratiquer. C'est pourquoi un bon sermon doit s'adresser aux trois parties de l'âme, la partie rationnelle, la partie sentimentale et la partie instinctive comme l'exige Cicéron : « docere, movere, delectare »: enseigner, émouvoir, et faire plaisir. Aussi chez le Platon tardif, auteur du livre « Les Lois » comme chez Aristote, les bonnes lois donnent de bonnes habitudes, d'où le rôle essentiel des législateurs.
Tout ceci reste vrai aujourd'hui !
Convergences
C'est l'éducation, l'usage et les lois qui doivent unifier la société, selon Aristote et non le communisme des biens. Le programme du Front National retrouve les idées de nos grands ancêtres grecs, ceux de la glorieuse époque classique des 5e et 4e siècles avant notre ère.
Certes, les Athéniens ne sont pas nos ancêtres par le sang, car les Grecs n'habitaient pas la France à l'exception notable des cités de Massalia (Marseille) et de Nikaia (Nice), par exemple.
Mais ils sont nos ancêtres par l'esprit, en ayant inventé la science, la philosophie, la médecine, les genres littéraires que nous utilisons, la politique avec les catégories que nous utilisons : monarchie, aristocratie, démocratie, démagogie. L'art français des origines jusqu'au début du 20e siècle leur doit aussi une dette immense.
Je voudrais donc souligner quelques points de convergence entre les institutions de l'ancienne Athènes et notre programme politique.
Parlons de l'économie : notre programme veut réduire les impôts. À Athènes, l'impôt direct n'existait pas. Il était considéré comme tyrannique et ne frappait que les étrangers. Il y avait, en effet, une taxe de séjour mensuelle, le Metoïkon réservée aux «métèques» comme son nom l'indique, c'est-à-dire aux étrangers résidants. Le mot chez les Grecs n'avait aucune connotation péjorative ! L'important c'est que notre programme contre le fiscalisme soit tout à fait dans la ligne de l'Athènes classique.
Parlons de l'éducation : nous voulons redonner à l'humanisme, fondement de la culture générale, sa vraie place. Or cette éducation humaniste fut créée par les Grecs et transmise par Rome à notre pays.
Du point de vue des institutions, Athènes a connu des conflits entre deux conceptions : ceux qui voulaient une république oligarchique, dans les mains de quelques-uns, et ceux qui voulaient une république démocratique donnant réellement la parole au peuple ! On assiste au même débat aujourd'hui. Nos adversaires veulent une république sans le peuple, une république oligarchique sans référendum et avec des lois-électorales truquées !
La conception d'une république démocratique est la nôtre.
À vrai dire, l'idéal humain des Grecs, celui du Kaloskagathos (de l'homme à la fois noble et beau d'une part, excellent dans tout ce qu'il fait d'autre part) les portaient plus à insister sur les devoirs que sur les droits. « Noblesse Oblige ». Or, la cité démocratique grecque a étendu l'éthique aristocratique jusqu'au plus modeste des citoyens.
De plus, les Grecs avaient profondément réfléchi sur la nature de l'homme. On connaît la fameuse formule reprise par Socrate : connais-toi toi-même. Cette maxime était inscrite sur le temple d'Apollon à Delphes.
Mais pour les Grecs, les devoirs avaient leur contrepartie dans les droits. Hérodote explique dans son «Histoire» que c'est même cela qui fait la différence essentielle entre les Grecs et les Barbares. Les uns sont libres. Les autres sont les esclaves du « Grand Roi ».
Les Grecs ont inventé la préférence nationale !
Les Grecs ont aussi inventé la préférence nationale ! C'est ce même Périclès, chef du parti démocratique qui durcit le code de la nationalité des Athéniens. Désormais, il fallait que les 2 parents soient athéniens pour que les enfants héritent automatiquement de la nationalité athénienne. Il n'y avait pas de « droit du sol » et on reprochait aux tyrans de naturaliser des étrangers pour submerger le peuple comme ce fut tenté à Syracuse.
Aristote, athénien d'adoption, fit même la théorie de cette préférence nationale. En effet, la fraternité grecque, la «Philia» est une bienveillance hiérarchisée. C'est une vertu de concorde, une sorte d'amitié, la philia qui unit les citoyens entre eux.
Mais, cette bienveillance elle-même, obéit à des lois. Il est naturel qu'elle s'exerce en priorité au sein de la famille, puis à l'égard des amis, puis des compatriotes. Selon Aristote : « Il est clair qu'il vaut mieux passer la journée avec des amis et des personnes excellentes qu'avec des étrangers et des premiers venus ».
Ne pas hiérarchiser la bienveillance est contre-nature, relève d'une laideur morale va jusqu'à dire le philosophe ! On peut donc bien conclure que la fraternité grecque est une bienveillance hiérarchisée, conforme à l'ordre naturel.
Aristote a écrit aussi sur l'immigration des paroles que nous ne renions pas : « Est aussi facteur de guerre civile, l'absence de communauté ethnique tant que les citoyens n'en sont pas arrivés à respirer d'un même souffle.
Car de même qu'une cité ne se forme pas à partir d'une masse de gens pris au hasard, de même ne se forme-t-elle pas dans n'importe quel espace de temps. C'est pourquoi parmi ceux qui ont, jusqu'à présent, accepté des étrangers pour fonder une cité avec eux ou pour les intégrer à la cité, la plupart ont connu des guerres civiles ».
Une cité doit donc être homogène dès lors qu'elle repose sur la liberté des citoyens. Seules, les tyrannies, comme les empires d'Orient ou d'Egypte peuvent se permettre d'avoir des peuples hétérogènes sous leur autorité.
Enfin, les Grecs furent les défenseurs de l'Indépendance Nationale, d'abord contre les barbares perses (bataille de Marathon, de Salamine, de Platée) et contre les barbares carthaginois en Sicile (victoire d'Himère) mais aussi contre les rois de Macédoine qui prétendaient fusionner les Grecs dans un grand état fédéral.
Défendre la patrie
Cela vous rappelle quelque chose ? A l'heure où l'on veut dissoudre la France dans une Europe fédéraliste et soumise aux États-Unis, où l'on veut dissoudre le Franc dans l'Euro, nous trouvons un modèle de résistance, qui fut d'ailleurs cité par Clémenceau en 1914-18, celui du grand orateur athénien Démosthène.
« Défendre la patrie, si l'on estime que cela exigera beaucoup d'argent, beaucoup d'effort et de travail, rien de plus juste (...).
L'honneur de défendre sa patrie et sa liberté, quoi de plus actuel ? »
La volonté de défendre la France qui inspire le Front National se situe donc bien dans la ligne de la tradition de l'humanisme classique, telle que Démosthène l'a incarnée avec tant de talents.
Vive la démocratie, mot grec, bien entendu.
Vive la nation, mot latin qui appartient aussi à la tradition classique.
Vive la France qui a repris cette tradition des peuples classiques pour la faire briller avec nos grands tragiques Corneille, Racine, nos grands rois, François 1er ou Louis XIV, nos grands généraux, dignes des anciens stratèges, notre empereur Napoléon digne d'Alexandre !
Quant à moi, je resterai fidèle aux leçons d'Homère, et je vais pour conclure vous compter un passage de l'Odyssée. Fils de marin, comment ne serais-je pas sensible au personnage d'Ulysse ?
Au chant 5e de l'Odyssée, la nymphe Calypso révèle au dieu Hermès, le dieu des voyageurs, la promesse qu'elle a faite à Ulysse pour le garder près d'elle :
« Quand les vagues et la tempête le jetèrent sur les bords de mon île, c'est moi qui l'accueillis, le nourris, lui promit de le rendre immortel et jeune à tout jamais ». Et se tournant vers Ulysse, elle lui dit : « C'est donc vrai qu'au logis, au pays de tes pères, tu penses à présent t'en aller, tout de suite ? Alors adieu ! Mais si tu pouvais savoir les malheurs qui t'attendent avant ton arrivée dans ta patrie, tu préférerais rester chez moi et devenir un dieu ».
Ulysse répondit à Calypso la tentatrice : « Je sais tout cela ! Pénélope ma femme n'est qu'une mortelle alors que toi ne connaîtras ni la vieillesse ni la mort ! Et pourtant le seul vœu que je fasse est de rentrer là-bas, de voir en ma patrie la journée du retour (...)
Je tiendrai bon ! J'ai toujours ce cœur endurant qui supporte tous les maux. J'ai tant souffert, sur les flots, à la guerre ! S'il faut de nouvelles épreuves, qu'elles m'adviennent ! »
Et plus tard devant le roi Alkinoos, Ulysse déclare avec passion : « Ma patrie, mon Ithaque n'est que rochers, mais elle nourrit les hommes de belle allure : cette terre ! Il n'est rien à mes yeux de plus doux ! Calypso m'enferma et voulut m'avoir pour époux ! Jamais mon cœur n'a pu y consentir. Car rien n'est plus doux que les parents et la patrie. Dans l'exil, loin des parents, parmi les étrangers, à quoi bon la richesse ? »
Ce patriotisme d'Ulysse, il s'est retrouvé tout au long de l'histoire de France. C'est parce que nos ancêtres ont chéri la France et ont combattu pour elle que celle-ci existe encore ! Nous voulons une France encore plus belle à l'avenir, digne du titre de « Nouvelle Athènes » que le moine Alcuin lui donna à l'adresse de Charlemagne ! Que la France soit une nouvelle Athènes, un nouveau berceau de l'humanisme classique rayonnant sur le monde, tel est aussi notre projet, notre projet à la fois humaniste et national !
Jean-Marie Le Pen Français d'Abord! juin 1998
(1) Y. Blot - La Politique selon Aristote